Aude Mirkovic : Face à la loi sur la bioéthique en passe d’être votée, il faut se réveiller
À l’heure où des lois inquiétantes et décisives pour l’avenir de nos enfants sont en passe d’être votées, la porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance et maître de conférences en droit privé appelle à prendre la pleine mesure de ce qui se profile et à réagir.
Tribune originale dans Valeurs actuelles, 24 janvier 2021
Chimères humain/animal, embryons transgéniques… on se réveille, maintenant!
Embryons humains génétiquement modifiés, embryons animaux transformés avec des cellules humaines, enfants en pleine santé avortés à neuf mois de grossesse… est-ce là le monde dont nous rêvons? Le projet de loi bioéthique, en seconde lecture au Sénat début février, est en passe de le réaliser, en abrogeant l’interdiction légale actuelle de créer des embryons transgéniques ou chimériques, et en autorisant l’avortement pour motif de « détresse psychosociale » de la mère à toute époque de la grossesse.
Il est certes plus simple et plus économique d’offrir l’avortement comme réponse à la détresse «psychosociale» d’une femme plutôt que de rechercher avec elle des solutions porteuses d’avenir. Mais où est le progrès social ?
Il est sans doute enivrant pour un chercheur de transgresser les lois du vivant, mais quel genre de progrès humain réalise l’autorisation légale d’introduire des cellules souches humaines dans un embryon souris, porc ou singe ? Ces bricolages débridés n’augurent rien de bon pour personne et certainement pas pour les générations futures qui paieront les pots cassés de nos expérimentations égoïstes et irresponsables. En témoignent déjà tristement les deux petites filles chinoises nées en 2018, Lulu et Nana, jumelles génétiquement modifiées par la technique CRISPR-Cas9 lorsqu’elles étaient embryons en vue de les rendre résistantes au VIH. Résultat, la mutation réalisée est similaire à celle qui confère l’immunité au VIH mais non identique. Elle est donc incertaine quant à l’acquisition de l’immunité recherchée, mais en revanche bien certaine quant aux autres mutations introduites dans le génome des enfants, aux effets imprévisibles tant pour elles-mêmes que pour leur descendance à laquelle ces modifications seront transmises. Quel avenir préparent à nos jeunes des scientifiques comme cette équipe de chercheurs germano-japonais qui insèrent des cellules souches humaines de neurone dans des embryons de singe afin de rendre leur cerveau proche du nôtre ?
Alors que ce projet de loi prétendument «bioéthique» revient au Sénat, n’est-ce pas le moment que les Français réalisent ce qu’il contient ? Les députés eux-mêmes ont-ils pris la mesure de ce qu’ils ont voté?
Il est encore temps de comprendre que la question de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes célibataires et les couples femmes, qui accapare le débat politique et l’espace médiatique, n’est que la partie visible de l’iceberg d’un projet de loi qui institutionnalise le bricolage technologique sur le vivant devenu cobaye légal.
Il faut bien sûr dénoncer l’injustice, dissimulée sous de pseudo prétentions d’égalité, qui résulterait pour des enfants de naître de l’insémination par des donneurs de femmes célibataires ou en couple de femmes, privés délibérément et définitivement de leur papa. Non en raison des aléas de la vie mais du fait de la loi qui interdirait à certains enfants d’avoir leur père par une sentence sans appel : aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’enfant et le donneur.
Il convient d’identifier ici non un prétendu progrès mais une régression majeure, le retour en droit français d’enfants interdits par la loi de rechercher leur père comme l’étaient, au 19ème siècle, les enfants nés hors mariage privés d’action en recherche de paternité.
Mais réalisons-nous quel’abandon de la condition d’infertilité ouvre la technique de la PMA non seulement aux femmes mais à tous, à commencer par les couples homme/femme fertiles, numériquement les plus nombreux et qui constituent la cible réelle du marché de la procréation, moteur non dit de ce projet de loi ? Ce marché, actuellement contenu par la condition d’infertilité, aimerait rapatrier en France les profits des cliniques de la fertilité belges, danoises ou indiennes. La «procréation sans sexe pour tous», que le député Jean-Louis Tourraine entend légitimer[1], est l’avenir de ce marché. Et pour cause: la procréation avec sexe ne rapporte rien alors que la procréation technologique, elle, rapporte gros à l’industrie et aux techniciens en blouse blanche, d’autant plus gros qu’elle est prise en charge à 100% par l’assurance maladie.
Pourquoi donc un couple fertile recourrait-il à la PMA? Parce qu’on leur fait miroiter non plus un « simple » enfant mais un enfant correspondant à leurs attentes : aux États Unis, des couples fertiles exposent la femme comme l’enfant aux risques de la FIV pour choisir un garçon ou une fille. D’autres passent par la PMA pour éviter un strabisme, comme en Grande-Bretage, ou programmer un bébé à QI élevé comme en Chine. C’est inéluctable : la généralisation de la procréation technique instaure la sélection, toujours plus poussée, de l’humain.
Il y a trois ans, les états généraux de la bioéthique s’ouvraient sur cette accroche quelque peu grandiloquente : «quel monde voulons-nous pour demain?» A regarder d’un peu plus près le contenu du projet de loi bioéthique, il apparait que la question n’avait vraiment rien d’exagéré.
Alors que faire? La Commission des lois du Sénat vient de rejeter, purement et simplement, une proposition de loi visant à étendre encore l’IVG, texte pourtant déjà adopté par l’Assemblée nationale: la preuve si besoin qu’il est possible de dire stop. Il suffit d’un peu de volonté politique.
Pour autant, le monde de demain ne dépend pas seulement de nos parlementaires. Nous sommes tous décideurs, au minimum de ce qui se passe dans nos propres vies. Peut-être va-t-il falloir accepter de repenser nos modes de vie et nos propres contradictions, car les errements du projet de loi bioéthique n’arrivent pas de nulle part : n’est-ce pas le principe même de la PMA, de toute PMA, qui dissocie procréation et sexualité, substitue la technique à l’union des personnes, absolutise notre désir d’avoir un enfant, et nous fait ainsi passer de la procréation humaine à la production de l’humain, « en faisant de l’enfant le produit de technologies scientifiques» selon les termes mêmes du Conseil d’Etat[2]?
Est-il cohérent de manger bio sans OGM et de rester indifférent lorsque la loi annonce la fabrication d’EGM, les embryons génétiquement modifiés? Qui donc accepterait dans son assiette une escalope d’un veau issu d’un ovocyte de vache congelé depuis dix ans ? Quel genre d’ironie nous conduit alors à vendre à nos jeunes filles l’artifice de congeler leurs ovocytes pour reporter leur maternité?
Actualité oblige, stopper le projet de loi bioéthique est sans aucun doute la priorité de ce début d’année. Mais changer nos modes de vie en faveur d’une authentique écologie de la procréation humaine ne semble pas moins urgent. Et ça, c’est notre part à tous.
[1]Rapport de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, n° 1572, 15 janvier 2019, p. 86.
[2]Conseil d’État, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », 28 juin 2018, p. 44