La capacité du mineur à consentir, par Olivia Sarton (intervention au colloque GYPSY XXIII le 8 décembre 2023)
Alors que la Haute Autorité de santé travaille à l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques préconisant la mise en place sans condition de parcours de transition médicale pour les personnes en questionnement de genre, y compris les mineurs de 16 et 17 ans,
Olivia Sarton interroge lors du Colloque GYPSY XIII du 8-9 décembre 2023 à Paris, la capacité du mineur à consentir. Un éclairage indispensable à revoir ICI
Transcription de l’intervention d’Olivia Sarton :
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Le consentement de l’enfant
Olivia Sarton – Juriste
Le terme de « mineur » renvoie à une catégorie juridique codifiée à l’article 388 du Code civil dans ces termes : « le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis ».
Le mineur, la minorité se lit en contrepoint de la majorité dont l’article 414 du Code civil nous dit qu’elle « est fixée à dix-huit ans accomplis et qu’à cet âge, chacun est capable d’exercer les droits dont il a la jouissance ». Ainsi en-deçà, la capacité d’exercer les droits est restreinte : un mineur ne peut pas acheter d’alcool, conduire seul une voiture, voter ou se marier (sauf dispense d’âge pour motifs graves).
Cette catégorie juridique doit être liée avec une réalité incarnée, celle de l’enfance.
Quand on parle d’enfance, on met l’accent sur une réalité de croissance, de développement. L’enfant n’est pas un mini-adulte ; le cerveau d’un enfant ou d’un adolescent « n’est pas un cerveau adulte en «miniature» ; les neurosciences confirment aujourd’hui que la maturité du cerveau est atteinte entre 20 et 25 ans.
Il faut partir de cette réalité de l’enfance pour comprendre le statut de minorité. C’est parce que l’enfant est un être en développement que « en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, il a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée […] », c’est ce que nous le dit le Préambule de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
Le statut de la minorité du droit français met en œuvre cette protection juridique appropriée pour protéger l’enfant contre les décisions préjudiciables ou prématurées aux conséquences graves et parfois irréversibles qu’il pourrait vouloir prendre.
Pendant la minorité, ce sont les parents ou les titulaires de l’autorité parentale qui prennent les décisions pour l’enfant et ce sont eux qui vont endosser les responsabilités qui en découlent. L’article 371-1 du Code civil stipule que « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
Bien sûr, puisque l’enfant se développe progressivement, le droit tient compte de cette progressivité. Le dernier alinéa de l’article 371-1 précise que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
Depuis quelques années, cette conduite progressive de l’enfant vers l’âge adulte est mise à mal par des revendications de « droit à l’auto-détermination ». La semaine dernière a été organisé à Paris par la CNCDH et le COFRADE un colloque sur l’infantisme défini comme « cette discrimination omniprésente dans notre société à l’encontre des mineurs». L’autorité parentale y est vue non pas comme une protection mais comme une domination à combattre car elle priverait les enfants de leur capacité de décision et d’action en tant que détenteurs de droits ».
Mais la mise en échec du statut de minorité au nom de l’autonomie participe-t-elle réellement aux droits de l’enfant ? Eriger le consentement en critère ultime, est-ce pour le bien de l’enfant ?
La question se pose en particulier pour les enfants qui s’identifient comme « trans », c’est-à-dire qui revendiquent une identité de genre différente de leur sexe biologique, que cette identité soit celle du sexe opposé ou non-binaire, genderfluid ou agenre…
Il s’agit d’enfants dont le sexe a été constaté sans aucune difficulté à la naissance, il n’y a pas d’anomalie des organes génitaux. Ils ont été inscrits à l’état-civil dans le sexe constaté avec le ou les prénoms choisis par leurs parents. Mais lors de leurs jeunes années ou un peu plus tard à l’adolescence, ils expriment un mal-être vis-à-vis de leur identité sexuée.
Au nom d’un droit à l’auto-détermination, les militants trans-affirmatifs soutiennent que le choix d’une identité de genre distincte du sexe biologique est possible et même naturel quel que soit l’âge, – et que les enfants doivent en conséquence pouvoir agir librement pour conformer le réel à l’identité de genre qu’ils estiment avoir.
Ces militants ont obtenu par la circulaire du 29 septembre 2021 dite circulaire Blanquer, que la transition sociale de l’enfant soit prise en compte par l’Education nationale. La transition sociale est le choix par l’enfant d’un nouveau prénom et de pronom correspondant à son identité de genre ressentie. Ainsi, au nom de ce ressenti, la circulaire recommande aux établissements scolaires d’accéder à la demande de Charles d’être appelée Lucie, d’être interpellée par le pronom « elle », de concourir avec les filles lors des cross féminins, d’accéder aux toilettes, vestiaires et chambres d’internat des filles s’il le demande. Ce n’est pas toujours le cas : récemment, après avoir imposé à l’établissement scolaire de sa fille de considérer désormais celle-ci comme un garçon, une mère s’est plainte que son enfant ait été affectée aux quartiers des garçons pour un voyage scolaire. Le ressenti masculin de cette jeune fille de 13 ans s’est tout à coup trouvé heurté lorsqu’elle a été invitée à se laver dans les douches collectives des garçons….
L’auto-détermination ne s’arrête pas à la transition sociale. Depuis 2013, les enfants ont accès en France aux parcours de transition médicale. Ceux-ci peuvent comprendre trois types d’intervention : l’administration de bloqueurs de puberté pour les plus jeunes, dès le stade Tanner 2 de la puberté, soit aujourd’hui aux alentours de 10 ans pour les filles et de 11-12 ans pour les garçons ; l’administration d’hormones de synthèse croisées à partir de 15-16 ans (testostérone pour les jeunes filles qui se déclarent garçons, œstrogènes pour les garçons qui se déclarent filles) ; et la chirurgie. Aujourd’hui, seule la mastectomie est effectuée en France pour les jeunes filles à partir de 14-15 ans. Les militants trans œuvrent en ce moment auprès de la Haute autorité de santé pour que d’autres types de chirurgie puissent être pratiquées sur les adolescents, suivant en cela les recommandations des « Standarts of Care » (SOC8) édités en 2022 par la WPATH. On parle ici de chirurgies faciales (pomme d’Adam, pommettes, mâchoire, front…), de remodelage corporel (gommage des hanches, etc.) et bien sûr de la chirurgie des organes génitaux.
Ces interventions sont menées au nom de la libre disposition du corps et au nom du consentement. Il s’agit, selon le rapport Jutand de 2022 commandé par le Ministère de la santé, « de mettre en œuvre des moyens du champ médical non pas pour soigner une pathologie » car il ne s’agit pas d’une maladie « mais pour concrétiser le droit à disposer de soi-même ».
Pourtant, puisque le champ médical est requis, les règles du droit médical doivent trouver à s’appliquer. Et pour le droit, dans le domaine de la médecine, le consentement n’est pas le seul critère de la légitimité d’un acte. L’article 16-3 du Code civil stipule qu’« il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. »
Il y a donc là une première difficulté profonde puisque sans nécessité médicale, il va être porté une atteinte majeure à l’intégrité du corps d’enfants au seul motif de leur revendication qui prend la place du consentement.
Seconde difficulté, la mise à l’écart de la représentation de l’enfant par ses parents, c’est-à-dire le congédiement de sa protection juridique. Le Code de la Santé publique prévoit que le droit à l’information sur l’état de santé et le consentement à l’acte médical sont exercés par les personnes titulaires de l’autorité parentale. Les mineurs ont « le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée à leur degré de maturité ». Mais le consentement premier et suffisant est celui des parents. Il s’agit là de protéger les enfants au regard de leur immaturité.
Dans le cas des enfants s’identifiant trans, la primauté du consentement des parents est mise à mal : d’abord les récits montrent que leur consentement est souvent obtenu grâce à des arguments controversés comme celui du risque de suicide s’ils n’acceptent pas les interventions médicales réclamées.
Ensuite, lorsqu’un des parents y est opposé, les associations militantes incitent l’autre parent à saisir le juge aux affaires familiales pour que celui-ci autorise le parcours médical pour l’enfant. C’est ainsi qu’un Tribunal judiciaire de la région parisienne a autorisé en août dernier une mère à poursuivre le suivi d’un enfant dans le cadre de la consultation spécialisée de dysphorie de genre de l’hôpital Robert Debré, malgré l’opposition du père.
Enfin, si les deux parents sont opposés aux interventions médicales, les militants trans-affirmatifs interrogent la possibilité de convaincre les équipes médicales de passer outre ce refus sur le fondement de l’article L. 1111-5 du Code de la santé publique qui stipule que « le médecin ou la sage-femme peut se dispenser d’obtenir le consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque l’action de prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas où cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. » A ce jour, aucune équipe médicale ne s’est laissée persuader, répondant que le pronostic vital de l’enfant n’était pas engagé. Mais cette position ne va-t-elle pas un jour céder aux revendications d’une autonomie de l’enfant qui devrait permettre sans condition autre que sa réclamation la mise en œuvre des interventions médicales ?
Troisième difficulté, la transformation de la revendication de l’enfant d’être un autre, – en consentement à un parcours de transition aux conséquences pour certaines inconnues, dommageables et irréversibles.
Les équipes médicales trans-affirmatives considèrent que l’enfant sait qui il est, que lui seul est capable de dire son identité réelle et que s’il affirme qu’il est une fille dans un corps de garçon et qu’il veut un corps de fille, alors cette revendication est un consentement aux actes médicaux, consentement libre et éclairé dès lors que l’enfant a reçu l’information délivrée par les professionnels de santé. C’est ainsi que Jaron Jennings, petit garçon né en 2000, ayant déclaré selon ses dires à l’âge de 2 ans qu’il voulait être une fille, a été mis sous bloqueurs de puberté dès 10 ans, puis sous œstrogènes, avant de faire l’objet à 17 ans d’une vaginoplastie. Jaron, petit garçon souriant, est devenue Jazz une jeune femme dépressive luttant contre une addiction alimentaire qui lui a fait prendre des dizaines de kgs en quelques mois. Elle a dû repousser ses études à Harvard de deux années pour tenter de se soigner. Elle est stérile, elle ne connaîtra jamais le plaisir sexuel, elle dit dans une vidéo qu’elle ne sait plus qui elle est…
Dès le début, la transition de Jazz est devenue un business : mise en scène dans une série de téléréalité intitulée I am Jazz, reprise dans un livre distribué dans les écoles aux Etats-Unis, le gain officialisé s’est rapidement élevé à 15 000 dollars par épisode. Cette transition mise en scène a permis de nombreuses gratifications familiales : Jazz a été élue par le Times parmi les jeunes les plus influents de l’année 2014, ses parents ont été reçus par Barak Obama… Peut-on considérer que Jazz, qui n’a jamais vécu dans sa condition sexuée de garçon, avait la capacité de consentir ?
Pouvoir consentir implique tout d’abord de recevoir une information fiable, loyale, complète et de qualité. Cela signifie que parents et enfants devraient se voir exposer l’intégralité des controverses majeures sur les conséquences et les risques des interventions de transition pour les mineurs, c’est-à-dire
- le taux réel très important de résolution naturelle de la dysphorie de genre en l’absence d’intervention et avec un accompagnement psychothérapeutique,
- l’existence de problèmes de santé mentale manifestes chez un nombre important de mineurs transidentifiés,
- les limites à l’innocuité et à la réversibilité des bloqueurs de puberté ainsi que l’absence de connaissances sur leurs effets sur le développement du cerveau,
- la balance bénéfices-risques litigieuse de l’administration d’hormones croisées,
- l’absence de réelle amélioration de la santé mentale des mineurs ayant « transitionné »,
- l’existence possible voire fréquente de regrets quelques années après la transition,
- le caractère expérimental des parcours de transition…
Parents et enfants devraient également se voir proposer une réelle alternative thérapeutique envisageable : aujourd’hui on leur brandit seulement la menace du suicide.
Et quand bien même l’information serait fiable et complète, cela ne suffit pas à garantir le caractère libre et éclairé du consentement du mineur. Il faut encore qu’il comprenne et évalue l’information donnée, alors même que celle-ci ressort pour lui du domaine de la spéculation intellectuelle, compte-tenu de son absence d’expérience préalable. Au Royaume-Uni, le procès intenté par la jeune Keira Bell qui a suivi un parcours de transition médicale à partir de 15-16 ans avant de regretter et faire marche arrière 5 ans plus tard, a montré que donner une information ne suffit pas. Aux Etats-Unis, d’autres procès sont en cours. Tous les jeunes disent la même chose : « les adultes auraient dû me protéger contre mes revendications. Je ne pouvais pas comprendre ce que je demandais. Je n’avais pas la capacité de consentir, aujourd’hui j’ai gâché ma santé, mon corps, une partie de ma vie, parce que les médecins n’ont pas assumé leurs responsabilités. »
On le voit, la place donnée au consentement du mineur pour décider d’un parcours de transition médicale est critiquable. Accepter sans questionnement ou presque l’hormonothérapie et/ou des chirurgies au motif de l’existence d’une demande d’un mineur « à disposer de soi-même » et de son libre consentement, n’est-ce pas tomber dans le travers de la « sacralisation » d’une volonté toute-puissante et du consentement ? Les années passées nous ont montré combien pouvait être chimérique l’existence d’un « consentement » de l’enfant assis sur un droit à disposer de son corps : la prétendue liberté de l’enfant à consentir à des relations sexuelles avec un adulte a fait long feu. Il a fallu plusieurs scandales touchant des personnalités médiatiques et les prises de parole courageuses de centaines de victimes devenues adultes pour que l’incapacité structurelle de l’enfant à donner un consentement soit reconnue, entraînant la modification de la loi pénale.
Formons le vœu que la France ouvre les yeux et ne se contente pas d’attendre scandales et procès pour reconnaître que l’incapacité de l’enfant à consentir se manifeste en particulier dans la transidentification lorsqu’il qu’il s’agit de « consentir » à des actes impliquant sa vie entière, son état de santé général, sa sexualité, sa fertilité, autant d’aspects dont il ne peut prendre la mesure.
Le chemin vers l’autonomisation de l’enfant ne doit pas être un abandon à sa vulnérabilité et un écran à son enfance. »