ENTRETIEN. Après l’annonce du Parlement européen sur un projet de législation « facilitant la reconnaissance de la filiation dans l’ensemble de l’Union Européenne », Aude Mirkovic, directrice juridique de l’association Juristes pour l’enfance, expose les enjeux de la gestation pour autrui.
Propos recueillis pour le JDD par Philippine Farges le
Le JDD. La proposition de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, relative à la reconnaissance des actes de filiation entre pays de l’UE, a pour objectif de répondre à une « discrimination de l’enfant et garantir une sécurité juridique ». Existe-t-il aujourd’hui une réelle discrimination pour les enfants nés de GPA ?
Aude Mirkovic : La Commission des affaires juridiques du Parlement européen a en effet adopté le 7 novembre dernier le projet de règlement COM (2022) 695 sur la reconnaissance de la filiation transfrontalière, créant un « certificat européen de filiation » (cf. GPA : le double discours de l’Europe). Si ce règlement est adopté, il obligera les Etats de l’UE à reconnaitre toute filiation établie quelque part dans l’UE, quelle que soit la manière dont elle a été obtenue. Cela englobe donc les filiations issues de contrats de GPA, que les Etats seraient obligés de reconnaître du moment que la filiation a été établie dans un Etat de l’UE.
Les promoteurs de ce texte invoquent une prétendue discrimination à l’égard des enfants. Cette « discrimination » est un prétexte, et les cas réels de difficultés liées à la reconnaissance de la filiation au sein de l’UE sont si peu nombreux que la Commission a dû présenter des cas inventés, fictifs, pour illustrer la prétendue nécessité de ce projet.
Surtout, sous prétexte de remédier à des « discriminations » dont les enfants seraient victimes, c’est la violation de leurs droits que tous les Etats seraient obligés d’entériner. Une filiation issue de GPA relie l’enfant à ses commanditaires, ce qui signifie que l’enfant a été privé de sa filiation d’origine, au minimum de sa filiation maternelle. La maternité est en effet rendue « illisible » par la GPA, car éclatée entre plusieurs femmes, jusqu’à être complètement effacée lorsque l’enfant est commandé par des hommes, un homme célibataire ou deux hommes (ou trois). C’est là que se trouve la véritable discrimination, dans le fait d’accepter que certains enfants soient délibérément privés de leur filiation maternelle. Je ne parle pas d’une filiation adoptive qui viendrait réparer les malheurs et aléas de la vie, mais d’une privation délibérée, planifiée. L’enfant de la GPA est conçu en vue de son abandon, de sa remise à autrui.
Sous prétexte d’intérêt de l’enfant, c’est bel et bien la situation des commanditaires qui est régularisée, et le projet de règlement veut obliger tous les Etats à se rendre complices de cette violation des droits de l’enfant.
Certes, on peut se dire, « une fois que le mal est fait, autant reconnaitre la situation de fait et le lien existant entre l’enfant et les commanditaires ». Mais, d’abord, c’est une vision à très courte vue, et l’expérience acquise en matière d’adoption internationale devrait nous alerter. La France, par le passé, a choisi de régulariser des adoptions frauduleuses prononcées à l’étranger, au nom de l’intérêt de l’enfant bien sûr, une fois que le mal est fait. Résultat, nombre de ces enfants, devenus adultes, non seulement ne remercient pas, mais ils engagent la responsabilité de la France pour avoir ainsi fermé les yeux sur la violation de leurs droits. Surtout, ceux qui invoquent l’intérêt de l’enfant pour entériner la GPA seraient crédibles si, en même temps, ils luttaient vraiment pour mettre fin à la GPA, seul moyen de protéger efficacement les enfants.
En effet, une fois l’enfant né de la GPA, il n’existe aucune « solution » totalement satisfaisante. La seule « vraie protection » de l’enfant, c’est de sanctionner efficacement les acteurs du marché pour qu’il n’y ait plus de GPA ou en tout cas beaucoup moins. C’est ce que demande la Déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la GPA , signée en mars dernier au Maroc par des experts de 75 nationalités (cf. Des experts de 75 pays demandent l’abolition de la GPA), que les Etats sortent de la résignation, et s’engagent pour éradiquer ce marché mondial. Ce projet de règlement européen est tout le contraire : c’est la résignation dans toute sa splendeur, au minimum la complicité et, en pratique, une manière hypocrite de promouvoir encore un peu plus la GPA.
Aujourd’hui en France que prévoit le droit pour les enfants nés de GPA : quel statut pour ces enfants et leurs parents dits « d’intention » ?
AM : La loi française déclare la GPA illicite, et le contrat est donc nul. On ne peut pratiquer la GPA en France, du moins en théorie (cf. GPA : la « complaisance » de la France ?). Des Français se rendent donc à l’étranger, dans un pays où la GPA est légale, et reviennent ensuite en France avec des enfants « obtenus » par ce moyen. Les enfants ont un acte de naissance dressé dans le pays de naissance, qui peut indiquer comme parents les commanditaires, ou la mère porteuse, ou ne comporter aucune mention maternelle.
La querelle porte ensuite sur la transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant sur les registres français d’état civil. Longtemps, la Cour de cassation a refusé cette transcription, pour exprimer la réprobation du droit français à l’égard de la situation juridique ainsi obtenue. Comme la Cour de cassation l’a toujours précisé, l’absence de transcription ne privait pas les enfants de la filiation découlant de leurs actes de naissance, qui a toujours produit ses effets en France. Jamais les commanditaires, inscrits comme parents sur les actes de naissance étrangers, ne se sont vu contester l’autorité parentale, ni rien. Il en résultait certes des complications administratives, mais qui pesaient sur les parents et non sur les enfants car on n’a encore jamais vu un enfant faire lui-même sa demande de passeport. La transcription était néanmoins demandée, car le refus de transcription manifestait, c’était le but, l’irrégularité de la situation.
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, en considérant que nous ne reconnaissions pas la filiation, ce qui était erroné puisque la filiation non transcrite produisait ses effets, mais le Gouvernement français, trop content de se laisser ainsi imposer la GPA, ne s’est jamais correctement défendu (cf. GPA : La CEDH condamne de nouveau la France).
La Cour de cassation a fini par céder, et maintenant les actes de naissance sont transcrits, au moins pour ce qui est du père biologique (cf. GPA et affaire Mennesson : la Cour de Cassation permet la transcription de la mère d’intention sur l’acte de naissance). Concernant le « parent d’intention », celui qui n’a pas de lien biologique avec l’enfant, selon la loi de bioéthique de 2021, doit passer par la procédure d’adoption. La Cour de cassation l’a déjà admis depuis longtemps, et c’est là encore un problème, car l’adoption n’est pas là pour priver un enfant de ses parents pour le rendre disponible pour autrui, elle est là pour réparer le fait qu’un enfant soit privé de ses parents par les malheurs de la vie. C’est pourquoi, avant, la Cour de cassation refusait l’adoption après GPA pour détournement d’institution. Un jour ou l’autre, ces adoptions après GPA seront reconnues comme ce qu’elles sont, un détournement de l’adoption. Il n’existe aucune solution totalement satisfaisante pour l’enfant une fois la GPA réalisée. La seule attitude responsable à l’égard de l’enfant, c’est de le préserver de naître par GPA. Non de « bricoler » des pis-aller une fois que le mal est fait.
Comment expliquez vous cette contradiction entre le projet de lutte contre la traite des humains en octobre dernier par les commissions des droits des femmes et des libertés civiles, et la proposition de la commission des affaires juridiques sur la reconnaissance des actes de filiation ?
AM : Il y a en ce moment une lutte politique entre des projets pour l’humanité irréconciliables : soit le désir, la volonté sont la loi du marché et la loi tout court, soit la dignité humaine et le respect des droits du plus faibles sont protégés par la loi, y compris contre les désirs des forts. Autrement dit, le droit fondé sur la justice, ou la loi du plus fort (du plus riche, du plus médiatique, du politiquement correct…). Le Parlement européen, à plusieurs reprises, a identifié la GPA comme une nouvelle forme de traite humaine (cf. Le Parlement européen reconnaît la GPA comme une forme de traite des êtres humains), et c’est bien normal, car disposer d’un être humain, ici un enfant, c’est se comporter en « propriétaire », que l’enfant soit remis à titre gratuit ou rémunéré. L’amour promis à l’enfant ne change pas la réalité de la GPA, qui est d’être la commande et la remise d’un enfant. Le contrat de GPA n’est pas exécuté avec la « gestation », la grossesse, mais bel et bien avec la remise de l’enfant. C’est lui l’objet du contrat, c’est pourquoi la GPA ne peut pas être éthique, car il ne peut être éthique de disposer d’un être humain. C’est au contraire la définition même de l’esclavage, défini par le droit comme la situation d’un individu sur lequel s’exerce l’un des attributs du droit de propriété.
La décision finale sur la législation sera prise par les États membres, étant donné que le droit de la famille relève de la compétence nationale : avez-vous un message à faire passer à nos politiques ?
AM : En effet, rien n’est fait. Le vote en session plénière au Parlement européen est prévu pour décembre. En outre, le Parlement européen n’a dans cette procédure qu’une voix consultative, et le texte doit ensuite être voté, au Conseil de l’UE, par les ministres de la Justice des différents Etats. Il faut l’unanimité qui ne devrait pas être atteinte, car plusieurs Etats ont annoncé leur véto.
Le message que nous pouvons adresser aux politiques est simple : on ne vous a pas élus pour que vous baissiez les bras devant l’exploitation reproductive et le trafic d’enfants. Il faut sortir de la résignation, du fait accompli, et agir pour préserver efficacement les femmes, comme les enfants, qui font l’objet de ce marché. Arrêtons l’hypocrisie de régulariser le trafic sous ce prétexte cynique de l’intérêt de l’enfant, ce qui devient insoutenable. L’enjeu étant mondial, les efforts dans les droits internes devraient, sans aucun doute, s’inscrire dans le cadre d’un effort international concerté, grâce à une convention internationale portant cet objectif de l’abolition universelle de la GPA. C’est aussi l’objet de la Déclaration des Casablanca de mars dernier, qui comporte un projet de Convention internationale proposé aux Etats, ou encore ce qu’a demandé le Comité consultatif national d’éthique qui s’est déclaré « favorable à l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA et particulièrement attaché à l’effort diplomatique » (cf. Avis favorable du CCNE sur la “PMA pour toutes”), recommandant «l’engagement de négociations internationales, multilatérales »[1] . Nous attendons donc des politiques qu’ils engagent les différents pays dans une Convention internationale pour l’abolition universelle de la GPA. Le rêve serait de commencer par la France.
[1] Avis CCNE n° 126,15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), p. 40.