FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le professeur de droit voit dans les propositions de la mission parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique une véritable «révolution». Il regrette en particulier l’absence de clarté sur la question de la gestation pour autrui.
Jean-René Binet est professeur à la faculté de droit de Rennes, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, et auteur du manuel Droit de la bioéthique (LGDJ, coll. «Manuels», décembre 2017).
FIGAROVOX.- Un rapport parlementaire vient de lancer le processus législatif en vue de la révision de la loi de bioéthique. Il fait suite à des états généraux puis de nombreuses auditions parlementaires: ces consultations permettront-elles de faire émerger un consensus autour de ces questions délicates?
Jean-René BINET.- Sur les questions de bioéthique, le consensus est particulièrement difficile à obtenir, tant en raison de l’existence nécessaire de positions irréconciliables entre les différents acteurs, que parce que de nombreuses questions, par leur complexité, nécessitent de croiser plusieurs regards. C’est pourquoi on observe de manière constante qu’en la matière plus qu’en beaucoup d’autres, les opinions transcendent les frontières des partis, des groupes politiques ou le clivage droite-gauche.
Ainsi, lors des débats ayant conduit à l’adoption des premières lois, en 1994, il était fréquent de voir des parlementaires communistes s’associer à ceux de la démocratie chrétienne pour affirmer leur ferme opposition à la marchandisation du vivant. Ainsi encore, certaines des questions aujourd’hui encore en débat donnèrent lieu, lors de la révision de 2011, à de telles reconfigurations politiques temporaires. En matière de gestation pour autrui, des amendements visant à l’encadrer furent déposés à l’Assemblée nationale par des députés appartenant à des groupes politiques différents: M. Mamère (verts), MM. Brindeau et Lagarde (nouveau centre), Mme Filippetti et M. Bloche (PS). Ils n’eurent pas gain de cause face à un groupe UMP unanime. Au Sénat, en revanche, la question divisa la majorité puisque le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Milon, sénateur UMP, était le signataire principal d’une proposition de loi déposée quelques mois plus tôt pour légaliser cette pratique de sorte qu’il déposa et défendit un amendement qui introduisait dans le code de la santé publique un chapitre intitulé «Gestation pour autrui». En matière d’assistance médicale à la procréation, quand M. Muzeau, député appartenant au groupe de la gauche radicale et citoyenne, avançait que «le fait d’interdire à des personnes d’y recourir au motif de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle, directement ou par le biais de leur statut matrimonial, constitue (…) une discrimination qui, parce que contraire à notre tradition républicaine, doit être impérativement levée», M. Claeys, socialiste, répliquait «si l’on dit – c’est la position de mon groupe – qu’il convient d’accepter l’AMP pour les couples de femmes, n’y a-t-il pas discrimination si, dans le même temps, on refuse la gestation pour autrui?», ce qui le conduisait à s’exprimer contre cette extension.
On peine à discerner, dans le contenu du rapport, la recherche de points d’équilibre ou de positions partagées.
Si le consensus est difficilement accessible et, à certains égards, peu souhaitable, ce qui étonne s’agissant du présent rapport réside dans le caractère particulièrement clivant des propositions avancées par son rapporteur. Contrairement à l’état d’esprit qui préside usuellement au fonctionnement des missions d’information, on peine à discerner, dans le contenu du rapport, la recherche de points d’équilibre ou de positions partagées. Pour mémoire, la mission parlementaire sur la fin de vie, qui comprenait, comme le veut la règle, des députés de la majorité et de l’opposition, avait permis l’adoption d’une position commune unanime. Par ailleurs, lors de la précédente révision de la loi de bioéthique, le travail mené par la mission avait permis un dialogue entre les députés de la majorité et de l’opposition suffisamment fécond pour que, sur une idée émise par un parlementaire de l’opposition, fussent organisés des états généraux de la bioéthique qui sont depuis lors devenus obligatoires avant toute révision des lois de bioéthique. Sous cet angle, les travaux de la présente mission semblent avoir manqué cet objectif. Il est d’ailleurs symptomatique que la seule députée de la majorité à avoir exprimé publiquement son désaccord avec le contenu du rapport soit l’objet d’une demande solennelle de fermeté au président de groupe de la part d’une trentaine de députés LREM, dont l’ancien ministre et député de la Manche Stéphane Travert, et suscite l’ire du porte-parole du Gouvernement.
Le rapport paraît ouvrir la voie à des «avancées» considérables: est-ce une révolution en matière de bioéthique?
Certaines des modifications proposées sont en effet de nature à justifier l’emploi du terme «révolution». Pour en prendre mesure, il faut cependant avoir à l’esprit la philosophie générale de notre droit de la bioéthique depuis 1994. La construction de ce droit, telle que l’avait initialement souhaitée le président Mitterrand, visait à permettre l’expression d’un choix politique sur de nombreuses questions qui avaient en commun de porter sur la vie ou l’utilisation du corps humain et d’être fondées sur une interrogation première: ce qui est scientifiquement possible est-il socialement souhaitable?
S’il s’était agi de considérer que la faisabilité technique était une justification suffisante de la permission légale, de grands débats n’auraient certainement pas été nécessaires. Mais c’est à l’issue de longs débats particulièrement riches et passionnés que le législateur a adopté, en 1994, des lois qui, si elles n’étaient pas parfaites, démontraient au moins une réflexion profonde sur la fonction de la loi en matière de bioéthique. Ces débats ont conduit à affirmer le refus de la marchandisation du corps humain et de l’artificialisation de la procréation humaine, la ferme prohibition des pratiques eugéniques ainsi que le devoir de respecter le corps humain, l’être humain dès le commencement de la vie, et la dignité de la personne humaine. Au regard de ces principes, certaines des propositions du rapport sont préoccupantes. C’est le cas de celle qui vise à aligner les recherches sur les cellules-souches embryonnaires sur celui des autres cellules, méconnaissant ainsi leur nature propre et la nécessité symbolique de les inclure dans le champ du respect dû à l’embryon humain, premier stade de développement de la vie de toute personne.
Sur le plan juridique, on ne saurait d’ailleurs objecter, comme le fait le rapport, que ces cellules ne constituent pas un embryon pour atténuer le devoir de respect qui leur est dû. En effet, la Cour de Justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 18 octobre 2011 a ainsi pu refuser la brevetabilité d’une invention pour sa contrariété à la dignité de la personne humaine car elle était fondée sur l’utilisation de cellules-souches embryonnaires. Au-delà de la question des recherches sur l’embryon, diverses propositions relatives au développement du diagnostic devraient en outre susciter de sérieuses réserves tant elles risquent d’orienter notre législation vers un modèle eugénique. C’est ainsi que le CCNE, dans son récent avis consacré à la révision de la loi de bioéthique, suggérait l’extension du dépistage préconceptionnel en affirmant qu’il constituait «une étape supplémentaire dans la médicalisation d’un acte naturel (la procréation) et impliquerait nécessairement un coût et de nouvelles activités aux services de santé (…) à mettre en perspective des dépenses qu’imposent les traitements et la prise en charge du handicap concerné. Plus généralement, l’essor des techniques de dépistage à différents stades de la procréation renforcerait la revendication d’un «droit à l’enfant sain» et soulèverait aussi de nombreuses questions éthiques entachées d’illusions à composante eugéniste» (p. 69). Or, si le rapport reprend à son compte la proposition de généralisation de ces tests, il est muet sur les interrogations qu’elle soulève au regard de ses ressorts eugéniques.
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Sans surprise, le rapport propose notamment l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et plus seulement aux couples stériles. Quelles seraient les conséquences d’une telle décision?
De nouveau, on ne peut saisir l’importance de la modification qu’au regard des dispositions actuelles et de l’esprit dont elles témoignent. En 1994, le législateur a déterminé les règles du recours à l’AMP pour permettre de conférer à l’enfant à concevoir grâce aux techniques mises en œuvre, une filiation crédible. Ainsi, qu’il soit ou non né d’une technique d’assistance médicale à la procréation, l’enfant doit pouvoir se représenter ou se présenter à la société comme étant né ainsi que le sont tous les enfants. Les articles 311-19 et 311-20 du Code civil organisent en effet, à son profit et dans son intérêt, une filiation suffisamment vraisemblable pour être régie par les dispositions du titre VII du livre I du Code civil consacrées à la filiation charnelle: la technique médicale utilisée est, pour ainsi dire, effacée par la technique juridique l’organisant. Cette fiction structurante permet d’expliquer pourquoi l’assistance médicale à la procréation est réservée par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique à un couple formé d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer. Si l’enfant naît dans un tel couple, rien n’indiquera au monde que sa naissance doit quelque chose à la technique.
Une différence de situation peut parfaitement et sans discrimination justifier une différence de régime.
C’est aussi ce qui justifie l’existence des conditions médicales posées par la loi: stérilité pathologique ou risque de transmission d’une maladie. Dès lors que l’AMP serait ouverte aux couples de femmes, la position de la filiation vraisemblable ne serait plus tenable. Par effet de système, c’est ce qui conduit le rapporteur à envisager l’extension de l’AMP aux femmes seules, ainsi que la PMA post-mortem. Quant à l’établissement du lien de filiation, ne pouvant plus s’autoriser d’une quelconque vraisemblance, il serait retiré du titre consacré à la filiation charnelle pour relever de dispositions spéciales, un titre VII bis, qui s’appliquerait également aux couples de personnes de sexe différent ayant recours à un don de gamètes.
De prime abord, il ne me semble pas que, pour ces couples, l’évolution projetée soit constitutive d’un progrès. Elle n’est d’ailleurs pas nécessaire dans la mesure où la jurisprudence retient que les couples de personnes de même sexe se trouvent, au regard de la procréation, dans une situation différente des couples de sexe différent. Cette différence de situation peut parfaitement et sans discrimination justifier une différence de régime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais condamné la France en raison de l’interdiction faite aux couples de femmes d’avoir recours à la PMA.
Le rapport aborde également la question de la GPA. Le consensus trouvé (maintenir l’interdiction en France mais mieux accueillir les enfants nés de GPA à l’étranger) vous paraît-il satisfaisant?
Il convient d’être parfaitement clair sur la pratique de la GPA.
Sur la question de la GPA, il me semble artificiel de dissocier la pratique de ses effets. Lors de la précédente révision, le Conseil d’État avait émis la suggestion reprise par le rapport de M. Touraine. Toutefois, la mission d’information avait, à l’époque, retenu que «ces solutions auraient pour effet de créer une profonde incohérence juridique par rapport à l’interdiction de la gestation pour autrui, puisqu’elles reviendraient à reconnaître des effets juridiques à une convention frappée de nullité» et se posait cette question «la fonction protectrice assurée par la loi ne serait-elle pas réduite à néant s’il suffisait de se rendre à l’étranger pour la contourner en étant assuré, à son retour en France, de voir sa situation ‘régularisée’? Ce faisant, n’encouragerait-on pas le tourisme procréatif? Et l’interdiction légale de la gestation pour autrui ne concernerait-elle plus, de fait, que les couples les moins fortunés qui n’auraient pas les moyens de se rendre à l’étranger?». Ces interrogations demeurent pertinentes aujourd’hui.
Il convient en effet d’être parfaitement clair sur la pratique de la GPA. Soit nous y sommes favorables et il convient de l’inscrire dans notre droit pour qu’elle se pratique dans un cadre organisé par la loi. Soit nous y sommes opposés et il faut la combattre sans faiblir en réarmant notre dispositif prohibitif. Je considère, avec beaucoup d’autres, que la GPA ne peut jamais être éthique en raison de la sujétion qu’elle impose aux mères porteuses. Vous comprendrez donc que la seconde option a ma préférence.
Déjà en 2013, les opposants à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels annonçaient l’arrivée prochaine de la PMA et de la GPA. L’histoire est-elle en train de leur donner raison?
C’est bien possible, mais il convient d’être prudent car nous ne disposons pas encore du projet de loi. Il faudra l’attendre et connaître l’issue des débats parlementaires pour, le cas échéant, effectuer ce constat.
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