Enfant « trans »: entretien avec O. Sarton et A. Mirkovic

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Entretien avec Olivia Sarton et Aude Mirkovic, sur Lyon Capitale du 12 novembre 2022, par  GUILLAUME LAMY

Aude Mirkovic, juriste, et Olivia Sarton, ancienne avocate au barreau de Paris, cosignent, avec sept autres personnes (chirurgien, psychologue, pédopsychiatre, psychanalyste, docteur en philosophie), Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents (Artège), une approche pluridisciplinaire qui donne des clés de compréhension pour cerner le phénomène et les enjeux sociétaux de l’identité de genre.

 

Les questionnements liés à l’identité et au genre sont classiques chez les enfants. Vous dites qu’ils sont « le propre de ces âges ». Comment expliquez-vous, en France, l’augmentation importante du nombre de mineurs qui revendiquent une « identité de genre » différente de leur sexe biologique ?

Olivia Sarton : Votre question est très intéressante et elle devrait interpeller les chercheurs pour qu’ils diligentent des études pour y répondre.

On constate aujourd’hui que non seulement il y a une augmentation du nombre d’enfants et de jeunes qui ne parviennent pas à trouver leur équilibre avec leur sexe biologique constaté à la naissance, mais qu’en outre une proportion importante d’entre eux s’identifient comme non binaires, par exemple « demi-boy » ou « demi-girl ».

Cela pousse à interroger : pourquoi l’identité de femme ou d’homme apparaît-elle insupportable à des jeunes en construction ? Quelles images de la femme et de l’homme leur transmettent les adultes et la société pour que ces jeunes les rejettent si vivement ?

Dans les consultations spécialisées, des jeunes filles qui s’identifient comme non binaires viennent demander une mastectomie, c’est-à-dire une ablation des seins. Elles ne forment pas d’autres demandes. Les directives données dans les derniers Standards Of Care (SOC 8) de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) sont d’accepter ces demandes. Mais s’agissant de mineures (ou même de très jeunes adultes), il serait urgent de questionner : qu’est-ce qui pousse une jeune fille à se mutiler ? De quoi veut-elle se protéger ? Quel bénéfice supposé recherche-t-elle ?

Par ailleurs, l’augmentation frappante du nombre de mineurs en questionnement de genre ne peut s’analyser seule, en soi. L’argument des militants trans-affirmatifs que les jeunes « sortiraient enfin du bois » car la société serait plus tolérante est simpliste. L’apparition de ces questionnements de genre qui étaient rarissimes dans les années et les siècles passées doit être étudiée au regard des grandes difficultés identifiées de notre temps : la dégradation importante de la santé mentale des jeunes qui s’amplifie de plus en plus[1], les taux importants de violences faites aux enfants et aux femmes, la défiance (voir la haine) corrélative qui se développe contre le sexe masculin, le spectre d’une nouvelle guerre mondiale, les difficultés écologiques, économiques etc.

L’avenir qui est présenté aux jeunes d’aujourd’hui n’est pas particulièrement riant et cela a nécessairement une répercussion sur l’appréhension de leur place dans le monde et de leur identité.

 

Quelle est l’influence des réseaux sociaux sur les questionnements de genre ?

Olivia Sarton : Le nombre de jeunes en questionnement de genre s’est considérablement accru depuis le début de la pandémie de Covid 21, laquelle avec ses divers confinements et restrictions d’activité, a augmenté le temps passé par les jeunes sur les réseaux sociaux et corrélativement leur mal-être. Tous les témoignages montrent l’influence prépondérante des réseaux sociaux sur l’affirmation d’un jeune d’être « trans ». Dès qu’il dit qu’il ne se sent pas bien (dans son corps, dans ses relations avec les autres, avec sa famille) ou qu’il ne trouve pas sa place, il lui est suggéré ou même affirmé que c’est parce qu’il est trans. Les études menées montrent notamment que les vidéos de transition médicale visibles sur You tube constituent dans 63,6% des cas une source d’influence essentielle[2]. Les influenceurs trans ont plusieurs centaines de milliers d’abonnés auxquels ils diffusent un contenu présentant le parcours médical sous un jour très favorable[3], et incitant les mineurs qui s’interrogent à suivre ce parcours.

 

Que dit aujourd’hui la loi française sur la question de la transidentité ?

Aude Mirkovic. Depuis 2016, la loi permet à une personne majeure (ou mineure émancipée) de demander à modifier la mention de son sexe qui « ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue », étant précisé que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande » (art. 61-5 et 61-6 du Code civil). Il en résulte que l’état civil ne relaie plus le sexe constaté mais le ressenti subjectif de chacun.

Côté médical, c’est très confus car, d’un côté la loi interdit les atteintes à l’intégrité physique sans nécessité médicale (article 16-3 du code civil), mais d’un autre côté des interventions très invasives sont pratiquées sur les corps pour modifier leur apparence sexuée, alors même qu’est déniée toute dimension pathologique à la transidentité : comme justifier alors ces atteintes au corps ? Peut-on aussi, au nom de l’autodétermination, demander à un médecin de nous amputer d’un bras ou d’une jambe, si ce membre nous est insupportable ? La question mérite d’être posée car il y a une contradiction entre nier tout caractère pathologique et en appeler la médecine, sans compter que ces interventions sur des « non pathologies » sont prises en charge à 100% par l’assurance maladie, au titre des affections longue durée. 

 

Quelles sont les grandes étapes juridiques de la « question trans » en France ?

Aude Mirkovic. Dans un premier temps, la Cour de cassation a rejeté les demandes de changement de la mention du sexe à l’état civil. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France au motif que ce refus porterait atteinte à la vie privée des intéressés, et la Cour de cassation a opéré un revirement en 1992 pour autoriser le changement d’état civil, à condition que le syndrome du transsexualisme soit médicalement établi et que l’intéressé ait procédé à des traitements modifiant son apparence corporelle et entrainant, de fait, la stérilité. Puis la loi de 2016 a ouvert le changement d’état civil sans traitements ni interventions médicales : un homme peut donc demander à être identifié femme tout en gardant son corps d’homme et, en particulier, son appareil génital masculin (et vice-versa). Ce qui devait arriver arriva, et la Cour d’appel de Toulouse, en février dernier, a indiqué un homme identifié femme à l’état civil comme mère sur l’acte de naissance de l’enfant, alors que cette personne avait engendré l’enfant par éjaculation de spermatozoïdes lors d’une relation sexuelle : que signifie désormais le mot mère, si une personne peut être mère par fourniture de spermatozoïde ?

On comprend alors que la mention du sexe à l’état civil ne relève pas seulement de la vie privée de l’intéressée mais concerne en réalité les autres, jusqu’à l’état civil d’autrui, ici l’enfant.

 

L’ « identité de genre » est-elle un fait susceptible de recevoir une définition juridique claire et précise ?

Aude Mirkovic. L’identité de genre renvoie au ressenti intime que chacun à de lui-même, à la façon dont chacun s’autodétermine. Une fois ceci posé, que signifie concrètement l’identité de genre de chacun ? Seul chacun le sait… Etant donné qu’homme ou femme ne sont plus reçus comme des réalités objectives et constatables, à quoi faut-il s’identifier pour pouvoir dire qu’on s’identifie femme, ou autre ? En pratique, les mots homme ou femme n’ont plus de signification objective, n’ont plus de contenu commun. 

 

En quoi les questionnements intimes d’une personne liés à son genre intéressent-ils le droit ?

Aude Mirkovic : très bonne question. Le domaine du droit est celui des relations sociales, il ne concerne pas des individus isolés et comme seuls au monde. Ces relations ne peuvent être organisées à partir du ressenti des individus car le ressenti de l’un ne coïncidant pas nécessairement avec le ressenti de l’autre, les différents ressentis ont de fortes chances d’entrer en conflit.

On imagine l’insécurité juridique si la propriété était fondée sur le ressenti de chacun comme propriétaire, la majorité liée au ressenti de chacun comme majeur ou mineur, la nationalité octroyée en fonction du ressenti comme ressortissant de tel ou tel Etat etc.

En revanche, la loi accepte que le sexe soit fondé sur le ressenti homme ou femme, sur l’autodétermination de genre de chacun : en pratique, à quoi sert l’état civil qui relaie le ressenti intime des gens ? Que signifie la parité homme/femme si chacun s’autodétermine homme ou femme ? Comment assurer la sécurité que la non-mixité vise en prison si un homme qui s’identifie femme a le droit d’être incarcéré dans une prison pour femmes ? Que devient l’équité dans les compétitions sportives, la sécurité encore dans les sports de contact si chacun d’autodétermine homme ou femme etc.

Un ressenti subjectif ne peut être le fondement d’un rapport social, car ressenti contre ressenti, cela dégénère rapidement en loi du plus fort, ce qui est l’exact contraire du droit.

 

Comment, d’un point de vue du droit, peut-on accepter le fait qu’un enfant ne puisse pas acheter une canette de bière ou un paquet de cigarettes mais prétendre qu’il a le discernement pour prendre, en connaissance de cause, une décision de transition de genre ?

Olivia Sarton : Un artifice dangereux est utilisé. En effet, la transidentité n’est plus considérée comme une pathologie. Les trans-affirmatifs parlent désormais de « variance de genre » : chacun serait libre d’autodéterminer son genre. Le problème est qu’une fois déterminé leur genre, les personnes trans veulent modifier leur corps pour que celui-ci ait une apparence correspondant selon eux à leur genre ressenti. Et pour cela, ils sont obligés de recourir à la médecine dont le but est de soigner des pathologies…Il y a là une contradiction interne irrésoluble. Toujours est-il que l’on se situe donc dans le registre du droit de la santé, qui prévoit les conditions dans lesquelles le mineur peut consentir à des soins. On prétend donc qu’ils peuvent consentir à des soins qui n’en sont pas puisqu’il n’y pas pas de maladie.

 

Les enfants, et même les adolescents, peuvent-ils réellement comprendre tout ce qui impliquent leurs décisions ?

Olivia Sarton : Soyons clairs, c’est impossible. Le doute porte d’abord sur l’information : même si celle-ci était de la meilleure qualité et objectivité possible (ce qu’elle n’est pas aux dires des témoignages reçus), les mineurs la reçoivent alors qu’ils sont dans une relation d’asymétrie liée à leur âge et à la relation médicale elle-même qui met face à face un patient néophyte et impatient, et un professionnel techniquement expert. Ensuite, pour consentir librement, les mineurs devraient se voir proposer les alternatives thérapeutiques envisageables, ce qui n’est pas le cas. Ils devraient comprendre toutes les implications complexes du parcours de transition médicale et les conséquences sur leur vie future qui sont notamment le fait qu’ils seront médicalisés à vie, qu’ils auront des effets secondaires indésirables à vie, qu’ils connaitront des problèmes de fertilité et des dysfonctionnements de leur sexualité. Récemment, il a été fait le constat que les jeunes adultes ayant débuté leur transition médicale durant leur minorité découvraient tout à coup qu’ils ne pouvaient avoir une sexualité satisfaisante et notamment répondre aux désirs de leur partenaire. Mais c’est trop tard… le mal est fait.

 

Comment en est-on arrivé à une situation où certains courants de pensée ont tendance à généraliser le fait que les jeunes en questionnements de genre sont tous « dysphoriques de genre » ?

Olivia Sarton. « C’est surprenant et consternant à la fois. Nous l’analysons comme un refus de soins, une violation des droits de ces jeunes à bénéficier d’une médecine de qualité. En effet, un pourcentage majoritaire d’entre eux souffrent de troubles qui n’ont rien à voir avec une dysphorie de genre et qui devraient être traités. Ils ne sont pas trans. Au lieu de leur proposer une approche globale et prudente pour les soigner, on leur vend un mirage en leur faisant croire que leurs troubles vont disparaître en mettant en œuvre une transition. Les réseaux sociaux les convainquent que tout leur mal-être est dû à une dysphorie de genre et que les hormones et le passage sous le bistouri d’un chirurgien résoudront ce mal-être. Que les réseaux sociaux fassent croire cela aux jeunes c’est une chose, le problème c’est qu’ils soient pris en charge par des médecins qui refusent de questionner l’auto-diagnostic de ces jeunes.

 

Vous dites que l’approche « prudente » du questionnement identitaire des enfants est aujourd’hui « disqualifiée » au profit d’une approche « trans-affirmative ». Quels sont les tenants et les aboutissants de cette nouvelle approche ?

Olivia Sarton : L’approche trans-affirmative considère que le questionnement autour de l’identité sexuelle ne doit pas être interrogé puisqu’il serait normal de disqualifier son sexe au profit de son genre autodéterminé. En particulier cette approche considère que préconiser une psychothérapie exploratoire avec l’enfant autour de son questionnement, s’apparente à une thérapie de conversion qui aurait pour but de contraindre l’enfant à renoncer à son genre autodéterminé. Cette posture conduit à interdire d’interroger les causes du mal-être de l’enfant et de mettre en place éventuellement un suivi approprié et bénéfique à l’enfant.

 

Cette approche « trans-affirmative » a été déployée dans la sphère de l’école : la circulaire Blanquer du 29 septembre 2021 « pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire ». Comment cette approche a-t-elle infusée dans l’Education nationale ?

Olivia Sarton : Elle a été infusée par les militants trans-affirmatifs qui ne cachent pas leurs actions auprès des pouvoirs publics. Pour les convaincre, ils utilisent des arguments compassionnels (la souffrance des personnes trans) mais surtout terrorisants : si la transition sociale n’est pas mise en œuvre dans les établissements scolaires, les enfants se suicideront et vous serez responsables. Or, les études ont montré que cet argument était faux : la transition sociale ne fait pas disparaître les idées suicidaires des enfants qui vont mal.

 

Juristes pour l’enfance, l’association dont vous êtes le directrice juridique, a déposé le 24 septembre dernier un recours devant le Conseil d’Etat  pour demander le retrait de la circulaire. Pour quelles raisons ?

Aude Mirkovic : Pour protéger les enfants et adolescents de la consigne irresponsable donnée aux établissements scolaires de mettre en œuvre, dans le cadre de l’école, la transition sociale demandée par le jeune. Il est en effet bien naïf de relativiser le changement de prénom demandé par le jeune, car ce changement de prénom exprime un changement de sexe, de fait : une fois engagé dans ce processus, le jeune perd une grande partie de sa liberté pour changer d’avis et se trouve comme programmé vers la médicalisation pour mettre son apparence physique en conformité avec le statut social qui est désormais le sien : un garçon de CM2 identifié comme une fille est quasi contraint de demander des hormones pour éviter de voir sa voix muer et ses caractères sexuels secondaires se développer avec la puberté. Même chose pour une fille identifiée garçon, qui sera poussée à demander l’ablation de ses seins pour correspondre à ce statut de garçon. Rappelons que le changement d’état civil n’ est qu’une transition sociale, puisqu’aucune médicalisation n’est exigée. Et pourtant, le code civil l’interdit aux mineurs, et ce n’est pas pour rien : il s’agit de respecter le temps de l’enfance, et traiter l’enfant comme un adulte en miniature n’est pas lui rendre service. C’est plutôt une démission des adultes à son égard.

 

[1]https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2022/sante-mentale-des-enfants-et-adolescents-un-suivi-renforce-et-une-prevention-sur-mesure

[2]Lisa Littman, Conférence octobre 2021 : Gender Dysphoria and psychosocial factors

[3]Exemple : https://www.tiktok.com/@jade.cve ; https://www.instagram.com/transnoir/ ; https://zazou-et-zazounette.blogspot.com/

 

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