Le 21 janvier 2021, le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels
Texte adopté par le Sénat en 1ère lecture ICI
Propositions législatives de JPE ICI
La proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, adoptée en commission des lois le 13 janvier et discutée en séance le 21 janvier, ajoute dans le code pénal un nouvel article Art. 227-24-2 incriminant tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans, en précisant que l’infraction est également constituée si l’acte de pénétration sexuelle est commis sur la personne de l’auteur.
Ce texte poursuit l’intention excellente de mieux protéger les enfants des crimes sexuels. Mais il est insuffisant à trois titres :
- Seuls sont visés les actes de pénétration sexuelle, alors que les autres agressions sexuelles devraient également être sanctionnées dès lors qu’ils concernent un majeur et un enfant.
- Seuls sont visés les mineurs de 13 ans. Certes, entre 13 et 15 ans, le texte prévoit que « La contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante », mais ces dispositions ne protègent pas les enfants en maintenant encore la possibilité d’un consentement de leur part : en l’état, le texte permet ENCORE de considérer comme consentantes des jeunes filles comme Vanessa Springora, âgée de 14 ans lors de sa liaison avec Gabriel Matzneff, ou des garçons comme « Victor » Kouchner, âgé de 13 et 14 ans à l’époque des faits commis par son beau-père et racontés par sa sœur dans un livre que personne ne peut ignorer.
- La spécificité de l’inceste n’est pas prise en considération, laquelle exige de prohiber toute possibilité d’un consentement de l’enfant avant 18 ans.
Age de 13 ou 15 ans ?
L’âge de 13 ans est souvent préféré à celui de 15 pour réserver un écart d’âge afin de ne pas exposer des jeunes couples de 14 et 18 ans à la « menace » de l’âge de non-consentement : en effet, une relation consentie entre deux jeunes de 17 et 14 ans pourrait devenir une infraction dès lors que le plus âgé des deux atteint ses 18 ans.
Un tel argument ne saurait pourtant convaincre pour abaisser l’âge de référence du consentement à 13 ans.
- Tout d’abord, l’existence de « cas limite », c’est le propre de tout seuil : si l’âge était fixé à 13 ans, on trouverait sans aucun doute des cas où un jeune de 17 ans entretenant une relation consentie avec un autre de 12 ans se trouverait soudain en situation illicite en soufflant sa 18ème
- Ensuite, si une plainte devait être déposée dans un tel cas « limite », rappelons que le procureur est juge de l’opportunité des poursuites. Il convient de laisser à l’appréciation du magistrat de décider de poursuivre ou non.
- Enfin, et surtout, une telle hypothèse « limite » ne peut servir de prétexte à assurer l’impunité à tous les autres adultes qui prétendront qu’un jeune de 14 ans était consentant.
L’affaire des pompiers de Paris, poursuivis pour atteinte sexuelle et non pour viol sous prétexte que la jeune fille, âgée de 14 ans, aurait été consentante[1], illustre bien l’insuffisance de l’âge de 13 ans.
Avec un seuil de de 13 ans, un homme comme Gabriel Matzneff pourrait en toute impunité entretenir des relations sexuelles avec des jeunes filles comme Vanessa Springora, âgées de 14 ans. Il serait encore possible de prétendre que Victor Kouchner était consentant aux actes commis par son beau-père.
Rien n’aurait changé finalement.
En conclusion, il faut choisir entre deux inconvénients :
- Exposer des jeunes de 18 ans à se trouver en infraction dans le cadre d’une relation débutée avant leur majorité.
- Permettre à des adultes de prétendre que des jeunes de 13 ou 14 ans sont consentants.
Entre deux inconvénients, il faut choisir le moindre, qui est sans hésitation de mettre fin à l’impunité de tous les Matzneff et autres prédateurs.
Les obstacles à l’introduction d’une « présomption de contrainte » et la nécessité de création d’une infraction autonome
Le système de la présomption ne fonctionne pas
Tout d’abord, le principe même d’une présomption de contrainte ne peut être retenu.
- Si la présomption est simple, elle ne résout rien.
En effet, si la preuve de l’absence de contrainte peut être rapportée, cela revient encore à admettre la possibilité d’un pseudo consentement de l’enfant, ce qui n’est pas acceptable.
Il est intéressant de noter à cet égard les remarques du rapport, rendu par la députée Alexandra Louis le 4 décembre 2020, sur les précisions apportées par la loi Schiappa à l’alinéa 3 de l’article L. 222-22-1 du Code pénal sur la contrainte morale ou la surprise : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».
Alexandra Louis indique que certains juristes interprètent ces précisions comme une présomption simple qui déplacerait la charge de la preuve en présumant l’existence d’une contrainte ou d’une surprise subie par le mineur. Elle note que « toutefois, la Cour de Cassation n’ayant pas encore eu à connaître de cette question, cette interprétation reste à ce jour incertaine » (p. 125 du rapport). Et justement, la Cour d’Appel de Versailles a récemment pu, malgré ces nouvelles dispositions, requalifier des faits de viol sur mineur de 14 ans en atteinte sexuelle, estimant que la victime était consentante[2]. Cette décision montre ainsi qu’une présomption simple ne constitue donc pas une protection suffisante du mineur de quinze ans.
- Si la présomption est irréfragable, elle est contraire à la présomption d’innocence.
Le HCE recommande une présomption de contrainte irréfragable car, selon lui, « seule la présomption de contrainte sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire traduit la réalité de l’acte choisi par la personne majeure et imposé à l’enfant de moins de 13 ans ».
Par définition, une telle présomption irréfragable de contrainte ne pourrait être renversée. Mais il serait contraire à la présomption d’innocence[3]qu’un élément constitutif de l’infraction soit présumé sans que la preuve contraire ne puisse être rapportée.
Le rapport Louis du 4 décembre 2020 rappelle d’ailleurs bien que l’option d’une présomption irréfragable avait été écartée dans les débats préalables à la loi de 2018 et il cite à cet égard la décision du Conseil Constitutionnel du 16 juin 1999.
Dans cette décision, le Conseil a rappelé qu’il « résulte de la présomption d’innocence qu’en principe le législateur ne saurait instituer une présomption de culpabilité en matière répressive ; toutefois de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas un caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité » (Cons. Const. 16 juin 1999, n°99-411 DC).
En 2011, il a censuré la loi LOPPSI II qui avait selon lui pour effet d’instituer à l’encontre du représentant légal d’un mineur, une présomption irréfragable de culpabilité par les dispositions permettant de punir ce représentant légal pour ne pas s’être assuré du respect par le mineur d’une décision de couvre-feu (Cons. Const. 10 mars 2011, n°2011-625 DC)[4].
La CEDH, quant à elle, admet l’existence de présomptions dans le droit interne à condition que la présomption de culpabilité ne soit pas irréfragable et qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de la défense[5].
La contrainte ne doit pas faire partie de la définition de l’infraction
Compte-tenu du caractère insuffisant de la présomption simple de contrainte, et du caractère inconstitutionnel[6]de la présomption irréfragable, la contrainte ne doit pas faire partie de la définition de l’infraction, ni présumée, ni à prouver : il n’est pas nécessaire de considérer que l’adulte a forcé l’enfant, même de façon présumée. Quand bien même surviendrait une situation dans laquelle l’enfant demanderait l’acte sexuel à l’adulte, c’est à ce dernier de le refuser sous peine de se rendre coupable du délit.
Peu importe que l’adulte ait suscité, forcé, suggéré, contraint ou non l’acte. Il suffit que l’acte soit volontaire de sa part, la qualification ne dépendant ensuite que du fait qu’il y a eu pénétration ou non.
Nécessité d’une infraction autonome
Il n’est ni nécessaire ni même opportun de « nommer pénalement le viol ou l’agression sexuelle » pour caractériser des actes impliquant des adultes et des enfants : en effet, le viol et l’agression sont par définition imposés et contraints. L’usage de ces termes évoquera donc toujours la référence à une contrainte avec, sous-jacente, la possibilité que l’acte ne relève pas de la qualification de viol ou l’agression si cette contrainte n’existe pas.
Employer le terme de viol et d’agression sexuelle pour des actes que l’absence de contrainte ne requalifierait pas sera toujours ambigu.
C’est pourquoi, une infraction autonome est non seulement possible mais même préférable à celle de viol et d’agression sexuelle, ces termes ne convenant pas pour désigner un acte dans lequel la contrainte n’est pas un élément de définition de l’infraction.
Voir ICI les propositions législatives de Juristes pour l’enfance
[1]https://www.20minutes.fr/justice/2906791-20201112-pompiers-poursuivis-atteinte-sexuelle-requalification-viol-rejetee-appel
[2]https://www.20minutes.fr/justice/2906791-20201112-pompiers-poursuivis-atteinte-sexuelle-requalification-viol-rejetee-appel
[3]Etablie par l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen intégrée au bloc de constitutionnalité
[4]Décisions citées dans le Répertoire Dalloz de droit pénal et de procédure pénale, Preuve, Charge de la Preuve, §28, octobre 2020. Auteur : Jacques Buisson
[5]Ibid § 29
[6]Et contraire aux droits de l’homme