ANNIE GENEVARD
Le Figaro – lundi 21 janvier 2019
Bioéthique : refusons la mainmise du marché sur la procréation humaine
La députée LR du Doubs, vice-présidente de l’Assemblée nationale, exprime son opposition envers le projet de la majorité tendant à consacrer un droit à la « procréation sans sexe pour tous », selon l’expression du rapporteur de la mission d’information sur la révision de la loi de bioéthique.
La lecture du rapport récemment adopté par la mission parlementaire d’information sur la révision de la loi de bioéthique inquiétera toute personne soucieuse d’éviter la mainmise du marché sur la procréation humaine. Sans le moindre égard pour les objections populaires exprimées lors des états généraux de la bioéthique, l’auteur du rapport, le député Jean-Louis Touraine, souhaite en effet « dépasser les limites biologiques de la procréation » et affirme qu’il serait logique de légitimer une « procréation sans sexe pour tous ». Le député recommande d’abandonner toutes les conditions du recours à l’assistance médicale à la procréation actuellement en vigueur. Il envisage ainsi d’admettre des pratiques jusqu’alors interdites : procréation pour les couples de femmes et les célibataires, procréation post-mortem, double don de gamètes, admission des effets produits par la gestation pour autrui, ou encore autoconservation des ovocytes. Il n’est pas anodin de constater que le rapport ouvre la porte à des opérateurs privés « afin de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes ».
À rebours de ce que préconise le rapporteur, j’affirme que la troisième révision de la loi de bioéthique doit être l’occasion de rappeler le refus de la marchandisation du corps humain et de la procréation, clé de voûte du modèle français de la bioéthique. Ce principe doit s’accompagner de mesures destinées à en assurer l’effectivité. Celle-ci exige le maintien des limites qui sont autant de garanties contre un basculement vers une société régie par la seule loi du techniquement possible et de l’économiquement profitable.
La première et la plus efficace de ces limites réside dans la finalité exclusivement thérapeutique des pratiques biomédicales. Ce qui vaut pour la plupart des questions – prélèvements et greffes d’organes, examens génétiques et recherches – revêt un sens particulier en matière d’assistance médicale à la procréation.
En conditionnant le recours à l’insémination artificielle ou à la fécondation in vitro au diagnostic médical d’une infertilité pathologique ou à la volonté d’éviter la transmission d’une maladie dûment identifiée, la loi française poursuit deux objectifs complémentaires.
D’abord, elle permet à ces pratiques de n’être qu’une assistance à un processus naturel entravé par un obstacle médical et conduit à ce que l’enfant à naître puisse bénéficier d’une filiation crédible : il n’est pas un enfant de la technique, mais celui d’un père et d’une mère. Autoriser, comme le souhaite Jean-Louis Touraine, l’assistance médicale dans un couple de femmes, reviendrait à organiser délibérément la privation définitive du droit de l’enfant à disposer d’une filiation paternelle. Parce qu’il aurait deux mères, l’enfant n’aurait pas de père !
Ensuite, ce modèle thérapeutique prémunit notre système contre tous les autres usages imaginables de recours à ces techniques. La démonstration nécessaire de l’infertilité due à une pathologie ou du risque avéré de transmission d’une maladie permet d’éviter les demandes qui ne seraient fondées que sur la convenance personnelle ou le désir d’un enfant « parfait ». Les conditions actuellement posées par la loi constituent le verrou le plus efficace contre l’avènement d’une société eugénique prophétiquement décrite par les auteurs de science- fiction. Les supprimer, comme le préconise le rapporteur, et généraliser dans le même temps les diagnostics préconceptionnels nous y conduiront tout droit.
Inscrivons de manière explicite, dans le Code civil, le principe d’indisponibilité du corps humain. Prévoyons, dans le Code pénal, des sanctions contre les Français ayant recours à l’exploitation des femmes par la gestation pour autrui. Pour éviter tant l’emprise des employeurs sur les choix procréatifs des salariées que la constitution d’un stock d’ovules qui sera rapidement convoité, l’autoconservation des ovocytes doit être maintenue dans un strict cadre de mesure de précaution au regard d’un traitement risquant d’altérer la fertilité. Enfin, pour prémunir notre société contre le risque d’une ubérisation généralisée de la procréation, réaffirmons le cadre thérapeutique du recours à l’assistance médicale à la procréation et opposons-nous à la généralisation et au développement du diagnostic préconceptionnel.
ANNIE GENEVARD
Le Figaro – lundi 21 janvier 2019
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