GPA. La justice de nouveau saisie après l’accouchement d’une mère porteuse ukrainienne à Saintes
Par Antoine Colin
Publié le 27 octobre 2022
Après le classement sans suite d’une plainte contre X déposée auprès du procureur de la ville de Saintes, l’association Juristes pour l’enfance a adressé un recours au procureur général.
« Considérant la décision de classer sans suite l’affaire de la mère porteuse ukrainienne venue accoucher en France comme un recul du droit devant les pouvoirs financiers des sociétés étrangères, Juristes pour l’enfance dépose à ce jour un recours auprès du Procureur général à la Cour d’appel de Poitiers ».
L’annonce est tombée le 20 octobre dernier. L’association Juristes pour l’enfance, opposée à la GPA, continue son combat contre les sociétés commerciales étrangères proposant en France leur service de gestation pour autrui. Elle fait suite à la plainte déposée au mois de mai dernier quand une petite fille est née sous X d’une mère porteuse à Saintes.
Surpris par cette nouvelle, le bureau départemental de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) avait également déposé plainte pour «délit de provocation à l’abandon d’enfant», «délit d’entremise entre un couple et une personne acceptant de porter l’enfant (GPA)» et «délit de substitution volontaire, simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant».
Mais, quelques mois plus tard, après une rapide enquête, le parquet de Saintes classe l’affaire sans suite. La raison ? Un manque d’éléments probants. Une réponse « peu convaincante » qui s’accorde « à un problème de volonté politique. »
Des contrats au-dessus des lois ?
La loi du 29 juillet 1994 a inscrit dans le Code civil le caractère de principe d’ordre public du respect du corps humain (article 16-9 CC), ce qui implique notamment la nullité de toutes les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits (article 16-6 CC). Et la nullité des conventions de gestations pour autrui (article 16-7 CC). Toutefois, bien que la GPA soit interdite en France depuis 1994 et les débats polémiques sur « les ventres à louer », de nombreux couples français se tournent vers l’étranger.
Des sociétés commerciales étrangères – généralement canadienne, américaine, ukrainienne – viennent en France démarcher le marché français et chercher des clients français pour leur proposer leur service de GPA, c’est-à-dire leur proposer des mères porteuses à l’étranger. Ce démarchage et cette prestation de service sont un délit pénal en droit français, ça s’appelle un délit d’entremise en vue de la GPA », explique Aude Mirkovic, directrice juridique de l’association Juristes pour l’enfance.
Seulement, cette méthode pose de nombreuses problématiques. Car même si la GPA est légale depuis 2002 en Ukraine pour les couples hétérosexuels, mariés et infertiles, la guerre en Ukraine a rebattu les cartes.
Aujourd’hui, les mères porteuses ukrainiennes viennent accoucher en France et cela relève donc du droit français. Et comme le rappelle l’association Juristes pour l’enfance, effectivement, la GPA est interdite en France et les sociétés qui proposent ce service n’ont pas l’autorisation de pouvoir démarcher en France.
Pourtant, cette interdiction est actuellement menacée. De la publicité, ainsi que des salons présentant des agences, promouvant cette marchandisation du corps de la femme ont été constatés ces dernières années dans notre pays.
Quelle soit commerciale ou pas, cette activité, le fait de jouer les intermédiaires entre des clients potentiels et des mères porteuses est une infraction pénale et cela fait des années que nous dénonçons ce démarchage qui se fait en toute impunité sur le territoire français par ces sociétés étrangères », dénonce la porte-parole.
Dans le cas du dossier de Saintes, par exemple, le couple a eu recours à une mère porteuse ukrainienne par l’intermédiaire d’une de ces sociétés, en l’occurrence, une société canadienne. Comment ? Les réponses restent vagues.
Mais, pour l’association, ce constat s’explique surtout par un manque d’action de la justice. Pour le moment, la justice n’a jamais poursuivi ces sociétés.
« On pense que c’est un problème de volonté politique. Évidemment, il y a toujours l’idée que les faits se déroulent à l’étranger, que c’est loin de la France et de la juridiction française, or le délit d’entremise se passe toujours en France, car ces sociétés viennent démarcher en France » rappelle Aude Mirkovic.
Si en règle générale, tout se passe à l’étranger, « du moins la prestation finale », cette fois-ci les mères porteuses viennent accoucher en France « donc la justice française ne peut ni ignorer quelle est compétente, ni le lien de ces affaires avec la loi française. »
Est-ce une conséquence de la guerre en Ukraine ? L’association rejette le caractère de circonstance exceptionnelle dans cette affaire. En revanche, le débat éthique entourant la gestation pour autrui est de nouveau ouvert.
Un cas particulier
Le cas du dossier saintais est bien différent des 4 autres plaintes déposées par l’association puisqu’un signalement de l’aide sociale à l’enfance avait été envoyé au procureur avant le dépôt de la plainte par Juristes pour l’enfance.
Dans le cas de Saintes, c’est différent, il y a eu un signalement de l’aide sociale à l’enfance, les faits étaient donc sur le bureau du procureur. C’est inadmissible qu’il n’ait pas engagé des poursuites ! Nous avons donc demandé au procureur général de s’en mêler et d’enjoindre au procureur de Saintes de diligenter des poursuites », souligne la directrice juridique.
Par conséquent, l’affaire de Saintes est un véritable « cas d’école idéal » puisque les faits sont totalement acquis et caractérisés. Le couple français ne s’est pas caché de la naissance de leur petite fille en France. Au contraire. Ils ont joué la carte de la transparence « pour bénéficier de la compréhension des autorités » d’après Anne Mirkovic.
Malheureusement, si ces poursuites visent en priorité les sociétés « histoire que cela serve de précédent pour elle et toutes les autres, et surtout, les empêcher de venir en France en totale impunité », les parents adoptifs sont aussi incriminés et pointés doigt par l’association.
Les couples doivent aussi être incriminés dans cette affaire. Je suis désolé, ils sont peut-être de bonne foi, mais ils sont eux aussi coupables d’un délit pénal donc soit on estime que les couples peuvent recourir à la GPA, donc on change la loi, mais pour l’instant la loi française elle sanctionne ce genre de délit là, et par conséquent, nous estimons que ces faits ne peuvent pas rester impuni », indique-t-elle.
Cela dit, ces couples sont aussi d’une manière les victimes « de l’inertie globale des pouvoirs publics et des parquets parce que ce sont les parquets qui laissent justement ces sociétés commerciales venir exploiter la souffrance des personnes en désir d’enfants et les embarquent dans ce processus de GPA qui se termine avec cette histoire de guerre en Ukraine. »
« La fin de l’impunité »
Selon certains témoignages, il y a encore 3 semaines, The Fertility Center – une société intermédiaire – a engagé une tournée de démarchage en France en passant dans des villes comme Marseille, Lyon et Paris.
Pendant ces salons, le commercial vient en toute impunité présenter son business à des clients français. « Nous, on voudrait susciter la fin de l’impunité », affirme Anne Mirkovic.
Mais, la justice ne semble pas avoir assez d’éléments pour aller plus loin. De plus, le procureur de Saintes a refusé la plainte déposée par l’asso parce qu’il considère qu’il y a des circonstances exceptionnelles qui justifient le classement sans suite.
Mais on conteste ce caractère de circonstance exceptionnelle, car les délits que nous reprochons ont été commis, il y a plus d’un ou deux, il n’y avait pas encore la guerre en Ukraine, donc les circonstances exceptionnelles, aujourd’hui, elles ont fait qu’apporter jusqu’à Saintes, sous le nez du procureur, des délits qui sont en fait caractérisés depuis presque deux ans », rappelle-t-elle.
Pour l’association, le délit d’entremise – dont est coupable l’entreprise – et le délit d’incitation à l’abandon d’enfant – dont sont coupables les couples français – sont bel et bien caractérisés sur le territoire français.
Le problème était déjà là bien avant la guerre et il y a un problème dans le message. Vous prenez moins de risque à venir faire accoucher une femme en France pour négocier l’abandon de l’enfant que de faire un excès vitesse sur la route », dénonce la maître de conférence en droit privé.
Ainsi, la cible numéro 1 reste tout de même les sociétés commerciales « car si la justice faisait son travail et leur interdisait de commercer en France, il n’y aurait pas eu toutes ces affaires avec les mères porteuses ukrainiennes ».
Deux possibilités s’offrent donc au procureur général après ce recours : soit il ne donne pas de suite à cette affaire, soit il enjoint au procureur de Saintes d’entamer des poursuites.