Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, membre du groupe de travail Famille de l’Institut Thomas More
Article original sur Le Figarovox 22 septembre 2020
Un homme devenu femme, père de sa fille avant de changer de sexe, voulait être reconnu comme mère de l’enfant. La Cour de cassation a débouté sa demande. Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, membre du groupe de travail Famille de l’Institut Thomas More, auteur de Le débat confisqué. PMA, GPA, bioéthique, genre, #metoo, etc. (Salvator, 2019), se réjouit que le droit à la filiation reste inchangé et rappelle ce que signifie « être mère » au regard du droit français.
La Cour de Cassation a jugé qu’un homme devenu légalement une femme ne devenait pas pour autant la « mère » de son enfant, réfutant le plaidoyer estimant qu’un parent, dès lors qu’il a été reconnu « femme », deviendrait logiquement une mère. La Cour fonde sa décision sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », écartant l’aspiration de la plaignante. En quoi cet intérêt est-il en effet protégé par une décision qui n’a pas tenu compte du ressenti de celle-ci? Cela appelle à préciser, non pas seulement en négatif mais en positif, ce qu’est «être mère».
Être mère, c’est avoir partagé la relation d’enfantement avec un homme devenu par là le « père ». C’est surtout être née fille et avoir été la fillette de ses parents : ce vécu d’enfance dans la relation aux parents, qu’il soit marqué de bonheurs ou de déchirements (le plus souvent un mélange des deux), prépare la fille à tisser le lien maternel, capacité propre à la femme de parler à son bébé ses émotions balbutiantes, l’éveillant à lui-même depuis l’intériorité de sa vie affective naissante. Cette disposition caractérise la fonction maternelle, dont le père est nécessairement exclu de cette symbiose, lui qui est chargé d’opérer la médiation de la « dyade mère-enfant » depuis une situation d’extériorité. Pour le père comme pour la mère, les impressions de leur enfance, de garçon et fils pour lui, de fillette et fille de ses parents pour elle, avec leurs joies et leurs démêlés, sont le guide permettant de ressentir au plus près les besoins de leur enfant et donc de jouer leur rôle de parents.
Le juridique a pour fonction de favoriser l’épanouissement du lien maternel puis familial ; son énoncé classique, mater certissima, joue ce rôle en confortant l’attente de l’enfant d’un amour maternel inconditionnel, en contraste avec l’amour conditionnel du père qu’il faut à l’enfant gagner par ses efforts et au père prouver par son implication. Mais il avait aussi pour fonction de prémunir de toute substitution d’enfant à la naissance, crainte qui allait jusqu’à recourir aux témoins, l’accouchement étant le repère juridique certifiant la maternité.
Cette fonction du droit, bousculée par le progrès des techniques et l’évolution des mœurs, est surtout piégée par l’envahissement du droit français hérité de la tradition latine, par les principes du droit anglo-saxon qui émane d’une culture n’intégrant pas dans ses principes la création du lien filial, la méconnaissant ou valorisant une conception du droit ne s’immisçant pas dans la « vie privée ».
La décision de la Cour de Cassation apparaît ainsi comme l’heureuse tentative de contrer la dérive anglo-saxonne du droit français, autrement dit de restaurer le lien filial, donc le besoin de l’enfant, au principe des lois relatives à la famille, ce qu’ont hélas négligé des lois récentes (sur le mariage et l’adoption en 2013, sur la bioéthique, loi en cours de seconde lecture parlementaire). C’est d’abord l’intérêt de l’enfant, afin que ne soit pas brouillée la logique de sa venue au monde, qui est le socle de sa raison d’être.
Mais c’est aussi l’intérêt de l’adulte concerné. Rien ne permet de préjuger de l’amour qu’elle/il pourra apporter à son enfant, et rien ne contredit que s’y déploie une fibre maternelle intense ; mais que celle-ci devienne marquée du sceau de la validation juridique ferait un placage factice à l’attitude de vérité qui fait à chaque parent élever son enfant depuis le vécu, simple ou tourmenté, de son propre passé de garçon ou de fille. Le droit édicté par la Cour de Montpellier piégeait l’authenticité de la relation de ce parent à son enfant ; la Cour de Cassation leur a épargné ce piège.
Plus généralement, le droit français doit refuser la falsification qu’entraîne le fait d’entériner l’aspiration des adultes demandant un changement de sexe, sans considérer le retentissement, sur l’enfant lorsque le lien familial est concerné, et sur la collectivité. Cela appellerait que ce changement ne soit pas masqué et demeure mentionné dans l’état civil, en prenant juste la précaution qu’il ne fasse l’objet ni de critiques, ni de discriminations.
En outre s’impose à notre vie sociale une réflexion effective sur le changement de sexe lorsqu’il est réclamé par des enfants mineurs. La culture française, par une compréhension aboutie de la vie psychique de l’enfant, ne peut ignorer que s’y témoigne un désarroi qui appelle beaucoup de réflexion et de prudence, et non des traitements invasifs et des décisions hâtives à la manière anglo-saxonne, qui peuvent aboutir à des regrets catastrophiques.
La perspective française du droit est d’autant plus essentielle à préserver et à promouvoir, que le lien filial dont elle tient compte, dans l’intérêt de l’enfant, est la matrice de ce qui devient le lien social dans la vie collective.
Voir l’analyse de Juristes pour l’enfance sur cette décision:
Un homme devenu femme ne peut être inscrit comme mère sur l’acte de naissance