GPA : des contrats au-dessus des lois ?
Une analyse d’Olivia Sarton publiée par le site Gènéthique, rubrique « Le coin des experts »
En droit français, s’agissant des contrats soumis à la loi française, le Code Civil stipule que si « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (article 1103 CC), c’est à la condition que ces contrats respectent l’ordre public et les bonnes mœurs. Le même Code dispose en effet que : « On ne peut déroger par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » (article 6 CC), et encore que « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public » (article 1102 CC).
Or, les contrats de gestation pour autrui contreviennent au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes, comme l’a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt de principe rendu en 1991 : « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes » (Cour de Cass. Ass. Plén. 31 mai 1991, n°90-20.105).
La loi du 29 juillet 1994 a inscrit dans le Code civil le caractère de principe d’ordre public du respect du corps humain (article 16-9 CC), ce qui implique notamment la nullité de toutes les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits (article 16-6 CC), et la nullité des conventions de gestations pour autrui (article 16-7 CC).
Et la Cour de Cassation a rappelé en 2011 qu’au regard du droit français, une « convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public » (Cour de Cass. Civ. 1ère, 6 avril 2011, n°10-19.053).
Sous la pression médiatique imposée par les Français ayant réalisé une gestation pour autrui à l’étranger et présentant les enfants ainsi acquis comme des victimes de l’intransigeance française, la Cour de Cassation a admis la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né à l’étranger, établi par les autorités de l’Etat étranger, sur le fondement du droit au respect de la vie privée de l’enfant et nonobstant la circonstance que la naissance de l’enfant à l’étranger ait eu pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code Civil (Cour de Cassation, Ass. Plén. 4 octobre 2019, n°10-19.053).
Dans l’affaire des GPA ukrainiennes, la situation est différente puisqu’avec la venue de la mère porteuse en France, l’exécution du contrat se déroule sur le territoire français. Sont réalisés en France une partie de la grossesse, l’accouchement, l’abandon de l’enfant par la mère, l’atteinte à l’état-civil de l’enfant, et le paiement de la mère en contrepartie de la remise de l’enfant et de l’atteinte à l’état-civil. Ainsi, ce qui est demandé par les couples français, c’est que l’Etat acquiesce à l’exécution en France d’un contrat frappé d’une nullité d’ordre public, en fermant les yeux sur les atteintes au principe de l’indisponibilité du corps humain et à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes.
Or, la « réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même selon qu’il s’agit de l’acquisition d’un droit en France ou seulement de laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger » (Cour de Cass. Civ 1ère, 17 avril 1953, Rivière).
En l’espèce, il s’agit bien de l’acquisition de droits en France puisque le contrat est exécuté sur le sol français et que c’est cette seule exécution qui génère la demande d’acquisition de droit. Si l’exécution n’avait pas lieu (par exemple si l’enfant décédait in utero ou si une fois arrivée en France, la mère porteuse disparaissait dans la nature), aucune demande de droit ne serait formulée.
Les autorités françaises pourraient, si elles avaient la volonté réelle de s’opposer à la gestation pour autrui, opposer l’ordre public pour reconnaître la nullité des contrats certes conclus à l’étranger mais réalisés en France, et ainsi les priver de tout effet. En effet, quand bien même un contrat a été conclu à l’étranger validement selon les lois de l’Etat étranger, la France a le pouvoir souverain de protéger sur son territoire son ordre juridique interne, par le respect de son ordre public, c’est-à-dire « les valeurs fondatrices de sa société ». Tout le monde s’attendrait à une telle solution si par exemple l’objet du contrat conclu à l’étranger était la vente d’un organe, et que son exécution (prélèvement de l’organe contre paiement du prix convenu) s’effectuait sur le sol français au motif de la fermeture de la clinique étrangère où devait avoir initialement lieu le prélèvement.
C’est ce que demande Juristes pour l’enfance à la justice française : qu’elle fasse respecter en France l’ordre public, qu’elle applique les sanctions prévues le code pénal et qu’elle prive d’effets les contrats de GPA nuls d’une nullité d’ordre public.