Aude Mirkovic. Hélas, non : les gouvernements successifs soutiennent ou carrément initient des réformes dites « sociétales », qui font prévaloir chaque fois plus les désirs des adultes et, en particulier, le désir d’enfant, sur les besoins fondamentaux et les droits des enfants : conception d’enfants par des donneurs, PMA pour les femmes seules, pour les couples de femmes notamment. La GPA n’est que l’étape suivante, qui bute pour l’instant sur l’utilisation d’une femme qu’elle suppose et la livraison d’un enfant qu’elle organise par contrat.
En outre, quand on voit de quelle manière les sociétés étrangères de GPA viennent en toute impunité en France proposer leurs prestations de GPA aux Français, alors même que l’entremise en vue de la GPA est un délit pénal, quand on voit que des Français on fait venir des mères porteuses ukrainiennes accoucher en France, là encore en toute impunité alors que plusieurs délits étaient à nouveau caractérisés, comment s’étonner que s’exprime officiellement la volonté de légaliser en France cette pratique indigne ? Depuis le temps que nous alertons sur cette complicité avec la GPA, je ne peux être surprise aujourd’hui. Je ne vais certainement pas me résigner, mais je ne suis pas surprise.
Premier argument : la souffrance. Celle des enfants. Celle des couples en attente d’enfants. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
AM. Les « arguments » invoqués par le Ministre sont tellement éculés qu’on dirait presqu’un sketch parodique. Commençons par le pseudo argument de la souffrance : il y a des enfants qui souffrent, il y a des familles dysfonctionnelles. C’est triste, mais en quoi est-ce une raison pour faire souffrir d’autres enfants, en les privant délibérément de leur filiation, en les exposant au choc traumatique de l’abandon du fait de la séparation de leur mère de naissance, en faisant d’eux les objets de contrat de commande et de livraison, contraires à leur dignité d’êtres humains ?
Les déclarations de Clément Beaune dans l’Obs
« Aujourd’hui, la donne est claire : la GPA ne figure pas dans le contrat présidentiel et législatif que nous avons passé avec les Français au printemps 2022. Cette mesure n’est pas au programme, le président l’a dit aux Français. Est-ce que, néanmoins, à l’avenir, il faudrait aller plus loin et légaliser la GPA ? Je le pense, oui » (…) Ce n’est pas pour maintenant », insiste le ministre. Mais « il y a d’un côté tellement d’enfants en souffrance et de familles dysfonctionnelles, et de l’autre, tellement de couples qui portent dans leur coeur un projet d’enfants », fait-il valoir.
Deuxième argument : « la justice. Aujourd’hui, les Français peuvent en fait déjà avoir recours à la GPA. Mais pas tous les Français ! Seulement ceux qui ont les moyens de se rendre à l’étranger: au Canada, aux États-Unis… La sélection se fait par l’argent et les contacts. Avoir notre propre cadre et nos propres règles serait plus juste et plus protecteur. Cela ne se fera pas dans cette législature. Mais il faut aussi creuser des idées pour demain ».
AM. Personne ne nie la souffrance liée au désir d’enfant. Le désir d’enfant est compréhensible, mais la satisfaction de ce désir ne saurait justifier de priver un enfant de quoi que ce soit. Or la GPA, quelles que soient ses modalités, quels que soient les demandeurs, mariés, célibataires, couple de même sexe, de sexe différent, jeunes, vieux, emporte des préjudices pour l’enfant. Ce n’est pas l’intention bien sûr des personnes qui recourent à la GPA, mais c’est hélas la réalité. Pour s’en tenir à la question de la filiation, le fait que la mère soit remplacée par un parent d’intention n’efface pas l’injustice de cette privation d’origine, de la même manière que promettre une prothèse, même de luxe, ne justifie pas de priver quelqu’un de son bras ou de sa jambe. La gestation pour autrui n’est pas une réponse adaptée au désir des personnes sans enfants. Pour autant ces personnes, qui ont de l’amour à donner, peuvent se voir proposer d’autres manières d’aimer : adopter des enfants sans parents pour ceux qui présentent les conditions requises pour l’adoption, mais aussi prendre soin des enfants malheureux par le parrainage, les familles d’accueil, le fait de financer les études d’un enfant sans ressources, des façons très concrètes et utiles de venir en aide à des enfants laissés pour compte. Il y a des fécondités alternatives à la filiation, et combien d’enfant auraient besoin d’en bénéficier.
Deuxième argument : la justice. Ceux qui en ont les moyens peuvent se le permettre. Les pauvres non…
AM. Là encore, l’« argument » est éculé. Il y a un tas de choses que seuls les riches peuvent se payer à l’étranger car il possible de trouver presque tout de manière « légale » quelque part sur la planète : des organes, de la drogue, des armes, des prostitués mineurs par exemple, est-ce une raison pour importer ces pratiques en France ? Si la pratique méconnait la dignité humaine et porte atteinte aux droits de l’enfant, ce qui est le cas, le rôle de l’État est de dissuader ses ressortissants d’y recourir à l’étranger et de sanctionner ceux qui l’importent en France, non de l’organiser chez nous.
Comment interprétez-vous cette déclaration ? Ballon d’essai pour voir les réactions ? Façon de préparer les esprits en douceur ? Faut-il s’attendre à une loi qui « encadre » la GPA prochainement ?
AM. Cette déclaration, en soi, n’est pas un évènement. Elle s’inscrit dans un processus déjà bien identifié de promotion du marché de la procréation à l’œuvre au fil des lois bioéthique, de mise en place progressive du droit à l’enfant, tout en se défendant bien entendu de le faire. En revanche, cette déclaration prouve que la menace de la GPA est toujours là. Ses promoteurs ne lâcheront pas et nous ne devons pas lâcher non plus. L’engrenage du prétendu progrès s’enraye de plus en plus, car ses dégâts sont de plus en plus visibles : « changements » de sexe (autrement dit mutilations et vies brisées) pratiqués sur des mineurs, souffrance des personnes issus de donneurs qui cherchent désespérément leur géniteur, qui réalisent qu’ils ont des dizaines et parfois des centaines de frères et sœurs biologiques, GPA réalisée par une actrice espagnole pour se consoler de la mort de son fils et se fabriquer des petits-enfants, orphelins avant même d’avoir été conçu, etc. Je ne sais pas quel sera le combat à l’occasion duquel le mur idéologique d’une illusoire toute-puissance de la volonté sur fond de déni de la réalité se fissurera mais, une fois le mur entamé, tout déroulera. Pour l’heure, la déclaration du Ministre nous envoie un coup de semonce et nous éclaire, si besoin était, sur la prétendue ligne rouge que le Président de la République évoque régulièrement, sans jamais la faire respecter puisque la France importe sans sourciller les GPA réalisées à l’étranger.
Que peut-on faire pour gagner la bataille de l’opinion ?
AM. Déjà, il ne faut pas attendre des personnes en souffrance et en désir d’enfant qu’elles mettent elles-mêmes des limites à leur désir, car l’amour qu’elles ont à donner peut facilement occulter à leurs propres yeux les préjudices que la GPA emporte pour la femme et pour l’enfant. C’est la responsabilité de l’État de faire en sorte que la GPA ne soit pas proposée en France, ce qui suppose d’appliquer la loi et de sanctionner les sociétés commerciales qui démarchent le public français. La résignation et même la complicité de la France sont un encouragement à la GPA : il faut être très fort pour résister à l’offre d’un beau bébé souriant quand tout le monde le fait et que l’État laisse faire. Au contraire, un engagement politique efficace aurait un rôle pédagogique pour que les gens réalisent les dégâts de la GPA et y renoncent par eux-mêmes ou, au moins, parce que c’est trop compliqué ou trop risqué.
Par ailleurs, puisque le marché est mondial et que la GPA s’importe chez nous de l’étranger, il convient d’engager des démarches diplomatiques à l’échelon international. C’est ce que demande la Déclaration de Casablanca du 3 mars 2023, par laquelle 100 experts de 75 nationalités invitent les États à s’engager dans une Convention internationale pour l’abolition universelle de la GPA. J’ai moi-même signé cette déclaration, et ces experts du monde entier, juristes, médecins, psychologues, souhaitent apporter une expertise de pointe réaliste et constructive, pour expliquer la réalité de la GPA et soutenir ainsi les démarches politiques visant à combattre la GPA, pour qu’il n’y ait plus de GPA et, en tout cas, beaucoup moins. C’est possible, mais cela ne se fera pas tout seul : les experts, les politiques sont en première ligne, mais c’est l’affaire de tous de ne plus fuir les discussions en famille, avec les collègues, pour avoir la paix. Chacun peut partager un article, celui-ci par exemple, suggérer un livre, glisser un conseil éclairant, être conséquent au moment de voter etc. La bataille de l’opinion, c’est l’affaire de tous, et rien n’est à négliger !
En savoir plus sur la Déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la GPA ICI