Retour sur l’arrêt de la première chambre civile du 19 mars 2014, n°13-50.005
La Cour de cassation persiste et signe, à l’occasion de faits désormais classiques : un homme français commande à une femme indienne un enfant issu de ses gamètes. De retour en France, il demande la transcription de l’acte de naissance indien de l’enfant sur les registres français d’état civil. La Cour d’appel de Rennes ordonne cette transcription, en se fondant notamment sur le fait que l’acte de naissance est régulier et désigne comme parent l’homme français et la femme indienne qui sont les père et mère de l’enfant.
Même cause, mêmes effets. La Cour de cassation reprend mot pour mot la solution déjà énoncée dans deux arrêts du 13 septembre 2013 pour casser sans surprise cette décision : « est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public ».
Il est acquis désormais que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger caractérise « un processus frauduleux dont la naissance de l’enfant était l’aboutissement ». La sanction classique de la fraude est de refuser le résultat recherché en fraude, sous peine de priver la loi française d’efficacité s’il était possible de la contourner à l’étranger et de parvenir malgré tout à ses fins. Encore faut-il préciser jusqu’à quel point la fraude corrompt la situation, ce à quoi contribue la jurisprudence ici reconduite : si la naissance de l’enfant est un fait accompli, la Cour de cassation refuse de cautionner le procédé par la transcription de l’acte de naissance, laquelle serait en quelque sorte le couronnement juridique de l’opération. Autrement dit, elle refuse de faire « comme si de rien n’était ».
Cette jurisprudence est critiquée par certains au nom de l’intérêt de l’enfant.
On connaît la rengaine : ceux-là même qui ont commandé, payé et privé l’enfant de mère pour avoir un enfant biologique sans s’encombrer de la mère, invoquent ensuite l’intérêt de ce même enfant pour que la justice valide ce processus qui n’est rien d’autre qu’une maltraitance à son égard.
La Cour de cassation ne tombe pas dans un piège aussi grossier, et avait déjà écarté l’argument le 13 septembre dernier, estimant qu’ en présence de cette fraude, l’intérêt supérieur de l’enfant garanti par l’article 3 de la Convention internationale des droits ne saurait être utilement invoqué (arrêt n° 12-18315).
L’argument de l’intérêt de l’enfant ne peut prospérer car, à ce compte-là, il exigerait de régulariser toutes les fraudes, notamment dans le cadre de l’adoption internationale, et paralyserait les conventions internationales comme les dispositions internes qui tendent à protéger les enfants de faire l’objet de toute sorte de trafics.
Quant à l’enfant en cause dans cette affaire, notons que son préjudice principal qui consiste dans le fait d’avoir été commandé, acheté, livré et privé de mère, ne peut être réparé, y compris par la transcription de son acte de naissance. Au contraire, accueillir la situation comme si de rien n’était consisterait dans un déni de ce préjudice, une banalisation de ce qui est imposé à l’enfant. Si la justice ne peut réparer tous les dommages, elle n’a pas, au moins, à les nier.
Il reste que le refus de transcription entraine des contraintes et difficultés administratives car la filiation de l’enfant découle du droit indien seulement. Il faut alors rappeler que ces contraintes pèse avant tout sur l’homme à l’origine de cette situation, car on n’a encore jamais vu un enfant faire lui-même une demande d’acte de naissance et s’occuper de son visa.
Cette décision n’apporte rien de nouveau mais, avec elle, la Cour de cassation met un cran de pression supplémentaire sur le Conseil d’Etat, actuellement saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la circulaire du 25 janvier 2013 qui enjoint aux greffiers des tribunaux d’instance de délivrer des certificats de nationalité française aux enfants issus d’une GPA à l’étranger, autrement dit leur ordonne de « fermer les yeux », en contrariété flagrante avec la jurisprudence ainsi réitérée de la Cour de cassation.
En réalité, cette jurisprudence révèle aussi ses limites : si l’on veut vraiment protéger les femmes et les enfants de cette pratique, c’est le procédé lui-même qu’il faut condamner et non se limiter à en cantonner les effets. Autrement dit, c’est le recours à la GPA, y compris à l’étranger, qu’il faudrait sanctionner pénalement. Pour que l’infraction tombe sous le coup de la loi française y compris lorsqu’elle est commise à l’étranger, il faudrait qu’elle soit constitutive d’un crime : une telle qualification n’aurait rien d’excessif compte tenu de la gravité des principes en cause puisque, comme l’a relevé dans une autre affaire la même Cour d’appel de Rennes, il s’agit non seulement de GPA mais encore, en des mots plus crus, « d’un achat d’enfant » (CA Rennes,10 janv. 2012,n°11/01846).
Et, quand bien même le recours à la GPA serait un simple délit en droit français, il serait encore possible de le sanctionner lorsqu’il est commis à l’étranger en écartant l’exigence de la double incrimination, comme cela l’a déjà été fait par exemple pour permettre de sanctionner les agressions sexuelles sur des mineurs commises par des Français dans des pays où elles ne sont pas réprimées (art. 222-222 al. 3 C. pén.).
Il est vrai qu’avant de penser à définir de nouvelles incriminations, il faudrait commencer par appliquer celles qui existent. On ne peut manquer pour finir de s’étonner que des sociétés étrangères démarchent en toute impunité des clients sur le sol français, alors même que la loi française incrimine le délit d’entremise en vue de la GPA. L’enquête ouverte à la suite de la plainte déposée par Juristes pour l’enfance contre une société américaine qui fait en France la promotion de la GPA aux Etats unis pourrait initier la fin d’une telle impunité.
Aude Mirkovic
Maître de conférences en droit privé à l’Université d’Evry
Auteur de Mariage des personnes de même sexe. La controverse juridique.