Lire cet article sur Le village de la justice, le 3 mars 2022
La loi n° 2022-219 du 21 février 2022, visant à réformer l’adoption, supprime l’activité en France des organismes autorisés pour l’adoption (OAA), ne conservant que leur activité d’intermédiaire à l’international, jusqu’à incriminer pénalement le fait de recueillir des enfants en vue de leur adoption.
Les organismes autorisés pour l’adoption (OAA) sont des structures privées, le plus souvent des associations, réglementées par le Code de l’aide sociale et des familles. Jusqu’à présent, ces organismes offraient en vue de l’adoption deux types de service : ils pouvaient recueillir des enfants en France en vue de leur adoption, et se proposaient comme intermédiaires entre les familles candidates à l’adoption et les autorités compétentes, en France ou à l’international.
Le statut d’organisme autorisé pour l’adoption résultait de l’obtention de différentes autorisations correspondant aux activités exercées : une autorisation pour l’activité d’intermédiaire délivrée par le président du conseil départemental concerné (art. L225-11 CASF ancien), avec habilitation particulière du ministre chargé des affaires étrangères pour l’activité à l’international (art. L225-12 CASF ancien), et une autorisation supplémentaire pour le recueil d’enfants nés sur le territoire français (art. R225-16 CASF ancien).
La loi nouvelle supprime ces deux activités de recueil des enfants et d’intermédiaire en France et, de ce fait, le statut d’OAA pour la France disparaît dès lors que la section du code de l’action sociale et des familles intitulée « organismes autorisés et habilités pour l’adoption » ne vise désormais plus que l’activité « d’intermédiaire pour l’adoption de mineurs résidant habituellement à l’étranger », autrement dit l’activité d’intermédiaire à l’international. La loi nouvelle va même jusqu’à sanctionner pénalement le recueil d’enfants en vue de l’adoption (art. L225-19 CASF nouveau).
Cette disparition pure et simple du statut d’OAA pour la France, et des activités en France de ces organismes, est quelque peu mystérieuse au vu du service rendu depuis tant d’années par les OAA.
Activité de recueil des enfants en vue de l’adoption.
La suppression de l’activité de recueil des enfants fut justifiée lors des débats à l’Assemblée nationale par l’objectif de garantir à tous les enfants « une meilleure protection de leurs droits, avec notamment la définition d’un projet de vie, la recherche d’une famille d’adoption si l’intérêt de l’enfant le justifie et l’assurance d’une protection juridique durable en cas de non adoption » [1].
Cet objectif semble pourtant décalé par rapport à la réalité, dès lors que tous les enfants confiés à des OAA ont un projet de vie puisque que les parents les confient à ces organismes seulement en vue de leur adoption. En outre, tous trouvent une famille, y compris les enfants handicapés, et la question d’une protection juridique durable en cas de non-adoption ne se pose donc jamais puisque tous sont adoptés.
Cette mesure fut encore relativisée et présentée comme anodine au motif que l’activité de recueil des enfants par les OAA en France était devenue réduite : en effet, et à titre d’exemple, l’un des derniers OAA autorisés à recueillir des enfants [2] a recueilli 6 enfants en 2019, parmi lesquels 3 ont été confiés à l’adoption et 3 ont été repris par leur mère de naissance [3].
Le nombre modeste des enfants recueillis s’explique pourtant tout d’abord par le fait que certains OAA ont renoncé à faire les démarches pour disposer de l’autorisation de recueillir des enfants, notamment en raison des contraintes administratives générant des frais trop importants.
Surtout, ce nombre est le fruit d’un travail d’accompagnement mis en place par ces organismes lorsqu’ils accueillent des femmes enceintes qui pensent confier leur enfant à l’adoption, qui permet à nombre de ces femmes de garder leur enfant avec elle. La suppression de la possibilité pour les OAA de recueillir des enfants ne leur permettra plus de jouer ce rôle, qui concerne pourtant une soixantaine de femmes par an [4].
Au-delà des chiffres, certains parents, le plus souvent des femmes enceintes, s’adressent à des OAA car elles ne souhaitent pas confier leur enfant à l’aide sociale à l’enfance (ASE), ayant elles-mêmes été pupilles de l’État et ne voulant pas que leur enfant suive le même parcours qu’elles : pourquoi ne pas respecter ce choix ? Pourquoi l’État devrait-il se réserver le monopole du recueil des enfants en vue de l’adoption, alors que certaines mères souhaitent les confier à des organismes privés et que ces derniers se sont montrés tout à fait à la hauteur de la mission confiée ?
Activité d’intermédiaires en France en vue de l’adoption.
S’agissant de la disparition de l’activité d’intermédiaires en France des OAA, elle n’est guère plus compréhensible.
Il est vrai que, en général, les candidats ayant obtenu l’agrément en vue de l’adoption sont en mesure d’exécuter eux-mêmes les démarches auprès du département pour demander à adopter un enfant en France ; c’est plutôt dans la démarche d’adoption internationale que les candidats à l’adoption ont le plus besoin d’être aidés et guidés tout au long de la procédure auprès des autorités des pays de naissance des enfants.
Cependant, les OAA jouent en revanche un rôle primordial comme intermédiaires, en France, pour l’adoption d’enfants porteurs de handicaps ou atteints de maladies graves. Certains de ces organismes se sont en effet spécialisés dans le recrutement et l’accompagnement de familles adoptives grâce au travail associatif qu’ils réalisent dans ce domaine : ils présentent à l’ASE des foyers candidats non seulement agréés, mais également préparés spécialement par eux pour accueillir des pupilles de l’État handicapés, et les chiffres relatifs aux enfants adoptés grâce à leur intermédiaire sont significatifs [5].
A ceci, il faut ajouter que ces organismes privés ne coûtent rien à l’état mais apportent gracieusement leur aide et leur collaboration pour répondre à une inquiétude commune concernant ces nombreux enfants porteurs de handicaps en attente d’une famille.
La loi nouvelle faisant disparaître le statut d’OAA en France, elle réduit ceux qui existent à de simples associations sans statut spécifique, et va en outre empêcher la création de nouveaux OAA. Pourtant, de telles créations étaient nécessaires car, aujourd’hui, les familles candidates doivent s’adresser directement aux départements en raison notamment du défaut d’OAA actifs dans certains départements. Des parents adoptifs ont partagé auprès des parlementaires leur expérience de parcours du combattant, de département en département, pour pouvoir enfin adopter des enfants handicapés [6], restés à l’ASE pendant de longues années alors que les familles volontaires existaient et qu’ils auraient pu être adoptés bien plus tôt [7]. Et que dire des familles candidates découragées avant de pouvoir réaliser leur généreux projet ? Il en résulte que de trop nombreux enfants porteurs de handicap « restent dans des structures qui ne sont pas faites pour eux et ne peuvent les prendre en charge correctement et, surtout, qui ne leur donneront jamais l’amour que seule une famille peut prodiguer » [8].
Au vu du nombre d’enfants porteurs de handicap en attente d’une famille, des associations souhaitent prendre la relève et ont fait part aux députés de leur intention de créer un OAA, afin que ce statut leur apporte le cadre adéquat pour développer la mission qu’ils se sont données : accueillir et accompagner les familles candidates à l’adoption d’enfant handicapés [9]. La loi nouvelle ne leur permettra pas de réaliser ce projet.
Devant la levée de boucliers suscitée par l’annonce de cette suppression de l’activité en France des OAA [10], la proposition de loi a été corrigée en cours de navette parlementaire par l’introduction d’une nouvelle disposition selon laquelle : « Le président du conseil départemental ou, en Corse, le président du conseil exécutif peut faire appel à des associations pour identifier, parmi les personnes agréées qu’elles accompagnent, des candidats susceptibles d’accueillir en vue de l’adoption des enfants à besoins spécifiques » (art. L225-1 CASF nouveau).
Comme si le législateur, après avoir réalisé l’étendue de sa bévue, n’avait pas voulu la reconnaître pour préférer une mesure de bricolage : en effet, il se passe des services des OAA, organismes autorisés selon une procédure garantissant leur compétence, pour se reposer sur de simples associations, autoproclamées compétentes en la matière : quelle est la valeur ajoutée de cette nouvelle possibilité de s’adresser à des « associations », alors que les départements pouvaient s’adresser jusqu’ici à des « organismes autorisés » ? Il y a bien là une perte car le statut d’OAA apportait une garantie tant aux départements qui s’adressaient à eux qu’aux familles candidates à l’adoption d’enfants handicapés et malades. Ces familles ont besoin d’être accompagnées, renseignées, formées par des organismes compétents et la disparition du statut d’OAA ne pourra que décourager des familles de bonne volonté mais qui ne sauront pas à qui s’adresser en toute confiance.
Les enfants handicapés et malades sont nombreux à demeurer dans les services de l’ASE : ils avaient besoin de mesures visant à soutenir les OAA pour les développer et leur donner des moyens d’accroitre le service qu’ils rendent pour que le maximum d’enfants en bénéficie. La loi nouvelle fait tout le contraire : elle prive les OAA de leur statut pour les réduire, s’ils subsistent, à simples associations, sans plus. Tout cela ne serait pas si grave s’il s’agissait seulement de discussions sur des catégories juridiques abstraites. Mais il s’agit d’enfants, en chair et en os.
[1] Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la Commission des lois sur la proposition de loi visant à réformer l’adoption (n° 3161), par Mme Monique Limon, n° 3590, 23 novembre 2020, p. 68.
[2] La Famille adoptive française, qui a fusionné en 2010 avec les Nids de Paris https://lafamilleadoptivefrancaise.fr
[4] En 2019, l’OAA a été contacté par 41 femmes, 57 en 2018 et et 60 en 2017 (La famille adoptive française, op. cit.)
[5] Par exemple, depuis 1975, date de sa création, l’OAA Emmanuel SOS adoption a donné une famille à plus de 2 000 enfants dont plus de la moitié étaient atteints d’une maladie grave ou d’un handicap lourd.
[6] Voir par exemple le communiqué de presse de l’association Tombée du nid, du 11 janvier 2022, relayant le témoignage de leurs fondateurs : « nous avons adopté notre fille Marie, porteuse d’une trisomie 21, en 2013, grâce à la médiation d’un OAA avec son département d’origine. A contrario, pour l’adoption de notre fille Marie-Garance en 2016, nous avons dû nous passer d’un OAA et les choses ont été beaucoup plus complexes, obligeant à une démarche département par département. Nous avons notamment pu constater la mauvaise circulation des informations entre les départements. Ce n’est pas un cas isolé : notre association Tombée du nid a reçu de nombreux témoignages similaires »
[7] Voir par exemple l’histoire, relayée par Tombée du nid, de « petite Laure », une petite fille handicapée adoptée finalement à 4 ans, non scolarisée et maintenue dans une structure inadaptée, alors qu’elle aurait pu être adoptée bien avant : communiqué de presse Tombée du nid, 17 janvier 2022.
[8] Association Tombée du nid, communiqué de presse 17 janvier 2022.
[9] Association Tombée du nid, communiqué de presse 11 janvier 2022 http://2zn7.mj.am/nl2/2zn7/m7q04.html?hl=fr
[10] Voir notamment « Ne légiférer qu’en tremblant : pourquoi changer les règles de l’adoption ? », par Par Jacques Chomilier, Directeur de Recherches au CNRS, Christian Godde, Ancien membre du Conseil supérieur de l’adoption et ancien Secrétaire général d’Enfance et Familles d’Adoption (EFA), Marc Lasserre, Président du Mouvement de l’adoption sans frontières (MASF), Guillaume Lemaignan, Avocat au Barreau de Paris, Marie-Christine Le Boursicot, Conseillère honoraire à la Cour de cassation, et Marie-Claude Riot, Présidente de la Fédération française des organismes autorisés et habilités pour l’adoption (FFOAA), Wolters Kluwer France | Actualités du Droit, 3 février 2022.
Communiqué Enfance Famille et adoption
Communiqué de La famille adoptive française (FAF).