SNU : « Il est temps de mettre fin à une obstination déraisonnable »
Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la mise en place d’un service national universel (SNU), lancée en 2019, a vu sa généralisation, initialement prévue pour 2026, suspendue. Pour Aude Mirkovic, ce projet de « réarmement civique » ne peut qu’être abandonné, tant il est devenu une « mission impossible ».
Aude Mirkovic
Maître de conférences en droit, présidente de l’association Juristes pour l’enfance
La Croix, le 31/01/2025
En 2023, sur 2,5 millions d’individus dans la tranche d’âge des 15-17 ans, seulement 40 000 jeunes ont participé aux stages de cohésion, soit 1,6 % du total.
Après le rejet total du projet de loi de finances de l’État pour 2025 par l’Assemblée nationale et le rejet de la ligne budgétaire spécifique par le Sénat, l’avenir du service national universel (SNU) est en suspens. Plusieurs raisons font souhaiter un abandon franc et entier de ce projet affecté d’un vice de conception devenu patent.
Le SNU reflète une conviction du président de la République, Emmanuel Macron. Dans son livre bien oublié de 2017Révolution, il exposait que la France a besoin d’une révolution démocratique pour réconcilier la liberté et le progrès, laquelle révolution ne se ferait que par un engagement de tous les Français, notamment les jeunes qui tous seraient prêts à s’engager pour autant qu’ils en auraient la possibilité.
Depuis le début de son premier mandat, Emmanuel Macron n’a cessé de vouloir démontrer la justesse de son intuition. Le SNU, mis en place à partir de 2019, est le dispositif conçu pour apporter ladite démonstration. Destiné aux jeunes de 15 à 17 ans, il se compose de trois éléments : un « stage de cohésion », une « mission d’intérêt général » et une « période d’engagement ». Pour démontrer que tous les jeunes ont le désir de s’engager, l’idée est d’inviter les jeunes déjà motivés à se manifester ; puis de les mettre au contact de jeunes pas encore motivés mais ne demandant qu’à l’être ; et enfin donner à tous la possibilité de s’engager effectivement.
Engagement volontaire, engagement obligatoire
Six ans plus tard, la démonstration se fait toujours attendre. En 2023, alors que le vivier du dispositif représentait au total environ 2,5 millions d’individus dans la tranche d’âge des 15-17 ans, seulement 40 000 jeunes ont participé aux stages de cohésion, soit 1,6 % du total. Devant ce résultat dérisoire, le moment est venu de se poser la question : n’y a-t-il pas un problème de conception ? La réponse est : oui.
Si l’engagement de la jeunesse est un bel objectif, le président s’est lancé tout seul le défi de le réaliser en cinq ans en le confiant à la seule administration, au lieu de s’appuyer sur les familles et les parents, alors que sont concernés de jeunes mineurs dès 15 ans. Miser ainsi sur l’engagement massif de jeunes confondait engagement volontaire et engagement obligatoire, et faisait l’impasse sur la possibilité qu’il y ait des réfractaires : la généralisation annoncée du SNU à toute une classe d’âge en le rendant obligatoire encourt d’ailleurs un fort risque d’inconstitutionnalité, la Constitution ne permettant la sujétion des personnes que dans un but de défense nationale.
Surtout, ce caractère obligatoire à terme méconnaît ce point crucial qu’il s’agit d’enfants mineurs de 15 à 17 ans, encore placés sous l’autorité et la responsabilité de leurs parents (art. 371-1 du code civil). Il en résulterait une atteinte sans précédent à l’autorité parentale puisque les enfants seraient soustraits à leur famille et internés en milieu fermé pendant deux semaines, sans l’accord des parents. Pour le réaliser, rappelons qu’en l’état du droit une telle contrainte de séjour en milieu fermé sans le consentement des parents exige une décision judiciaire.
Abandonner le projet de SNU
Faisant fi de ces obstacles, le président a finalement confié à l’administration une mission impossible. C’est pourquoi l’association Juristes pour l’enfance préconise l’abandon pur et simple de l’expérience du SNU. Tenter de sauver le dispositif coûte que coûte représente une perte inutile de temps et de ressources budgétaires, alors que les besoins de l’enfance et de la jeunesse sont immenses, que ce soit dans le secteur de la pédopsychiatrie, la protection de l’enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse.
Alors que la santé mentale des enfants connaît une dégradation sans précédent, « la diminution du nombre de pédopsychiatres de 34 % entre 2010 et 2022 rend difficile l’accès aux soins psychiques infanto-juvéniles » (1). La protection judiciaire de la jeunesse, chargée de mettre en place notamment les mesures éducatives ordonnées pour les mineurs en délicatesse avec la justice, ne parvient plus notamment, dans un grand nombre de départements, à organiser des « séjours de rupture » (2) qui permettent de sortir des mineurs de leur lieu de vie habituel pour leur faire prendre conscience de la possibilité d’un autre chemin de vie que celui – par exemple – des stupéfiants.
En protection de l’enfance, trop de décisions de justice demeurent inexécutées, faute de travailleurs sociaux disponibles en matière d’assistance éducative ou de droits de visite médiatisés entre parents et enfants. Que ce soit par raison ou par manque d’argent disponible, le projet de SNU ne peut qu’être abandonné. L’engagement des jeunes doit bien sûr être encouragé, mais ne justifie ni la débauche des deniers publics ni la soustraction à l’autorité parentale de mineurs de 15 ans.
(1) Rapport de la Cour des comptes, La pédopsychiatrie. Un accès et une offre de soins à réorganiser, mars 2023 : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230321-pedopsychiatrie.pdf
(2) https://www.assoseuil.org ; https://www.ventdularge.org/wp-content/uploads/2018/09/dossier-sejours-educatifs-voile.pdf