Ce vendredi 3 mars, à Casablanca, s’est tenue une convention réunissant des experts de 75 pays pour l’adoption d’une Déclaration internationale pour l’abolition universelle de la GPA (gestation pour autrui). Explications et décryptage avec Aude Mirkovic, juriste, porte-parole du mouvement français de l’association des Juristes pour l’enfance signataire de la Déclaration
Recension de l’article paru le 5 mars 2023 sur le site bvoltaire.fr
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Sabine de Villeroché. Pourquoi donner une dimension internationale à un projet d’abolition de la GPA ?
Aude Mirkovic. Parce que la dimension internationale de la GPA exige une réponse internationale. Les pays où la GPA se pratique ne sont pas très nombreux, mais des sociétés marchandes de GPA rabattent des clients du monde entier vers les territoires où elles sont implantées et suscitent ainsi un marché à l’échelle internationale.
Les législations nationales qui interdisent la pratique sont fragilisées par ce tourisme procréatif. Beaucoup d’États n’ont pas de législation sur le sujet, et ceux qui en ont comme la France sont parfois tétanisés, une fois mis devant le fait accompli d’une GPA réalisée ailleurs. Le groupe d’experts réunis à Casablanca a mis à la disposition des États une proposition de Convention internationale dans laquelle les États sont invités à s’engager : à condamner d’abord la GPA dans son principe, quelles que soient ses modalités, qu’elle soit rémunérée ou non, et à prendre ensuite des mesures concrètes pour mettre fin à ce business, en priorité en sanctionnant les intermédiaires, ces sociétés qui sont les acteurs majeurs de ce marché. Sans l’aide de ces sociétés de GPA, très peu de gens prendraient le risque d’aller chercher une mère porteuse en Ukraine ou au Nigeria.
En outre, nous ne négligeons pas le rôle pédagogique d’une Convention internationale, qui promeut un contexte global de réprobation de la GPA, susceptible d’entraîner des États dans ce sillage vertueux.
S. d. V. Quels ont été les résultats des travaux de cette convention ?
A. M. À ce stade, il s’agit d’un travail d’experts, : un travail doctrinal assez classique, comme il en existe dans de nombreux domaines : des sociétés savantes, des ONG ou tout simplement des groupes d’experts peuvent ainsi proposer pour le commerce international des contrats-types, des propositions de conditions générales de vente, des propositions de conventions internationales, qui peuvent ensuite être repris.
Le sommet d’experts qui s’est tenu à Casablanca a rendu publique une Déclaration qui demande aux États de s’engager dans une Convention internationale pour l’abolition universelle de la GPA : nous avons fait notre travail d’experts, si je puis dire ; aux États, maintenant, de prendre leurs responsabilités politiques pour protéger l’humanité de ce fléau de la GPA. Cet événement de Casablanca envoie un message clair : un engagement international des États est nécessaire, et il est possible d’abolir la GPA. Et l’engagement public d’experts de tellement de nationalités différentes a pour but de lancer cette phase politique qui doit suivre.
S. d. V. Pourquoi des experts français partie prenante, puisqu’en France, la GPA est interdite ?
A. M. En France, le contrat de GPA est en effet illicite et n’a pas d’existence juridique. En outre, la France sanctionne pénalement les intermédiaires entre les mères porteuses et les clients. Or, que constatons-nous ? Que des sociétés étrangères de GPA, américaines, ukrainiennes, canadiennes, démarchent en toute impunité le marché français et vendent des GPA aux Français sur notre territoire. On l’a constaté de façon particulièrement visible au salon Désir d’enfant, mais partout en France, ces sociétés organisent des tournées de promotion commerciale, avec des rencontres pour présenter leurs offres de GPA et les vendre aux Français. Il y a eu déjà plusieurs plaintes, déposées notamment par Juristes pour l’enfance, et à ce jour, aucune poursuite. Alors même que le président de la République affirme que la GPA est la ligne rouge, la France laisse ces marchands de l’humain vendre en toute tranquillité et impunité leurs services. Il manque en France la volonté politique, et un engagement dans une Convention internationale serait un engagement politique autant que juridique essentiel pour passer de la complicité, résignation, indifférence à la protection efficace et déterminée de la dignité humaine contre la marchandisation.
S. d. V. Pourquoi avoir choisi précisément la ville de Casablanca pour réunir ces experts ?
A. M. Il est clair que ce sommet d’experts aurait pu se tenir à beaucoup d’autres endroits ! Le choix de Casablanca s’est pourtant imposé très vite : d’abord, la législation du Maroc est exemplaire puisque la loi interdit explicitement la GPA et sanctionne pénalement le recours à cette pratique. Ensuite, le Maroc est un pays qui jouit d’une grande stabilité politique, que les étrangers peuvent visiter en toute sécurité, un pays d’histoire et de culture… Et, pour finir, la ville de Casablanca est connue dans le monde entier, c’est un terme facile à prononcer dans toutes les langues et tout à fait indiqué pour donner son nom à une déclaration : c’est ainsi que le texte présenté le 3 mars est déjà devenu la Déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la GPA.
S. d. V. Quelle est la prochaine étape ?
A. M. Le 3 mars était une réunion d’experts. La prochaine étape est d’avoir la même chose avec des représentants des États, une sorte de COP de la GPA. Nous souhaitons faire connaître la Déclaration de Casablanca et la proposition de Convention internationale qu’elle comporte au sein des instances internationales, à commencer par l’ONU : le sommet du 3 mars a été ouvert par deux membres du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui ont fait part de leur intérêt pour nos travaux et du fait que le Comité des droits de l’enfant est concerné par cette question des conséquences de la GPA pour les enfants. Nous voulons, bien sûr, aller plus loin, et tout le monde peut contribuer : le groupe d’experts a fait le choix que la Déclaration de Casablanca ne soit rattachée à aucune ONG, aucune structure, afin que ce ne soit pas la Déclaration de untel ou de tel autre mais la Déclaration de tous : si un gouvernement, une ONG, une organisation veut s’approprier ce projet, il n’y a pas d’autorisation à demander, il est libre de droits et à la disposition de tous ceux qui veulent soutenir cette démarche internationale jusqu’à l’abolition universelle de la GPA.