Intervention d’Aude Mirkovic, Maître de conférence (HDR) en droit à l’Université Paris Saclay, porte-parole de l’ONG Juristes pour l’enfance, à Rome le 18 avril 2024, au congrès de la Fondation Lejeune.
Texte de l’intervention
Un grand merci à la Fondation Lejeune pour cette invitation.
C’est un honneur pour moi d’être parmi vous, surtout ici à Rome, quelle chance !
Mon rôle est de dire un mot juridique de la gestation pour autrui (GPA) dans le contexte européen.
Les législations européennes sont variées : certains pays interdisent la GPA comme l’Italie[1], la France[2], l’Espagne2, l’Allemagne ou la Suisse. D’autres pratiquent la GPA en l’absence de législation spécifique, comme la Belgique ou les Pays-Bas. D’autres enfin ont légalisé la pratique comme le Royaume Uni[3] ou la Grèce, avec des modalités différentes selon les États.
Cette diversité européenne est à l’image de ce qui se passe dans le reste du monde.
A l’échelle mondiale, peu d’États ont légalisé la GPA. Pourtant, tous sont concernés : soit parce que leurs femmes sont sollicitées pour être mères porteuses ou fournir des ovocytes soit, surtout, quand leurs ressortissants se rendent à l’étranger, dans un pays où la GPA est légale, pour obtenir un enfant par ce moyen.
Cette dimension internationale favorise le développement de la pratique pour une raison principale : l’intérêt des enfants nés de GPA sert de prétexte pour justifier la légalisation de la pratique ou, au moins, obliger les États qui interdisent cette pratique à fermer les yeux sur la GPA subie par l’enfant et à « régulariser » la situation issue de cette GPA.
En Europe notamment, des initiatives internationales incitent les États à accepter d’être mis devant le fait accompli et à valider le processus de GPA, une fois celui-ci réalisé.
- Ainsi, dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme tend à contraindre les États à reconnaitre la filiation établie à l’étranger en exécution d’un contrat de GPA, autrement dit à donner effet sur leur sol à un procédé pourtant illicite dans leur législation interne.
La Cour déclare ainsi que les États doivent reconnaitre non seulement le lien de filiation entre l’enfant issu d’une gestation pour autrui et le père biologique mais, aussi, avec le parent d’intention, en général le conjoint ou la conjointe du père, alors même que cette parenté d’intention n’existe que parce que le contrat de GPA a organisé l’effacement de la filiation d’origine de l’enfant (avis, 10 avr. 2019, aff. P16-2018-001).
Dans le même ordre d’idée et dans le cadre cette fois de l’Union européenne, un projet de règlement sur la reconnaissance de la filiation transfrontière envisage d’imposer le fait qu’une filiation établie dans un État soit reconnue dans tous les États, quelle que soit la manière dont la filiation a été obtenue et y compris si elle résulte d’un processus de GPA[4].
Dans les 2 cas, l’objectif officiel est de sécuriser la filiation de l’enfant : en réalité, ce n’est pas la filiation de l’enfant qui est sécurisée, c’est l’atteinte à sa filiation qui est entérinée car tel est le principe de la GPA : effacer la mère de l’enfant pour le rendre disponible au projet d’autrui et laisser la place, le cas échéant, à un parent d’intention (ou deux).
Il est tentant de relativiser l’atteinte à la filiation de l’enfant en considérant que la mère porteuse n’est pas vraiment la mère de l’enfant. Justement, le procédé de GPA procède à éclatement des différentes composantes de la maternité entre plusieurs femmes : la fournisseuse d’ovocyte, la mère porteuse, la mère d’intention lorsqu’elle existe, ce qui revient encore à priver l’enfant de sa mère dès lors qu’il n’est plus possible d’identifier celle-ci de manière certaine. En outre, en dehors de ces aspects juridiques de filiation, l’enfant qui vient au monde ne connait qu’une seule mère, celle qui l’a porté : les bricolages procréatifs le concernant, par exemple le fait qu’il ne soit pas lié génétiquement à la mère porteuse, ne lui sont pas accessibles et ne relativisent pas la violence qui résulte pour lui d’être séparé d’elle.
Ainsi, ce n’est pas la situation de l’enfant qui est régularisée, reconnue, sécurisée mais celle des commanditaires, car reconnaitre les parents d’intention comme tels suppose de valider l’effacement de la filiation d’origine de l’enfant organisée par la GPA.
Il est particulièrement cynique que l’intérêt de l’enfant serve de prétexte pour « régulariser » la situation issue de la GGPA car fermer ainsi les yeux sur la GPA ne rend pas service à l’enfant, ni l’enfant concerné par la GPA en cause dans telle affaire, ni l’enfant en général.
Une fois l’enfant né de GPA, il n’existe aucune manière de réparer totalement le préjudice subi par lui :
- rien ne lui rendra une filiation claire et lisible.
- rien n’effacera le choc traumatique de la blessure d’abandon à laquelle la séparation de la mère porteuse l’a exposé. On pourra peut-être guérir cette blessure, mais non effacer ce qui est arrivé.
- rien n’effacera le fait que l’enfant a fait l’objet d’un contrat et, en l’occurrence, d’un contrat de disposition, que ce soit à titre rémunéré ou non : tant la mère porteuse qui remet l’enfant que les commanditaires qui le reçoivent, disposent de l’enfant Or, la disposition est, rappelons-le, la prérogative par excellence du propriétaire, abusus en latin, ce qui nous renvoie à la définition de l’esclavage par la Convention de Genève du 25 septembre 1926 comme « l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux »[5], définition reprise à l’article 224-1 A du code pénal français : « la réduction en esclavage est le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété ». Nous avons en mémoire cet avertissement du professeur Lejeune : « La qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle témoigne aux plus faibles de ses membres ». Or, en organisant une disposition de l’enfant, les parties au processus de GPA se comportent à son égard comme des propriétaires. Ce n’est certes pas le but, mais c’est la réalité, et l’amour promis à l’enfant ne change pas cette réalité.
En bref, il n’existe pas de moyens de réparer totalement le préjudice résultant pour l’enfant de la GPA. Pour autant, ce n’est pas une raison pour que ce préjudice soit ignoré : il reste alors à la justice à le nommer, le reconnaitre, et le réparer, dans la mesure du possible. Au contraire, ignorer la GPA subie par l’enfant sous prétexte de son intérêt réalise un déni de justice à son égard et ajoute un nouveau préjudice au préjudice résultant de la GPA elle-même.
Par ailleurs, le fait qu’il n’existe aucune solution satisfaisante une fois l’enfant né de ce processus invite à agir pour qu’il n’y ait plus de GPA ou, en tout cas, beaucoup moins : au contraire, fermer les yeux sur la GPA sous prétexte que « le mal est fait » dessert encore l’intérêt de l’enfant en général, car cela encourage le recours à la GPA et expose d’autres enfants à subir à leur tour cette pratique.
La bonne nouvelle est que cette résignation plus ou moins complice que nous constatons quasiment partout n’est pas inéluctable.
Il est possible et c’est la responsabilité des États de faire respecter le droit en la matière.
Union européenne. Révision de la directive sur la traite.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’Union européenne, la directive de 2011 sur la traite des êtres humains a été révisée le 23 avril dernier pour inclure l’exploitation de la GPA dans la liste des cas minimum que les États membres de l’Union européenne doivent sanctionner comme relevant de la traite.
Certes, la portée exacte de ce texte devra être précisée en raison de l’imprécision liée à ces termes « exploitation de la GPA » : est-ce que toute GPA est en soi une exploitation, ou bien seulement certaines modalités entrainant une contrainte sur la femme et, dans ce cas, quel genre de contrainte doit être caractérisée car il y a pratiquement toujours une forme de contrainte, économique le plus souvent mais aussi, en famille notamment, une contrainte sociale, familiale, affective.
En tout état de cause, le lien fait pour la 1ère fois entre GPA et traite humaine dans un texte juridique international contraignant est une étape majeure vers une prise de conscience sur la réalité de la GPA.
Cour européenne des droits de l’homme.
Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, il convient de préciser qu’elle n’oblige en réalité que les États qui le veulent bien : il semble que la Cour européenne serve elle-même de prétexte pour justifier la résignation ou même la complicité des États face à la GPA.
Tout d’abord, en ce qui concerne la protection des enfants nés de GPA, les États peuvent en réalité prévoir d’autres solution que la validation de la GPA et la reconnaissance de la filiation convenue par ce contrat.
Par exemple, la Cour européenne elle-même a validé la situation dans laquelle l’Islande a déclaré un enfant né par GPA aux États-Unis au profit de deux femmes mineur isolé, lui a nommé un tuteur d’État et l’a confié en famille d’accueil aux deux femmes[6].
La Cour européenne a encore validé le refus tant par l’Angleterre, où la GPA est légale, que par la France, où la GPA est illicite, d’établir la paternité du commanditaire de la GPA, alors même qu’il était le père biologique dans les deux cas, pour tenir compte des autres intérêts en jeu et, en particulier, de l’intérêt de l’enfant qui n’était pas dans ces affaires de voir sa filiation paternelle établie avec son père biologique.
Ou encore, le seul arrêt rendu par la Cour européenne en grande chambre, en 2017, a validé une situation italienne dans laquelle le gouvernement italien avait retiré l’enfant obtenu par GPA à se commanditaires pour le confier à l’adoption[7]. La Cour européenne avait pourtant, dans un 1er temps, condamné l’Italie, mais le gouvernement italien a fait appel et obtenu gain de cause devant la grande chambre.
Il appartient aux autres États, à commencer par la France qui collectionne les condamnations en la matière, de faire appel de ces condamnations et de réclamer leur droit de faire respecter leur législation, au lieu de priver d’efficacité les lois protectrices des femmes et des enfants en ce qu’elles interdisent voire sanctionnent la GPA.
Il apparaît donc que les États ont finalement une marge de manœuvre étendue et qu’il n’est pas exact de prétendre que toute tentative de lutte contre la GPA serait vouée à l’échec au regard de la jurisprudence européenne.
De plus, et surtout, la Cour européenne reconnait la légitimité des États à vouloir lutter contre la GPA[8]. Elle se mêle seulement de la filiation de l’enfant issu de la GPA, et les États ont toute possibilité d’agir en amont, pour éviter que leurs ressortissants ne recourent à la GPA :
- tout d’abord, en empêchant les intermédiaires de proposer leurs services en vue de la GPA : beaucoup moins de personnes prendraient le risque de se rendre en Ukraine ou au Nigeria pour faire une GPA si elles n’étaient pas accompagnées par des intermédiaires.
- Ensuite, en dissuadant leurs ressortissants de se tourner vers la GPA. Citons, par exemple, une proposition de loi en cours d’examen en Italie pour faire du recours à la GPA un délit universel, c’est-à-dire sanctionné y compris lorsque des Italiens recourent à la GPA à l’étranger[9].
Il est possible aussi de promouvoir d’autres formes de fécondités, comme les familles d’accueil, le parrainage, afin de permettre à des personnes désireuses de donner de l’amour à un enfant de s’investir d’une autre manière.
En conclusion : il est bien entendu fort louable de chercher à protéger les enfants nés de GPA. Mais cela est parfaitement compatible avec le fait d’agir en amont pour prévenir la GPA.
C’est ce que demande par exemple la Déclaration de Casablanca du 3 mars 2023 pour l’abolition universelle de la GPA, signée par une centaine de juristes, médecins et psychologues issus de 75 nationalités, qui invite les États à sortir de la résignation pour condamner la GPA dans toutes ses modalités, rémunérée ou non, et prendre en conséquence des mesures concrètes pour mettre fin à ce marché : neutraliser les intermédiaires et dissuader leurs ressortissants de se tourner vers cette pratique.
La Déclaration de Casablanca appelle en particulier les États à s’engager dans le cadre d’une Convention internationale pour l’abolition universelle de la gestation pour autrui, pour promouvoir un contexte mondial de refus de la GPA, susceptible d’entraîner de nombreux États dans ce sillage vertueux.
Cette initiative, émanant d’experts, n’a pas de valeur juridique. Elle a vocation cependant à proposer, susciter et promouvoir une expertise de pointe, pluridisciplinaire et internationale, afin de soutenir, susciter, appuyer des démarches politiques, juridiques, diplomatiques en vue de l’abolition de la GPA.
En outre, cette initiative issue de la société civile illustre, incarne le fait que la sauvegarde de la dignité humaine, en général, et ici en matière de GPA, est non seulement la responsabilité des États mais, aussi, l’affaire de tous. Quelle joie d’être ici en bonne compagnie pour défendre cette noble cause. Je vous remercie.
[1] loi n° 40/2004 du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée. Legge 19 febbraio 2004, n. 40 Norme in materia di procreazione medicalmente assistita. Article 12, paragraphe 6, de la loi du 19 février 2004 prévoit une infraction pénale à l’encontre de « quiconque, sous quelque forme que ce soit, se livre à la commercialisation de gamètes ou d’embryons ou à la gestation pour autrui, l’organise ou en fait la publicité ».
[2] Article 16-7 du Code civil : « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».
[3] Loi de 1990 sur l’assistance médicale à la procréation
[4] Proposition de Règlement du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l’acceptation des actes authentiques en matière de filiation ainsi qu’à la création d’un certificat européen de filiation, 7.12.2022.
[5] https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/slavery-convention
[6] CEDH, 18 mai 2021, aff. 71552/17, VALDÍS FJÖLNISDÓTTIR AND OTHERS c/ ICELAND.
[7] CEDH, 24 janvier 2017, n°25358/12, aff. Paradiso et Campanelli c. Italie.
[8] La prohibition de la GPA fait en effet partie des intérêts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : « la protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui », qui peuvent justifier une ingérence dans la vie privée des intéressés, du moment que cette ingérence est proportionnée.
[9] article 10 de la loi n° 14 du 26 mai 2006 sur les techniques de reproduction assistée
http://documenti.camera.it/leg19/dossier/pdf/gi0015a.pdf