Violences sexuelles entre mineur : Agir, prévenir, Guérir
Interview d’Olivia Sarton par Breizh Info : article original à lire sur le site Breizh-info.com
« Agir, prévenir, guérir », tel est l’esprit de l’ouvrage Violences sexuelles entre mineurs (Artège) qui aborde la délicate question du traitement des violences sexuelles commises entre mineurs. Face à ces situations mal connues et taboues, qui heurtent de front la vision commune de l’innocence de l’enfance, l’adulte peine à trouver la réponse ajustée : quand et comment doit-on réagir, alerter voire saisir la justice, comment accompagner les jeunes victimes, peut-on prévenir ces violences… ?
Cet ouvrage répond aux nombreuses questions que se posent les adultes confrontés aux abus sexuels entre mineurs, avec pragmatisme, sans dogmatisme ni visée moralisatrice. Les auteurs que réunit ce livre ont tous développé une expertise dans ce domaine difficile. Forts de leur expérience à la fois juridique et psychologique, ils proposent des repères, des clés d’analyse et des conseils concrets pour tous ceux qui se trouvent au contact d’enfants, parents, enseignants, éducateurs, et qui veulent comprendre et agir. Un regard lucide ouvrant, malgré tout, des chemins d’espérance.
Olivia Sarton a répondu à nos questions sur le sujet, ci-dessous.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Olivia Sarton : Je suis juriste au sein de l’association Juristes pour l’enfance, après avoir exercé comme avocate plus d’une douzaine d’années. Je suis par ailleurs titulaire d’un DU « auditeur d’enfants », c’est-à-dire que j’ai été formée à recueillir la parole de l’enfant dans un cadre judiciaire et extra-judiciaire.
Juristes pour l’enfance est une association loi 1901, fondée en 2008, apolitique, réunissant des juristes ou des personnes investies auprès de l’enfance qui désirent mettre leur expertise au service du bien commun et plus particulièrement au service de la défense des droits et besoins fondamentaux des enfants. L’association agit sur le terrain juridique. Elle s’appuie notamment sur la Convention Internationale des droits de l’enfant, adoptée dans le cadre de l’ONU en 1989 et ratifiée par la France en 1990.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire ce livre collectif ?
Olivia Sarton : Avec l’association Famille & Liberté, dont la Présidente Claire de Gatellier a co-dirigé avec moi ce livre, nous avons relevé il y a déjà quelques années l’augmentation déroutante des violences sexuelles entre mineurs, ou plus exactement leur développement dans tous les milieux et toutes les classes d’âge. Parallèlement nous avons constaté le désarroi des adultes témoins de ces violences et/ou responsables des enfants auteurs ou victimes.
Avec ce livre, nous avons voulu attirer l’attention sur ce sujet encore tabou mais surtout donner des clés d’analyse et des conseils indispensables pour tous ceux qui se trouvent au contact d’enfants, qu’ils soient parents, enseignants, directeurs d’établissements scolaires, éducateurs ou encore professionnels encadrant des mineurs.
Breizh-info.com : A-t-on des chiffres sur les violences sexuelles entre mineurs en France, en Europe ?
Olivia Sarton : Bien que les statistiques sur le sujet soient assez récentes, il semble qu’il y ait une forte augmentation des violences sexuelles entre mineurs depuis 1996. Entre 2016 et 2021, selon le rapport du Sénat « Prévenir la délinquance des mineurs. Eviter la récidive », ces violences ont augmenté de 59,7% : on est passé d’un peu moins de 6 500 mineurs mis en cause pour des infractions à caractère sexuel en 2016, à plus de 10 200 en 2021.
Les mineurs représentent jusqu’à 46 % des mis en cause pour violences sexuelles sur mineurs, ils sont surreprésentés dans ce type d’infraction. Les garçons agresseurs sont largement majoritaires.
75% des victimes sont des filles. Une victime sur deux a moins de 13 ans et une victime sur trois a moins de 10 ans.
Ces chiffres ne reflètent que les dépôts de plainte ou les faits signalés. Beaucoup d’agressions sexuelles, on le sait, ne font pas l’objet d’un signalement ou d’une plainte de la part de la victime qui a peur, qui n’a pas les moyens d’effectuer cette démarche ou qui décide, pour d’autres raisons, de ne pas la faire.
Seulement 38% des mineurs accusés d’une infraction à caractère sexuel reçoivent ce qu’on appelle une réponse pénale, qui peut être une mesure éducative, une peine d’amende ou d’emprisonnement ou encore des alternatives aux poursuites (une réparation, un rappel à la loi…)
Un autre chiffre suscite l’étonnement : 27,2% des auteurs ont moins de treize ans. 11% ont moins de dix ans. Il y a maintenant des abus sexuels ou à tout le moins des « comportements sexuels problématiques » commis par des enfants de 5-6 ans !
Il semble que cette trajectoire se retrouve dans d’autres pays européens, comme l’Espagne, qui s’inquiète de l’augmentation des violences sexuelles commises entre mineurs, avec des auteurs de 13 ans ou moins. Ce n’est pas étonnant, les mêmes causes produisent les mêmes effets et une des causes premières est l’exposition des mineurs à la pornographie, comme l’explique très bien Maria Hernandez Mora dans notre livre.
Breizh-info.com : Les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du phénomène et de ses conséquences ? Quid de la Justice et des réponses apportées ?
Olivia Sarton : Le fait qu’il y ait maintenant des chiffres collectés et des statistiques réalisées par le Ministère de la justice montre que le sujet n’est plus ignoré. En 2021, ce ministère a confié à la sociologue Marie Romero, en partenariat avec la Fédération française des centres de ressources et d’informations sur les auteurs de violence sexuelle, la réalisation d’une recherche sur la prise en charge des mineurs auteurs d’infractions à caractère sexuel confiés à la protection judiciaire de la jeunesse ; cette recherche a abouti à la publication d’un rapport en janvier 2023.
Mais ce n’est pas parce que le sujet n’est plus ignoré, que des réponses suffisantes sont apportées. Le rapport de 2023 souligne les multiples difficultés de prise en charge : « soins pénalement ordonnés rarement mis en place, lenteur du système judiciaire, accompagnement « standardisé », faits traités comme tout autre acte délictuel sans évaluation spécifique, (…) manque de moyens du fait de la saturation des services de soins mais aussi de connaissances et de formation ».
Les témoignages des magistrats, avocats et acteurs de la protection de la jeunesse dans notre livre montrent la farouche volonté des acteurs impliqués d’apporter une réponse adaptée, mais avec un manque de moyens qui handicape leur action.
Breizh-info.com : Il est question d’éducation sexuelle à l’école, parallèlement à une explosion de la pornographie et de la sexualisation quotidienne, dans les médias, sur les réseaux. Comment est-ce que l’on met un coup d’arrêt à tout cela pour laisser à nos enfants leur innocence ?
Olivia Sarton : Cela rejoint la question précédente : alors qu’il semblait que les pouvoirs publics aient pris conscience des ravages opérés par la visualisation de pornographie chez les mineurs, aucune mesure effective n’a été mise en œuvre. On le sait, l’accès des mineurs à la pornographie est censé être interdit et ceux qui permettent cet accès ou négligent de le barrer, encourent trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Pourtant aucune condamnation n’est prononcée à l’encontre des sociétés éditrices de pornographie. Un procès est bien en cours devant le Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de certaines d’entre elles, mais il traîne depuis des mois et on se demande s’il en sortira quelque chose. Parallèlement alors qu’un outil technique fiable existe depuis l’été 2022 pour vérifier l’âge d’un internaute qui se connecte à un site pornographique, le gouvernement ne déploie pas cet outil, laissant des centaines de milliers de jeunes exposés chaque jour à ce contenu qui les abîme.
Breizh-info.com : Du fait de l’immigration, d’autres cultures parfois plus précoces, d’autres mœurs aussi, arrivent en France. Est-ce que cela tend à changer les relations qu’ont les adolescents entre eux, et les adolescents autochtones ne sont-ils pas mis en danger parfois, par ce qui constitue un gap culturel et sociétal (on sait par exemple que les africains sont beaucoup plus développés physiquement que les adolescents blancs au même âge…) ?
Olivia Sarton : Le retour de terrain des avocats avec lesquels nous sommes en contact, ou celui d’autres associations de protection de l’enfance, montre que les violences sexuelles entre mineurs touchent tous les milieux. L’étude menée par la sociologue Marie Romero montre que ces mineurs ont des profils variés mais qui souvent présentent « un profil assez inhibé, peu à l’aise en relation duelle, avec une faible estime d’eux-mêmes et plus susceptibles d’avoir vécu des violences sexuelles intrafamiliales précoces ». Les contributeurs de notre livre soulignent que le fait d’avoir subi des violences sexuelles non prises en charge (c’est-à-dire non dénoncées, et donc des enfants non soignés) majore grandement le risque que ces enfants deviennent à leur tour des auteurs d’infraction à caractère sexuel.
Breizh-info.com : Quelles mesures de prévention et de répression préconisez-vous face à ce phénomène ?
Olivia Sarton : La première prévention doit passer par les parents qui doivent être soutenus dans leur rôle de premiers éducateurs de leurs enfants. Aujourd’hui beaucoup de parents sont démunis dans leur rôle d’éducation. Il faut les aider pour cela, leur transmettre à l’âge adulte les fondamentaux de l’éducation qu’ils n’ont peut-être pas reçus. Cela peut passer par des groupes de partage d’expérience, des écoles de parents, etc.
Par ailleurs, les enfants doivent bénéficier d’une éducation non pas à la sexualité mais à la vie affective, relationnelle et sexuelle : celle-ci débute par les informations indispensables à la compréhension du fonctionnement du corps humain dans toutes ses dimensions, mais surtout elle passe par l’éducation des pulsions, l’apprentissage de leur contrôle (« apprendre à s’empêcher »). Aujourd’hui, on retrouve l’inverse dans l’éducation à la sexualité dispensée dans de nombreux établissements scolaires : les mineurs sont incités à la consommation sexuelle dès que possible avec le seul double critère qu’ils doivent « être protégés » (des IST, d’une grossesse) et qu’ils doivent être consentants. Or, cette dernière notion de consentement est particulièrement pauvre s’agissant des enfants. Comme le disent les éducateurs qui prennent la parole dans notre livre, les enfants, les ados n’ont en général pas la capacité de consentir à des actes dont ils ne mesurent pas le retentissement sur leur personne.
Il faut bien sûr aussi travailler sur ce que l’on offre pour la prise en charge des petites victimes mais aussi des auteurs, lorsqu’une infraction est caractérisée : Il faut restaurer l’offre de soins, notamment en pédopsychiatrie pour que ces enfants puissent être pris en charge. S’agissant des auteurs, des passages à l’acte pourraient certainement être évités si des mineurs identifiés comme fragiles pouvaient bénéficier du traitement dont ils ont besoin pour aller mieux mais aussi apprendre à se comporter en société.
Il faut également bien sûr donner les moyens d’agir à la justice et aux services éducatifs qui prennent en charge les mineurs auteurs.
En attendant, notre livre peut aider ceux qui se trouvent confrontés à ce type de situation : que faire ? faut-il saisir la justice ? A quoi s’attendre alors ? Quel praticien pourra aider un mineur auteur ou victime ? Autant de questions auxquelles ce livre répond.
Propos recueillis par YV