Article original Public discourse: How surrogacy arrangements fail children (16/02/2021)
Seow Hon Tan est professeur de droit à Singapour
Traduction originale sur Généthique 19 février 2021
« Il est surprenant que l’intérêt supérieur de l’enfant ait été si négligé dans les débats sur l’éthique de la maternité de substitution. Après tout, les décisions en matière d’adoption et de garde sont axées sur l’intérêt supérieur de l’enfant. La vérité est que la maternité de substitution sape l’épanouissement humain des mères porteuses et des enfants », explique Seow Hon Tan, professeur associé de droit, spécialisé en philosophie juridique, à la faculté de droit de l’université de gestion de Singapour[1].
Les effets épigénétiques de la grossesse de substitution
Une partie des conséquences épigénétiques découle de l’anticipation de la séparation par la mère porteuse. On sait depuis des décennies que les liens précoces entre un nourrisson et une personne qui s’occupe de lui sont importants pour le développement de l’enfant. Les chercheurs ont également étudié le lien entre un mauvais attachement maternel avant la naissance et les problèmes de comportement ultérieurs des enfants. On a constaté que les mères porteuses s’attachent moins aux enfants qu’elles portent, par rapport aux mères non porteuses. Il peut s’agir d’un mécanisme d’adaptation permettant d’atteindre un « isolement affectif », qui aide ces femmes à abandonner le nouveau-né plus tard.
Un autre sujet de préoccupation est le stress particulier que peuvent subir les mères porteuses. Alors que certaines mères porteuses parlent positivement de leur expérience, d’autres sont confrontées à des risques sociaux liés au manque d’acceptation par leur entourage, ainsi qu’à la stigmatisation d’avoir servi de mère porteuse par nécessité financière. Certaines sont confrontées au stress de vivre dans des logements spéciaux avec des restrictions de mouvement et d’activités. L’industrie de la maternité de substitution est également connue pour manipuler et banaliser la vie affective des mères porteuses, qui peuvent déjà souffrir de l’anticipation de devoir abandonner les enfants. Ce stress maternel supplémentaire, qui s’ajoute au stress normal de la grossesse hors GPA, est préoccupant, car on sait que le stress maternel en général et les environnements prénataux défavorables ont des effets sur le développement du fœtus.
Séparation de la mère porteuse
La juriste évoque « le traumatisme potentiel pour le nouveau-né lorsqu’il est séparé de la mère porteuse, qui est la gestatrice et parfois aussi la mère génétique ». Elle explique que le remplacement des parents de substitution au début de la phase post-natale constitue une perte ou un obstacle à la formation d’un attachement précoce, ce qui est préjudiciable au bien-être de l’enfant. Si des pertes similaires se produisent également dans d’autres circonstances, comme lorsque la mère d’un nouveau-né meurt, « nous considérons ces cas comme malheureux, voire tragiques, ajoute Seow Hon Tan. Comment alors est-il juste d’imposer de telles pertes aux enfants de substitution ? » Elle rappelle que l’essence des accords de maternité de substitution est de séparer les enfants de leurs mères porteuses. De par sa conception, un enfant né d’une mère porteuse est séparé de la femme qui l’a porté, dont la propre constitution génétique, l’environnement et les choix comportementaux ont influencé l’expression des gènes de l’enfant avant sa naissance.
Dans le cas de l’adoption, si un traumatisme de la séparation entre la mère biologique et l’enfant existe, l’acte des parents adoptifs est salutaire. Ils interviennent pour répondre aux besoins d’un enfant lorsque les parents biologiques ne peuvent ou ne veulent pas le faire. Sur le plan moral, c’est très différent de la maternité de substitution.
Lien avec les parents mandataires
Après avoir été séparés de leur mère de substitution, les nouveau-nés peuvent rencontrer des problèmes pour se rattacher à leurs nouveaux parents, comme le montrent les recherches menées sur les enfants qui ont perdu leur mère biologique.
De leur côté, même si les parents commanditaires souhaitaient fortement avoir des enfants, ils peuvent avoir besoin de temps pour s’adapter. Si la mère commanditaire rejette l’enfant ou a du mal à créer un lien avec lui à la suite de conflits émotionnels, l’enfant peut subir un préjudice qui dépasse celui de l’adoption. Dans ce cas, l’enfant est confronté à une forme de « rejet » par la mère porteuse – qui est sa gestatrice et parfois aussi sa mère génétique – suivi du rejet de la mère commanditaire. Seow Hon Tan estime que « la lutte pour la légalisation de la maternité de substitution existe pour servir les désirs des parents commanditaires, et non pour protéger l’intérêt supérieur des enfants ».
L’éthique de la maternité de substitution
Du côté des enfants, le fait que leur gestatrice, et peut-être leur mère génétique, les ont conçues juste pour les abandonner – souvent contre rémunération – peut être pesant.
« Il serait naïf de penser que de nouvelles lois pourraient obliger les parents mandataires à autoriser les contacts futurs entre les enfants et les mères porteuses ou exiger que les mères porteuses acceptent de tels contacts », explique la juriste. De nombreux accords de maternité de substitution sont transfrontaliers. En outre, les mères porteuses ne souhaitent pas nécessairement qu’on leur rappelle les enfants qu’elles ont abandonnés, et les parents mandataires peuvent craindre une ingérence dans leur rôle parental.
[1] Ses recherches portent sur la maternité de substitution, l’euthanasie, l’avortement, la théorie du droit naturel et l’éducation juridique.