Publié le 28/02/2025
Un recours a été déposé devant le Conseil d’Etat le 21 février par plusieurs associations et 300 parents d’élèves, demandant l’annulation du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Entretien avec Matthieu Le Tourneur, de Juristes pour l’enfance.
Sept associations, dont Juristes pour l’enfance, ainsi que 300 parents d’élèves ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat contre le programme d’éducation à la sexualité, publié le 6 février. Quel est l’objectif de cette démarche ?
Il faut remonter à la genèse de ce programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Depuis 2001, les établissements devaient dispenser des cours d’éducation à la sexualité aux élèves. La plupart des établissements ne le faisaient pas. Le gouvernement a voulu que ces cours deviennent obligatoires, dans les faits. Un programme a été monté, sur la base de propositions de nombreuses associations. Nous en avions aussi suggéré de notre côté, en misant sur une certaine prudence et la neutralité. Elles n’ont pas été retenues. Le programme tel que publié le 6 février ne tient aucun compte des recommandations faites par nos associations. Au regard du projet retenu, ce dernier ne doit pas être appliqué en septembre 2025. Nous nous sommes mobilisés pour que ce programme aille devant la justice, parce que celui-ci est contraire à de nombreux aspects du droit et à des textes de loi fondamentaux. Nous avons reçu une réponse : l’affaire devrait être entendue dans les semaines à venir. Nous sommes certains que ce programme devrait être retoqué, si le juge devait vérifier sa conformité au droit.
Qu’est-ce qui vous rend confiants, d’un point de vue juridique ?
Ce programme contredit plusieurs principes de droit fondamentaux. Nous estimons d’abord qu’il sape la primauté éducative des parents. Ils sont les premiers éducateurs de l’enfant. La convention internationale des droits de l’enfant, le pacte international sur les droits civils et politiques, ou la cour européenne des droits de l’homme (« l’Etat doit respecter les convictions tant religieuses que philosophiques des parents »), insistent sur ce point. Le Code Civil, en France, le rappelle aussi : « Les époux […] pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ». Il n’est pas dit qu’ils doivent le faire sous le contrôle de l’Education nationale. La formation scolaire doit se faire en complément de l’action de la famille. Or, le programme prévoit que les parents ne seront pas prévenus des dates auxquelles ces enseignements seront dispensés. Cet amendement a été fait au dernier moment. Il dénote un manque de confiance important vis-à-vis des parents.
Ce projet fait aussi l’impasse sur le respect dû à la vie privée et à la vie familiale. Le programme incite beaucoup les élèves à parler de leur vie, de leur famille, de leur ressenti, de leur attirance sexuelle ou de leur identité de genre. Les élèves ont une vie privée et l’Etat n’a pas à y accéder. C’est un principe essentiel, protégé par la Déclaration des droits de l’homme et le Code civil notamment.
Vous pointez également les dangers d’un programme inadapté à des classes très hétérogènes…
Oui, l’autre danger de ce programme réside dans l’âge des enfants et dans leur degré de maturité. Comment prendre en compte l’état de maturité de chaque élève ? Le texte retenu est assez vague à ce sujet et cela pourrait nuire aux élèves. Le manque de personnalisation de ces enseignements constitue un risque d’incompréhension ou de mal-être pour certains élèves, qui auraient sauté une classe par exemple. Chacun doit pouvoir recevoir une information appropriée sur un sujet aussi sensible.
Ce programme vient aussi contredire le droit à la santé des élèves. Faire parler un élève sur les violences sexuelles qu’il aurait subies pourrait le placer dans une situation très inconfortable et lui faire revivre son trauma.
Ce recours a-t-il une chance d’aboutir ?
Nous pensons que le combat n’est pas fini. Si nous sommes très confiants sur le droit que nous avons exposé, nous le sommes moins sur les décisions qui résulteront des juridictions. Il pourrait être retoqué partiellement, sur plusieurs points. Si ce recours échoue, nous pourrions aller devant la Cour européenne des droits de l’homme. En cas d’échec à ce niveau également, rien n’empêche, à chaque signalement fait par une famille ou à chaque situation complexe, que l’on introduise un autre recours.
Que faudrait-il mettre en place ? Sur quels points faudrait-il être plus attentif ?
Au vu de la place que prennent les réseaux sociaux, la pornographie et dans une autre mesure la question des violences sexuelles, il est clair qu’il y a un besoin de clarifier les interactions relationnelles et sexuelles. La société doit se redire clairement les valeurs communes qu’elle souhaite défendre. Si cela doit passer par une éducation commune sur ces sujets, nous devons nous en tenir à un enseignement neutre. Cette éducation doit passer par la biologie, l’anatomie, la différence et la complémentarité des sexes, la physiologie… Il ne faut pas oublier aussi les questions relatives aux mécanismes de la procréation. Il faut surtout que l’on ose rappeler les interdits (l’inceste, les attitudes entre un majeur et un mineur, l’exposition des mineurs à la pornographie…), grands absents de ce programme, si l’on veut recréer un socle commun. Le programme a choisi uniquement de parler du consentement. Notre association Juristes pour l’enfance travaille beaucoup sur les violences sexuelles entre mineurs ; elles sont malheureusement dues en partie à ce manque d’enseignement des interdits.
En France, le débat est-il encore possible sur ce sujet ?
Ce recours a été très peu repris par les médias. Nous n’avons pas rencontré d’opposition, mais n’avons pas été pour autant invités à en débattre. Pour être clair, ce recours, sur un sujet aussi important, a été passé sous silence. Plus largement, nous avons été empêchés d’intervenir dans différentes villes à plusieurs reprises, à Rennes récemment. A Saint-Etienne, le Syndicat de la famille a dû annuler une conférence également. Bien entendu n’y a eu aucune réaction publique. Il y a un deux poids, deux mesures auquel on s’habitue, malheureusement. On sent bien que c’est difficile d’aborder ces sujets et de faire entendre notre voix.