«La conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n’est pas sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant», juge-t-elle.
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POSITIONS DE L’ACADEMIE NATIONALE DE MEDECINE sur le titre I du projet de loi relatif à l’extension de l’AMP en dehors des cas d’infertilité (extraits)
1) Pour 1‘ANM~ l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules relève davantage d’une loi sociétale s ‘inscrivant dans la suite des lois sur le Pacte civil de solidarité4 et duMariage pour tous5, que de la loi de bioéthique dans la mesure où les techniques utilisées sont anciennes etne soulèvent pas de nouvelles questions d’ordre médical. S ‘agissant, selon elle, d’une mesure à caractèresociétal et au-delà des convictions de chacun, 1 ‘ANM ne s ‘estime pas à même de donner un avis hors du champ de ses missions. En revanche, elle se sent impliquée et estime de son devoir de soulever un certainnombre de réserves liées à de possibles conséquences médicales.
L ‘ANM reconnait la légitimité du désir de maternité chez toute femme quelle que soit sa situation, mais elle veut souligner que si 1‘invocation de 1‘égalité des droits de toute femme devant la procréation est compréhensible, ilfaut aussi au titre de la même égalité des droits tenir compte du droit de tout enfant àavoir un père et une mère dans la mesure du possible. Sur ce point, il y a donc une rupture volontaired’égalité entre les enfants. A ce titre, la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue unerupture anthropologique majeure qui n ‘est pas sans risques pour le développement psychologique etl’épanouissement de l’enfant. L ‘argument régulièrement avancé pour rejeter le risque pour 1 ‘enfant se fonde sur certaines évaluations, essentiellement dans quelques pays anglo-saxons et européens, faisant étatde 1 ‘absence d’impact avéré sur le devenir de 1 ‘enfant. L ‘ANM ne juge pas très convaincantes ces données au plan méthodologique, en nombre de cas et en durée d’observation sur des enfants n ‘ayant pas toujours atteint 1 ‘c~ge des questions existentielles. Quoiqu ‘il en soit, 1 ‘ANM rappelle que 1 ‘incertitude persiste sur le risque de développement psychologique de ces enfants au regard du besoin souvent exprimé de connaitreleurs origines. Cela conduit donc à souhaiter qu ‘il y ait des études en milieu pédopsychiatrique à partird’enfants privés de pères, parmi lesquels ceux issus de 1 ‘AMP pour des femmes seules ou en couples. Cela permettra d ‘évaluer le devenir de ces enfants au nom du principe de précaution si souvent évoqué pour des sujets d‘importance moindre. II apparait, à 1‘ANM~ que cette disposition est contraire à la Conventioninternationale des droits de l’enfant de 1989, rat~Jlée par la France. Celle-ci mentionne le droit de l’enfantàconnaîtresesparentseninsistantsurle«biendel’enfant»commesurson«intérêtsupérieur». Defait,on quitte le domaine de la vraisemblance puisque deux parents du même sexe ne suffisent pas pour donner vie à un enfant. Il s ‘agira pour la première fois de permettre à deux femmes d’être les deux mères d’unmême enfant. Pourtant, l’existence de deux mots distincts, père et mère, signifie que l’un ne peut sesubstituer à 1 ‘autre car le rôle des mères et des pères ne sont pas équivalents. L ‘ANM estime que, de plusen plus malmenée par les évolutions sociétales, la figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l’enfant comme le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues quidemeurent dans leur majorité pour le moins réservés sur cette innovation radicale.
A la d~ffe’rence notoire des situations subies par certaines familles monoparentales, des réserves médicalessont également exprimées sur 1 ‘extension de la procréation volontaire aux femmes seules en raison de1 ‘observation d’une vulnérabilité, source d ‘anxiété et de fragilité maternelle avec des couples mère/enfantqui peuvent être pathologiques comme cela a été souligné lors des auditions par la commission spéciale à1‘Assemblée nationale. Dans tous les cas d’extension de 1‘AMP, on ne peut méconnaître la question del’altérité et celle de la d~ffe’rence homme-femme.
2) Concernant la question de l’anonymat du donneur, 1 ‘ANM rappelle que ce choix fait par les CECOS dès le début de l’Insémination art~ficielle avec sperme de donner (lAD) a été régulièrement rediscuté. On sait, désormais, que le maintien de 1‘anonymat a suscité chez un certain nombre d’adolescents ou jeunes adultes connaissant leur mode de conception, le besoin de rechercher leur géniteur et leurs origines biologiques. Cette quête pouvait même devenir obsessionnelle et nuire à leur épanouissement comme à leur équilibre psychologique, ce qu ‘on ne peut ignorer. En outre, 1 ‘accès de plus en plus facile au séquençage de son génome et aux réseaux généalogiques sur internet a déjà permis à certains de retrouver leur géniteur ou des demi-frères ou demi-soeurs. La nécessité de faire évoluer le processus est donc légitime.
Les dispositions proposées dans le projet de loi permettant d’accéder à des données non ident~flantes sont satisfaisantes et peuvent être utiles sur le plan médical. Quant à l’accès à 1 ‘identité du géniteur lui-même,il sera rendu possible à la condition que celui-ci y consente au moment de la demande d’accès. Undispositifsemblable à celui du Centre National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) créé en 2002 pour répondre au même besoin exprimé par les enfants nés sous X de mère anonyme, sera organisé pour guider les demandes. L ‘ANM est favorable à une telle évolution maîtrisée vers l’accès aux origines. Elleobserve néanmoins que 75% des candidats au don de sperme sont pour le maintien total de l’anonymat etpourraient revenir sur leur intention initiale en cas de sa levée, même partielle. Sur ce point, 1 ‘ANM veutsouligner 1 ‘actuel équilibre fragile entre donneurs et couples hétérosexuels infertiles demandeurs d’unelAD, avec un délai moyen d’un à deux ans entre la demande et sa réalisation, II apparait évident que lademande accrue du fait de 1 ‘extension prévue de 1 ‘AMP entrainera un déficit de spermes et un allongement des délais portant préjudice aux couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité qui relève pourtant d’uneindication véritablement médicale. Dans les faits, il s ‘agira donc pour ces couples d’une régression dansleur prise en charge et il reviendra aux médecins de 1‘expliquer aux patients. Les médecins ne comprennent pas qu ‘on puisse considérer de la même façon les indications médicales et les demandes sociales. Dans de telles conditions où la demande sera supérieure à 1 ‘offre, 1 ‘ANM exprime sa crainte devoir s ‘établir un marché dejà en voie d’organisation dans certains pays voisins. L ‘éventuelle marchandisation des produits du corps humain est donc un réel danger qui menace le principe essentiel del’éthique française, à savoir la gratuité du don et la non-marchandisation du corps humain.
En outre, 1 ‘ANM estime que le financement de ce choix sociétal personnel par 1 ‘Assurance-Maladie n ‘est pas cohérent avec les missions qui lui sont assignées.
3) Concernant lafiliation qui ne vapas de soipour deuxfemmes qui souhaitent être toutes les deux les mères du même enfant, nonobstant les réserves de 1 ‘ANM sur 1 ‘extension prévue de 1 ‘AMP, elle estime que la procédure de filiation retenue semble la plus à même de créer un cadre aussi rassurant que possible pour 1 ‘enfant bien que reposant sur des critères non biologiques et en dehors de toute vraisemblance.
4) Concernant la possibilité pour les femmes de conserver leurs ovocytes en dehors de tout motif médical, sans s ‘~y opposer formellement, Z ‘ANM souligne que si les risques que pourrait entraîner une tellepratique sont bien connus des professionnels, ils ne sont pas mentionnés dans l’exposé des motifs de la loiet n ‘ont pas été réellement discutés lors des débats préparatoires, ce qui est éminemment regrettable. Ilsn ‘ont donc pas été repris par les medias et les femmes n ‘ont généralement pas une juste idée de la réalité de 1‘entreprise.
D ‘une part, le recours à Z‘autoconservation des ovocytes augmenterait davantage encore la surmédicalisation des grossesses. D ‘autre part, elle pourrait contribuer au recul de 1 ‘âge moyen de la première grossesse. Or, on sait l’augmentation sign~flcative des Infirmités motrices-cérébrales qui endécoulent pour 1‘enfant. Enfin, la présentation banalisée qui en est faite semble sous-estimer, voireméconnaitre, les risques que la méthode induit par elle-même. Ceux liés aux inductions de l’ovulation,souvent répétées pour obtenir le nombre d’ovocytes nécessaires. Ceux concernant les risques d’échecs nonnégligeables dont il n ‘est pratiquement pas fait mention alors que le taux de réussite est estimé à 60% après quatre tentatives et décroit notablement avec l’âge. L ‘ANM regrette que, dans les débats,1 ‘information des femmes ne soit pas présentée de façon suffisamment objective et que Z ‘autoconservation de leurs ovocytes puisse apparaître comme une garantie de réussite lorsqu ‘elles décideront du moment deleur grossesse. En pareil cas, il s ‘agirait d’une grave mésinformation que les médecins auront du mal àréparer sans décevoir. En outre, 1 ‘ANM déplore qu ‘à aucun moment il ne soit fait mention de la nécessaire information sur lafertilité d’unefemme et sa décroissance enfonction de 1‘âge.
L ‘ANM veut encore souligner que 1 ‘extension de 1 ‘AMF à toutes les femmes comme celle deZ‘autoconservation des ovocytes par volonté personnelle correspondent à des demandes sociétales pourdes femmes qui ne souffrent d’aucune pathologie de la reproduction. II ne s ‘agit aucunement d’indications médicales conformes à la mission de la médecine qui est de soigner. Ce changement de nature de l’acte médical n ‘est pas sans soulever de sérieuses questions de fond pour 1 ‘avenir de la pratique médicale. D‘autant qu‘au regard d’une aspiration sociétale vers le report banalisé de 1‘âge de la conception,l’importance d’un avertissement des femmes n ‘est même pas mentionnée quant aux pertes de chance de fertilité et de risque foetal. L ‘ANM insiste à nouveau sur 1 ‘information nécessaire des femmes sur l’évolution de leurfertilité et souligne qu ‘il s ‘agit là d’un enjeu de santé publique majeur.