par Aude MIRKOVIC, maître de conférences en droit privé, porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance
Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification (C. civ. art. 61-5), y compris sans avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation (C. civ. art. 61-6). Notons qu’il est paradoxal que, tout en déniant à la réalité corporelle toute portée pour déterminer le sexe d’une personne, la loi confère une importance démesurée à des aspects secondaires comme l’apparence, le comportement, le vêtement. Une circulaire expliquant ce que signifie se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiquéserait certainement fort distrayante, de telles précisions ayant de fortes chances de verser tout droit dans des stéréotypes en théorie décriés.
La modification de la mention du sexe à l’état civil est possible pour les majeurs ou mineurs émancipés, lesquels peuvent également subir des transformations somatiques pour perdre les caractéristiques de leur sexe d’origine et tenter d’acquérir celles du sexe revendiqué.
Les enfants qui présentent des troubles de l’identité de genre, à savoir des garçons intimement convaincus d’être filles et inversement, ne peuvent donc initier un changement de la mention de leur sexe à l’état civil avant leur majorité : la même prudence n’est-elle pas de mise en ce qui concerne les aspects médicaux qui, contrairement à l’état civil, ont un impact direct et parfois irréversible sur le corps de la personne concernée ?
La question du caractère thérapeutique des traitements médicaux hormonaux et, a fortiori, de la chirurgie ayant pour but de faire ressembler un individu d’un sexe au sexe opposé, se pose déjà pour les adultes. Dans tous les cas, se pose la question des limites : lorsqu’une personne exprime un ressenti en contradiction avec sa morphologie, jusqu’à quel point accepte-t-on de la transformer pour mettre en adéquation ressenti et apparence physique ? Au Canada, un homme marié et père de sept enfants a entrepris une transition de genre et a opté pour le prénom Stéphanie. Il a en outre découvert sa véritable identité non seulement de femme, mais de fillette de 6 ans. Il porte donc des robes et des couettes et a été recueilli par un couple en quête de l’adoption d’un enfant pour tenir compagnie à leur fille unique de 7 ans[1]. La chirurgie qui lui donnerait une apparence concordant avec son âge revendiqué relèverait-elle de la thérapie ? Et que dire des personnes qui se pensent moins humain qu’animal et ont entrepris dans certains pays qui l’autorisent de la chirurgie esthétique à haute dose pour ressembler au plus près à une panthère, un chat ou un lézard ?
Est-ce du soin ? Cela semble plutôt relever de la mutilation et le consentement des intéressés semble bien peu en mesure de justifier les interventions du médecin. D’ailleurs il arrive que ces personnes, qui ont cru trouver un apaisement à leur mal être dans ces transformations, finissent par se suicider. La médecine ne devrait-elle pas avoir pour priorité d’aider la personne à accepter ce qu’elle est avant de penser à la transformer ? Les enjeux éthiques liés à la transformation des corps concernent tous les individus mais, lorsqu’il s’agit d’un enfant qui réclame des traitements pour changer de sexe, la question prend des allures gravissimes car la vie de l’enfant sera impactée par ces actes qu’il pourrait regretter.
En France, des consultations transgenre pour les mineurs ont été ouvertes par les hôpitaux de la Pitié-Salpêtrière et Robert-Debré. En 2017, ils recevaient une cinquantaine de patients de 5 à 20 ans venus de toute la France. Des consultations sont désormais ouvertes dans d’autres villes. Les enfants sont d’abord suivis par un pédopsychiatre, sans traitement médical : « Bien souvent, le fait de pouvoir exprimer leur perception profonde d’eux-mêmes et leur souffrance sans que cela soit remis en cause leur permet d’aller mieux », observe la docteure Condat, responsable de la consultation pour enfants à l’hôpital Pitié Salpétrière, qui ajoute que « Plus de la moitié des enfants qui expriment cela avant la puberté reviennent ensuite à leur sexe d’assignation et oublient parfois qu’ils se sont un jour posé la question »[2].
A l’arrivée de la puberté, des traitements visant à bloquer la puberté peuvent être proposés. Leurs effets ne sont pas définitifs et, si le traitement est stoppé, la puberté reprend son cours. A partir de quatorze ans, des hormones masculinisantes (testostérone) ou féminisantes (oestrogènes) peuvent être prescrites. A la majorité, la chirurgie pourra être envisagée.
Cette prise en charge médicale des enfants qui vivent une dysphorie de genre suscite de nombreuses interrogations. En effet, d’un point de vue neurologique, le cerveau de l’adolescent est immature et manque de la capacité adulte pour l’évaluation des risques[3]. L’American College of Pediatriciansestime les enfants et les adolescents n’ont pas la maturité nécessaire[4]sans compter que, selon l’Association psychiatrique américaine, 98% des garçons concernés finissent par accepter leur sexe biologique après avoir naturellement passé par la puberté[5]. Il n’y a pas d’élément permettant d’assurer avec certitude que la confusion persistera. En revanche, la prise en charge médicale précoce ne risque-t-elle pas de perpétuer inutilement la confusion au détriment de la santé psychologique à long terme des enfants impliqués ?
Par ailleurs, les risques associés aux bloqueurs de la puberté et aux traitements masculinisant ou féminisant sont mal connus. Le Dr Agnès Condat l’explique : « Nous ne sommes pas sûrs qu’il n’y ait pas des effets, notamment sur le cerveau. La puberté s’accompagne de phénomènes hormonaux qui influencent le développement cérébral, psychique et psychoaffectif. Que se passe-t-il quand nous la retardons de deux ou quatre ans chez un enfant de 12 ans ? Ça a sans doute des effets qui n’ont jamais été évalués »[6]. Selon certains experts, les hormones de blocage de la puberté inhibent la croissance et la fertilité et auront des effets à long terme sur tout enfant qui les prend[7]. Les enfants ne seraient jamais en mesure de concevoir des enfants génétiquement liés, même à travers la technologie artificielle de reproduction[8]. Les traitements hormonaux ont été considérés par certains organismes médicaux professionnels dont l’American College of Pediatricianscomme équivalant à la maltraitance des enfants[9].
Il convient encore d’ajouter que le taux de suicide chez les personnes (adultes) qui prennent des traitements hormonaux et subissent la chirurgie de réassignation sexuelle est vingt fois plus élevé que parmi la population générale, y compris dans les pays considérés comme les plus « tolérants » comme la Suède[10], ce qui dément le préjugé selon lequel le manque d’acceptation sociale serait la cause du suicide chez les transsexuels. Les traitements médicaux n’apparaissent par conséquent pas comme une réponse toujours suffisante ou adaptée au malaise réel lié à la dysphorie de genre puisque les suicides demeurent nombreux, y compris à l’issue des traitements. Ceci ne peut qu’inviter à plus encore de prudence à l’égard des enfants.
[1]« Canada: Trans, elle quitte sa femme et leurs sept enfants pour vivre comme une fille de 6 ans », 20 minutes, 13 décembre 2015 https://www.20minutes.fr/societe/1749847-20151213-canada-trans-quitte-femme-sept-enfants-vivre-comme-fille-6-ans
[2]Hélène Guinhut, « Au pays des enfants transgenres », Elle.fr, 19 août 2017, http://www.elle.fr/Societe/News/Au-pays-des-enfants-transgenres-3520367
[3]Michelle A. Cretella, Gender Dysphoria in Children and Suppression of Debate, 21 J. of Am. Physicians & Surgeons 50, 53. (2016).
[4]« Gender Dysphoria in Children », American College of Pediatricians, août 2016 mis à jour novembre 2018, https://www.acpeds.org/the-college-speaks/position-statements/gender-dysphoria-in-children
[5]American Psychiatric Association: Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition, Arlington, VA, American Psychiatric Association, 2013 (451-459). See page 455 re: rates of persistence of gender dysphoria.
[6]Hélène Guinhut, op. cit.
[7]Hembree, WC, et al. Endocrine treatment of transsexual persons: an Endocrine Society clinical practice guideline. J Clin Endocrinol Metab. 2009; 94: 3132-3154.
[8]Moore, E., Wisniewski, & Dobs, A. “Endocrine treatment of transsexual people: A review of treatment regimens, outcomes, and adverse effects.” The Journal of Endocrinology & Metabolism, 2003; 88(9), pp. 3467-3473.
[9]https://www.acpeds.org/the-college-speaks/position-statements/gender-ideology-harms-children
[10]Dhejne, C, et.al. Long-Term Follow-Up of Transsexual Persons Undergoing Sex Reassignment Surgery: Cohort Study in Sweden, PLoS ONE, 2011; 6(2). Affiliation: Department of Clinical Neuroscience, Division of Psychiatry, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden.