La communauté médicale, lors de la conférence de Chicago en 2005, a désigné comme « troubles du développement sexuel » (Disorders of Sexual Development, DSD)[1]la situation des enfants dont il est malaisé, voire impossible, de déterminer le sexe à la naissance parce qu’ils ne présentent pas une appartenance claire à l’un des sexes masculin ou féminin. En France, les médecins parlent aussi d’ « anomalies du développement génital » (ADG). Il s’agit « des situations médicales congénitales caractérisées par un développement atypique du sexe chromosomique (ou génétique), gonadique (c’est‐à‐dire des glandes sexuelles, testicules ou ovaires) ou anatomique (soit le sexe morphologique visible) »[2]. Les situations sont très variées et, si l’ambiguïté sexuelle peut être apparente à la naissance, on la découvre aussi parfois plus tard, par exemple en recherchant les cause d’une infertilité[3]. Le nombre des naissances en France est évalué à environ 200 par an, une pour 1 500 à 2 000 naissances, auxquelles il faut ajouter les personnes qui « naissent avec des formes de variations sexuelles plus subtiles, qui ne sont pas immédiatement décelables »[4].
L’état civil. Une des questions posées au droit intéresse la mention du sexe à l’état civil à la naissance et la difficulté sert de support à la revendication d’un troisième sexe ou un sexe neutre. La Cour de cassation a explicitement rejeté cette possibilité car « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin »[5]. En tout état de cause, le sexe « neutre » ou « autre » ne semble pas une solution car il ne signifie rien en soi et n’est défini que par rapport à ce qu’il ne veutpas être : ni homme ni femme. En outre, cette mention ne correspondrait pas à ce que vivent nombre de personnes concernées, qui se pensent clairement comme homme ou femme tout en présentant la particularité de posséder un ou plusieurs éléments de l’autre sexe et ne se reconnaissent en rien dans un sexe dit neutre.
En pratique, il convient de rattacher l’enfant au sexe le plus probable, avec la possibilité ensuite de corriger la mention du sexe si elle s’avérait ne pas correspondre à son développement ultérieur. C’est la solution préconisée par lacirculaire de 2011 sur l’état civil qui donne les indications suivantes : « Lorsque le sexe d’un nouveau-né est incertain, il convient d’éviter de porter l’indication « de sexe indéterminé » dans son acte de naissance. Il y a lieu de conseiller aux parents de se renseigner auprès de leur médecin pour savoir quel est le sexe qui apparaît le plus probable compte tenu, le cas échéant, des résultats prévisibles d’un traitement médical. Ce sexe sera indiqué dans l’acte, l’indication sera, le cas échéant, rectifiée judiciairement par la suite en cas d’erreur »[6]. Cependant, une telle rectification est transcrite sur l’acte de naissance en tant que mention marginale et figure ensuite sur les extraits d’acte de naissance, ce qui rend visible la rectification et pourrait opportunément évoluer.
La circulaire prévoit le cas où aucun sexe ne pourrait être privilégié : « Si, dans certains cas exceptionnels, le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d’un nouveau-né, mais si ce sexe peut être déterminé définitivement, dans un délai d’un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés, il pourrait être admis, avec l’accord du procureur de la République, qu’aucune mention sur le sexe de l’enfant ne soit initialement inscrite dans l’acte de naissance. Dans une telle hypothèse, il convient de prendre toutes mesures utiles pour que, par la suite, l’acte de naissance puisse être effectivement complété par décision judiciaire »[7]. Cette possibilité de laisser provisoirement vacante la mention du sexe, outre que sa légalité est douteuse[8], semble fort risquée car elle impose à l’enfant de grandir et se construire sans rattachement à un sexe, ce qui pourrait entrainer une violence pire que celle que l’on cherche à éviter : est-il seulement possible de grandir sans sexe ? Comment s’adresser à l’enfant, comment parler de lui : au masculin, au féminin ?
La réponse médicale. L’autre aspect qui intéresse le droit est celui de la réponse médicale à apporter à ces situations. La correction chirurgicale des anomalies sexuelles chez les bébés a pu conduire par le passé à des catastrophes car certains ont gardé des séquelles physiques importantes et/ou ont développé une identité sexuelle en désaccord avec le sexe qui avait été privilégié. Quelques-uns, qui ont beaucoup souffert des traitements réalisés pendant leur enfance dans le cadre d’une prise en charge médicale défectueuse, militent pour que ces opérations, lorsqu’elles ne sont pas nécessaires à la vie ou la santé des enfants, ne soient plus pratiquées afin d’attendre de voir comment l’enfant se développe et idéalement le laisser s’exprimer. Ils militent en outre pour que l’intersexuation ne soit plus considérée comme une anomalie mais comme une façon d’être originale et aussi valable que le fait d’être homme ou femme. Ils se désignent comme des personnes « intersexes » ou « intersexuées ».
Cependant, il convient tenir compte aussi du fait que, pour nombre d’enfants concernés, les corrections apportées dès la naissance leur ont permis de grandir et se construire dans un sexe le plus évident possible dès leur petite enfance. N’y a-t-il pas aussi un fort risque de violence psychique à imposer à un enfant de grandir avec un sexe indéterminé ? Il est d’ailleurs possible de privilégier le sexe le plus probable pour l’enfant sans procéder immédiatement à des opérations irréversibles. Les conditions de la prise en charge actuelle ont beaucoup évolué et ce serait une réponse exagérée aux souffrances (réelles) vécues par des personnes aujourd’hui adultes que de priver tous les enfants qui naissent aujourd’hui des soins que la médecine peut leur proposer. En tout état de cause, les situations sont extrêmement variées et ne peuvent recevoir des réponses qu’au cas par cas.
Le courant de revendication « intersexe » s’inscrit dans une tendance qui tend à nier la pathologie considérée comme négative, pour ne voir que des différences là où on voit habituellement un problème : ainsi, certains affirment ainsi que le fait d’être sourd n’est pas une pathologie mais une façon d’être différente de ce qu’on a arbitrairement considéré comme normal, le fait d’entendre. Dans cette perspective, il n’y a rien à soigner s’il n’y a pas de pathologies. Mais alors, les enfants siamois remettent-ils aussi en cause le fait que chaque être humain est individualisé par un corps délimité ? Ont-ils le droit d’être respectés dans leur différence, avoir un corps pour deux, ou au contraire ont-ils le droit d’être soignés, pour être individualisés autant que faire se peut chacun dans leur propre corps ?
Le Conseil d’État, dans son rapport rendu en vue de la révision de la loi de bioéthique, retient l’expression de « variations du développement génital »[9], sans exclure pour autant toute dimension pathologique de ces « variations ». L’expression n’est pourtant pas sans danger et le Conseil d’Etat n’est d’ailleurs pas sans inquiéter lorsqu’il préconise de différer les interventions chirurgicales sur les enfants, sauf « motif médical très sérieux ». Certes, une intervention de ce type devra sans doute être justifiée par un motif médical très sérieux, mais est-il sérieux de poser comme principe « d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui‐même la balance avantage‐risque de l’acte envisagé »[10] ? A partir de quel âge le mineur sera-t-il capable de participer à une telle décision ? Ne le prive-t-on pas d’une chance d’être pris en charge de façon précoce, sous prétexte d’attendre son avis ? Sans compter que, en attendant qu’il puisse participer à la décision, il lui sera imposé de grandir sans sexe déterminé, ce qui pourrait réaliser comme il a été dit plus haut une forme de violence. Si la loi désigne les parents comme représentants légaux de l’enfant, c’est justement pour leur confier la mission de prendre des décisions dans l’intérêt de l’enfant alors que ce dernier ne peut consentir lui-même, ni même participer à la décision s’il est trop jeune : est-ce sauvegarder l’intérêt de l’enfant que de le priver de toute possibilité d’intervention avant qu’il ne puisse s’exprimer ?
Christian Flavigny et Michèle Fontanon-Missenard, pédopsychiatres et psychanalystes, « expliquent qu’il est illusoire d’estimer qu’un enfant pourrait ainsi développer une capacité de jugement, la maturation psychique étant dépendante de l’établissement de la sexuation: on ne peut grandir enfant puis se définir garçon ou fille, l’enfant ne grandit qu’en tant que «garçon ou fille». Le laisser dans l’attente, « c’est donc démissionner du rôle des adultes à son égard qui est d’assurer à l’enfance une suffisante insouciance pour découvrir le monde, c’est le livrer à l’utopie d’une décision future qui hantera en vain son éveil psychique » (Christian Flavigny, Michèle Fontanon-Missenard, pédopsychiatres et psychanalystes, Le Figarovox, 17/05/2019).
Tout patient a droit à des soins de qualité, et la prudence est de mise car les erreurs passées de la médecine dans la prise en charge des enfants présentant des troubles du développement sexuel semblent sur le point de priver les enfants d’aujourd’hui, instrumentalisés par une forme de négation de leur pathologie, des soins auxquels ils ont droit.
[1]Hugues IA, Houk C, Ahmed SF, LWPES1/ESPE2 Consensus Group Et al. Consensus statement on management of intersex disorders. Archives of Disease in Childhood 2006; 91: 554-563.
[2]Conseil d’Etat, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 129.
[3]Pour une présentation des variations sexuelles, voir Droits de l’homme et personnes intersexes, Document thématique publié par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, juin 2015, p. 14-15. Ce rapport a fait l’objet d’une réponse par des endocrinologues pédiatres et chirurgiens pédiatres d’Europe (Belgique, GB, UK, Italie, Autriche, Allemagne) en lien avec les associations de patients concernées, Cools M, et al. Response to the Council of Europe Human Rights Commissioner’s Issue Paper on Human Rights and Intersex People. Eur Urol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.eururo.2016.05.015
[4]Droits de l’homme et personnes intersexes, op. cit. p. 16.
[5]Cass. civ. 1ère, 4 mai 2017, no 16-17189.
[6]Circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation, NOR : JUSC1119808C, n° 55.
[7]Id.
[8]Conseil d’Etat, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 131.
[9]Conseil d’Etat, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 129.
[10]Conseil d’Etat, op. cit. p. 139.