Propositions sur la proposition de loi n° 3161 visant à réformer l’adoption
26 novembre 2020
La proposition de loi n° 3161 visant à réformer l’adoption, présentée par madame la députée Monique Limon sera examinée en séance mercredi 2 décembre 2020.
L’objectif affiché de ce texte est de favoriser l’adoption d’enfants aujourd’hui maintenus en foyer ou familles d’accueil alors que leur intérêt serait d’être adoptés.
Malheureusement, il comporte des mesures de nature à contrarier cette intention comme la suppression de la possibilité pour des parents de confier leur enfant, en vue de son adoption, à un organisme autorisé par l’adoption (OAA), alors que ces organismes accomplissent un travail remarquable en France comme à l’international.
Le texte maintient l’activité d’intermédiaire des OAA en vue de l’adoption à l’international, mais supprime cette activité en Francesans explication et de façon très dommageable.
Nous proposons donc d’introduire dans le code de l’action sociale et des familles une section 2 bis rétablissant l’activité des OAA en France, et définissant les conditions dans lesquelles ils sont autorisés à exercer en France leurs activités d’intermédiaires et/ou de recueil d’enfants en vue de leur adoption.
Nous déplorons par ailleurs que la commission ait supprimé la référence à l’intérêt supérieur de l’enfant, pour la remplacer par la notion d’intérêt de l’enfant.
Nous demandons que l’intérêt supérieur de l’enfant, supérieur et seul en cause en matière d’adoption, soit affirmé et mis en œuvre.
Nous souhaitons attirer l’attention des parlementaires sur les points suivants :
- La suppression du principe d’intérêt supérieur de l’enfant
- La fin pour les OAA de leur activité en France de recueil d’enfants et d’intermédiaires en vue de l’adoption (art. 13)
- La suppression de l’exigence du mariage des couples adoptants et l’abaissement de l’âge minimal et de la durée minimale de vie commune (art. 2)
- Garantir à tous les enfants l’adoption par un couple (ajout)
- L’adoption imposée à la mère de naissance de l’enfant né dans le cadre d’une PMA réalisée à l’étranger par deux femmes
- Les dispenses d’agrément (art. 10)
- La mention des avis divergents sur les PV de délibération des conseils de famille (art. 14)
- La recherche de solutions pour les enfants adoptables sans famille d’adoption (ajout art. 14)
Version PDF de cet article: propositions JPE sur le texte adopté en commission des lois
1. La suppression du principe d’intérêt supérieur de l’enfant
L’exposé des motifs de la proposition de loi enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2020 rappelait que cette proposition respectait deux principes fondamentaux, l’intérêt supérieur de l’enfant et la volonté de donner une famille à un enfant et non l’inverse.
Ce principe était affirmé au Titre 1 de la PPL (« Faciliter et sécuriser l’adoption conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant »), au nouvel article L. 225-1 du Code de l’action sociale et des familles tel que rédigé à l’article 10 de la PPL (L’agrément a pour finalité l’intérêt supérieur des enfants en attente d’adoption »), au nouvel article L. 225-11 du même code issu de l’article 11 de la PPL (« L’apparentement est le fait de choisir une famille pour un enfant au regard de son intérêt supérieur »).
Or, un amendement déposé dans les heures précédant l’examen en commission a proposé de supprimer ce principe « d’intérêt supérieur de l’enfant » pour le remplacer par la notion « d’intérêt de l’enfant ».
Un tel procédé est déjà choquant puisqu’il ne permet pas d’expression des représentants de la société civile lors de l’audition. En outre, les amendements ont été examinés rapidement en commission des lois, et le temps nécessaire pour comparer le principe d’intérêt supérieur et la notion d’intérêt « simple » n’a pas été pris. La rapporteure s’est contentée d’indiquer que puisque le principe n’existait pas ailleurs dans le Code civil, il convenait d’harmoniser en le remplaçant par la notion d’intérêt de l’enfant.
Or, la notion d’intérêt de l’enfant n’est en rien équivalente au principe d’intérêt supérieur de l’enfant puisque la disparition du mot « supérieur » a pour effet de placer l’intérêt de l’enfant au même niveau et donc en concurrence avec d’autres intérêts qui sont, en l’espèce, ceux des parents biologiques, des candidats à l’adoption, des structures ou familles d’accueil dans lesquelles sont accueillis ou placés les enfants, de l’administration elle-même.
De surcroît l’harmonisation de la législation par le moins-disant est contraire aux engagements internationaux pris par la France, et à la Constitution.
En effet, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est posé par l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée Générale de l’ONU le 20 novembre 1989 et ratifiée par la France le 7 août 1990.
L’article 3, §1, de la CIDE stipule que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Comme le rappelle le Gouvernement via le site vie-publique.fr, « la CIDE est un texte contraignant pour les Etats qui l’ont ratifiée. (…) Le Conseil d’Etat dès 1993 puis la Cour de Cassation à partir de 2005, ont admis que plusieurs articles de la CIDE étaient directement applicables devant les juridictions et que les particuliers pouvaient les invoquer. C’est le cas de l’article 3 sur l’intérêt supérieur de l’enfant, notion érigée au rang constitutionnel par le Conseil constitutionnel en mai 2013[1]».
Une Observation Générale (n°14) du 29 mai 2013[2]du comité des droits de l’enfant de l’ONU est venue expliciter le sens de ce principe : « L’intérêt supérieur de l’enfant est un droit de fond : le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale lorsque différents intérêts seront examinés en vue d’aboutir à une décision sur la question en cause » (§6a).
Le Comité rappelle encore dans cette même observation que « pour s’acquitter de ces obligations, les Etats parties devraient prendre un certain nombre de mesures d’application (…), notamment : Examiner et, si nécessaire, modifier la législation interne et les autres sources de droit en vue d’y incorporer le §1 de l’article 3 et faire en sort que la prescription relative à la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant soit reflétée et mise en œuvre dans la totalité des dispositions législatives et réglementaires nationales »(§ 15a).
Et enfin, le Comité prescrit que « le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale devrait être expressément mentionné dans toutes les lois pertinenteset pas seulement dans les lois qui concernent spécifiquement les enfants ».
L’amendement n°CL159 adopté, outre d’enfreindre les engagements internationaux pris par la France, entre enfin en contrariété avec la Constitution puisque le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019 a constitutionnalisé l’intérêt supérieur de l’enfant[3].
Il convient donc de modifier à nouveau la proposition de loi afin de rétablir le principe d’intérêt supérieur de l’enfant dans les textes.
Proposition d’amendement
Chaque fois qu’ils sont employés par le texte, les termes « intérêt de l’enfant » sont remplacés par les termes « intérêt supérieur de l’enfant ».
2. La fin pour les OAA de leur activité en France de recueil d’enfants et d’intermédiaires en vue de l’adoption (art. 13)
La PPL supprime la possibilité pour les organismes autorisés de recueillir des enfants et d’exercer une activité d’intermédiaire pour l’adoption en France, en la rendant même illégale sous peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende : elle fait ainsi disparaître l’œuvre des OAA en France, les cantonnant, pour ceux qui l’exercent, à leur rôle d’intermédiaires en vue de l’adoption à l’international.
Le rôle des OAA à l’international est crucial et le service qu’ils rendent inestimable, mais leur activité en France ne l’est pas moins. Il convient donc de la rétablir.
Aujourd’hui, en France, des parents contraints de confier leur enfant à l’adoption ont le choix de le remettre à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou à un Organisme autorisé pour l’adoption (OAA), dont l’activité remonte pour les plus anciens au début du 19èmesiècle[4].
Ces OAA sont des structures privées, le plus souvent des associations, réglementées par le Code de l’aide sociale et des familles et qui servent d’intermédiaires pour l’adoption ou le placement en vue d’adoption de mineurs de moins quinze ans. Leur activité est bien encadrée : titulaires d’une autorisation délivrée par le président du conseil départemental concerné (actuel article L. 225-11 CASF), ils doivent en outre recevoir une habilitation particulière du ministre chargé des affaires étrangères s’ils exercent uneactivité à l’international, en tant qu’intermédiaires pour assister des familles françaises dans leurs démarches en vue d’adopter des enfants étrangers (actuel article L. 225-12 CASF).Enfin, les OAA qui envisagent de recueillir des enfants nés sur le territoire français en vue de les confier en adoption doivent demander une autorisation supplémentaire (article R. 225-16 CASF).
Selon la rapporteure de la proposition de loi Madame Monique Limon, le nombre d’enfants adoptés en France via un OAA serait faible. Et le but serait de garantir à tous les enfants « une meilleure protection de leurs droits, avec notamment la définition d’un projet de vie, la recherche d’une famille d’adoption si l’intérêt de l’enfant le justifie et l’assurance d’une protection juridique durable en cas de non adoption ».
Cette motivation laisse pantois car tous les enfants confiés à des OAA ont de facto un projet de vie dès lors que les parents les confient en vue de leur adoption. TOUS trouvent une famille, y compris les enfants handicapés, et la question d’une protection juridique durable en cas de non-adoption ne se pose donc jamais puisque 100% sont adoptés.
Pourquoi donc supprimer le recueil des enfants par les OAA ?
Cette mesure est présentée comme anodine sous prétexte que l’activité de recueil des enfants par les OAA en France est devenue réduite.
En effet, tous les OAA ne font pas les démarches pour disposer de l’autorisation de recueillir des enfants. Certains y ont renoncé, soit parce que leur activité est tournée vers l’international exclusivement, soit en raison des contraintes administratives générant des frais trop importants. Parmi les OAA aujourd’hui autorisés à recueillir des enfants[5], Familles adoptives françaises a recueilli et confié à l’adoption 5 enfants en 2019 et 2 (« seulement » en raison de la Covid probablement) depuis le début de l’année 2020.
Mais il semble que la démarche concerne une centaine de femmes par an, ce qui n’est en rien négligeable.
Quels que soient les chiffres, il est primordial de laisser aux OAA autorisés pour cela la possibilité de recueillir les enfants que les parents leur confient en vue de l’adoption.
- Il est essentiel pour la Démocratie de conserver le libre choix des femmes enceintes de s’adresser à l’État (ASE) ou à une structure privée autorisée (OAA), aussi bien pour tout ce qui les concerne elles-mêmes, qu’en ce qui concerne leur enfant. Vis-à vis de ce dernier, pouvoir choisir entre le recours à l’Etat ou à une structure privée, fait partie du droit des femmes à exercer leur autorité parentale dans cet acte qui consiste à consentir à l’adoption de leur enfant. Toutes les femmes bénéficient de ce droit lorsqu’elles choisissent de consulter un gynécologue en privé ou à l’hôpital, d’accoucher dans ce dernier ou en clinique privée, d’inscrire son bébé dans une crèche publique ou de choisir une structure privée, de le faire garder chez une nounou agréée ou par une personne de son choix chez elle, de scolariser son enfant dans le public ou dans une école privée etc…
Il serait discriminatoire que la femme en difficulté qui souhaite être suivie particulièrement pendant sa grossesse et/ou le parent qui souhaite confier son enfant en vue de l’adoption, soient les seuls à être interdits de ce choix entre l’Etat (ASE) et une structure privée.
En outre, dans la proposition de loi, lorsqu’un parent remet son enfant à l’ASE, il consent à l’admission de l’enfant dans le statut de pupille de l’Etat. C’est ensuite le Conseil de famille qui va définir un projet de vie pour cet enfant, comportant ou non adoption.
Or, un parent peut vouloir confier son enfant avec pour celui-ci le seul projet de le voir adopté. Cette certitude ne pouvant être obtenue lorsque l’enfant est admis dans le statut de pupille de l’Etat, tout parent doit avoir la possibilité de s’adresser à un OAA pour être certain que son enfant sera adopté par une famille.
- Pour l’enfant, être confié à un OAA n’emporte aucun préjudice, mais constitue au contraire une chance pour lui : 100 %des enfants confiés à des OAA pour adoption sont effectivement aussitôt adoptés. Il n’y a pas à définir un projet de vie puisque ces enfants sont confiés en vue de l’adoption. Et il n’est pas nécessaire non plus de chercher une protection juridique durable en l’absence d’adoption car ce cas de figure ne se présente JAMAIS.
- En outre, les OAA sont en mesure de recueillir des enfants porteurs de handicaps pour lesquels ils trouvent des familles adoptives en raison du travail associatif qu’ils réalisent dans ce domaine. Pour un enfant handicapé, être confié à un OAA est une vraie chance. Avec cette proposition de loi, un OAA comme Emmanuel-SOS adoption disparaîtra, alors que chaque année l’ASE elle-même s’adresse à cette association pour trouver des familles pour des pupilles de l’Etat lourdement handicapés. L’OAA présente à l’ASE des foyers candidats non seulement agréés, mais également préparés spécialement par lui pour accueillir de tels enfants. Depuis 1975, date de sa création, Emmanuel SOS adoption a donné une famille à plus de 2 000 enfants dont plus de la moitié étaient atteints d’une maladie grave ou d’un handicap lourd.
- Le nombre modeste des enfants recueillis par les OAA en activité s’explique aussi par le fait qu’ils accueillent des femmes enceintes qui pensent confier leur enfant à l’adoption. Ces femmes font l’objet d’un accompagnement et des mesures sociales sont mises en place : grâce à cela, certaines décident finalement de garder leur enfant avec elle. Très peu réalisent finalement leur projet initial de confier l’enfant à l’adoption. La suppression de la possibilité pour les OAA de recueillir des enfants ne leur permettrait plus de jouer ce rôle pourtant si précieux, qui concernent une centaine de femmes par an.
- Certains parents, le plus souvent des femmes enceintes, ne souhaitent pas confier leur enfant à l’ASE car elles ont été elles-mêmes pupilles de l’État et souhaitent s’adresser à un OAA car elles ne veulent pas que leur enfant suive le même parcours qu’elles.
Proposition : maintenir le choix laissé aux parents de confier leur enfant à un OAA autorisé en vue de son adoption
Après l’article 11 ter, il est ajouté un article additionnel 11 ter – bis créant après la section 2 du chapitre V du titre II du livre II du code de l’action sociale et des familles, une section 2 bis spécifique pour l’activité des OAA en France, et définissant les conditions dans lesquelles ils sont autorisés à exercer une activité d’intermédiaire en France pour l’adoption ou le placement en vue d’adoption de mineurs de quinze ans, et celles dans lesquelles ils sont autorisés à recueillir sur le territoire français des mineurs en vue de les proposer à l’adoption.
Voir la tribune sur les OAA d’Aude Mirkovic et Olivia Sarton dans Marianne le 25 novembre 2020
3. La suppression de l’exigence du mariage des couples adoptantset l’abaissement de l’âge minimal et de la durée minimale de vie commune (art. 2)
L’article 2 de la PPL propose de supprimer l’exigence actuelle que le couple d’adoptants soit marié pour permettre l’adoption par des partenaires pacsés ou des concubins :
Art. 343 nouveau :
« L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins.
« Les adoptants doivent être en mesure d’apporter la preuve d’une communauté de vie d’au moins un an ou être âgés l’un et l’autre de plus de vingt‐six ans ».
Selon l’exposé des motifs, le but de cet article est « de déconnecter l’adoption du statut matrimonial de l’adoptant pour autoriser l’adoption en cas de pacte civil de solidarité ou de concubinage, mettant ainsi fin à une différence de traitement face à l’adoption entre couples hétérosexuels et homosexuels mariés et couples hétérosexuels et homosexuels non mariés ».
Ceci est en contradiction avec l’objectif affirmé par l’exposé des motifs « de renforcer et de sécuriser le recours à l’adoption comme un outil de protection de l’enfance lorsque celui-ci correspond à l’intérêt de l’enfant concerné, et uniquement dans son intérêt » (p. 4).
En effet, en quoi l’intérêt de l’enfant, affirmé comme le seul intérêt en cause, est-il concerné par l’égalité entre les couples mariés ou non mariés ?
Est-il admissible que l’enfant en attente d’adoption serve de variable d’ajustement à des revendications concernant les adultes ?
L’adoption, qui répond à l’intérêt de l’enfant et « uniquement » à son intérêt, ne vise pas à assurer l’égalité entre les candidats à l’adoption. Elle doit se préoccuper du seul intérêt de l’enfant. Or, le mariage des adoptants apporte à l’enfant plus de garanties que le concubinage ou le PACS, en raison de son contenu légal.
Certes, les dispositions relatives à l’autorité parentale sont les mêmes pour les couples mariés et non mariés. Pour autant, le statut conjugal des parents n’est pas sans conséquences quant à la protection apportée aux enfants.
- Deux personnes qui demandent à adopter ensemble un enfant ne créent pas chacune un lien personnel avec l’enfant, mais aussi un lien familial entre elles deux et l’enfant. L’engagement de ces personnes l’une envers l’autre donne du sens à leur démarche conjointe vis-à-vis de l’enfant.
Concrètement, le PACS et le concubinage ne comportent pas d’obligation de communauté de vie. Des personnes qui n’habitent pas ensemble et n’ont aucune obligation légale de le faire, pourraient ainsi adopter un enfant.
- Les couples mariés offrent à l’enfant des garanties de sécurité et de stabilité supérieures, du fait du contenu légal du mariage.
L’engagement qui caractérise le mariage et la procédure par laquelle passe sa dissolution sont des gages de stabilité, vérifiée par les faits : les couples non mariés se séparent plus et plus rapidement, et les enfants sont en moyenne plus jeunes lors de la séparation des parents non mariés.
Ceci est particulièrement visible chez les couples jeunes non mariés qui se séparent plus et plus vite que leurs homologues mariés. Or, avec la proposition, un jeune couple à partir de 20 ans, dès lors qu’il a une vie commune d’une année, pourrait demander à adopter, alors même qu’une communauté de vie d’une année, chez des jeunes non mariés, demeure une situation particulièrement précaire car il y a de nombreuses ruptures sur les premières unions. Au contraire, dans la même tranche d’âge, des jeunes mariés ont fait, eux, la démarche d’un engagement officiel.
- La rupture du couple elle-même passe en cas de mariage par une procédure judiciaire ou, en cas de divorce sans juge, une procédure prévoyant l’intervention obligatoire des avocats, qui permet la prise en compte des intérêts des époux et des enfants et, au minimum, l’information des parents sur leurs droits et devoirs à l’égard des enfants ne cas de séparation.
Au contraire, la séparation de parents non mariés peut se faire sans l’intervention du juge aux affaires familiales ni même le concours d’un avocat, sans garantie que la situation soit consentie (elle peut être imposée par un des parents à l’autre) ni qu’elle respecte les droits de l’enfant et son intérêt, par exemple son droit de maintenir des liens avec ses deux parents.
- Le mariage, protecteur des époux, est également protecteur du lien entre l’enfant et ses parents : les obligations entre époux pendant le mariage, le régime matrimonial, la prestation compensatoire en cas de divorce, l’héritage et le droit à une pension de reversion en cas de décès protègent chacun des époux et, en particulier, celui qui a le plus faible revenu (notamment par exemple parce qu’il s’est consacré à l’éducation des enfants, choix fréquent après une adoption, et même parfois indispensable si l’enfant adopté souffre d’une maladie grave ou d’un handicap nécessitant la présence constante d’un de ses parents auprès de lui).
La plus grande précarité d’un partenaire de PACS ou d’un concubin après le décès brutal de l’autre ou une séparation conflictuelle, a des répercussions évidentes sur l’enfant adopté, là où le statut de mariage permet une meilleure protection des conjoints et donc indirectement de l’enfant.
- Certes, les personnes non mariées, partenaires ou concubins, sont libres d’avoir des enfants.
Pour autant, la société a une responsabilité particulière à l’égard des enfants qui lui sont confiés en vue de leur adoption. Il est donc de sa responsabilité d’offrir à l’enfant le maximum de garanties et il est justifié, dans l’intérêt de l’enfant, qu’elle exige des candidats à l’adoption qu’ils soient mariés.
De la même manière, des personnes très jeunes, ou plus âgées, peuvent parfaitement avoir des enfants et, pourtant, il est bien justifié par l’intérêt de l’enfant en attente d’adoption que la loi écarte des candidats à l’adoption présentant un écart d’âge trop faible, ou trop important, avec l’enfant.
L’interdiction de l’adoption par des époux séparés de corps est elle aussi justifiée par l’intérêt de l’enfant, sans qu’il en résulte d’inégalité à l’égard des époux séparés de corps, car la loi sur l’adoption ne vise l’égalité des couples mais l’intérêt de l’enfant.
L’enfant en attente d’adoption, qui a déjà souffert une séparation avec ses parents d’origine, a le droit de bénéficier de la configuration familiale la plus sécurisante pour lui.
- La différence de statut qui existe entre les couples mariés ou non mariés justifie des différences de traitement, en matière de filiation notamment. La Cour européenne des droits de l’homme comme les juridictions internes le rappellent régulièrement. Et, dans le cas présent, la différence de traitement est justifiée dès lors que le statut matrimonial offre à l’enfant des garanties de stabilité et sécurité objectives que les autres statuts (concubinage et pacs) ne sont pas en mesure d’offrir. Les qualités personnelles des intéressées ne sont pas en cause mais le statut qui est le leur n’est pas indifférent.
- Enfin, il est très surprenant d’avoir en même temps supprimé la condition de mariage et abaissé les conditions de durée de vie commune et d’âge des adoptants.
Un amendement (n°CL160), là encore déposé au moment de l’examen en commission et qui n’a donc pas pu être discuté lors des auditions, a abaissé l’exigence de vie commune à 1 année et l’âge minimum à 26 ans.
L’exposé des motifs mentionne qu’il a pour objet d’inscrire les règles de l’adoption dans le sens de l’évolution de la société.
Or, cet abaissement de la durée de vie commune et d’âge des adoptants est directement contraire à l’évolution de la société : l’âge moyen des femmes à leur 1erenfant ne cesse de reculer : alors qu’il était de 24 ans en 1974[6], il est passé à 28 ans en 2010[7]et à 28,5 ans en 2015[8]. La moyenne dans l’Union européenne est à 29 ans[9]. Ce recul est dû aux choix de vie posés par les femmes qui souhaitent notamment être stables financièrement et professionnellement, et privilégier leur vie de couple avant d’avoir un enfant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi de bioéthique cherche à inciter les femmes à congeler leurs ovocytes pour pouvoir les utiliser encore plus tard.
Quant aux hommes, l’âge moyen pour un premier enfant est de 31 ans[10].
Compte-tenu de ce recul général de l’âge au 1erenfant, on ne comprend pas le sens de l’amendement qui va à l’encontre de l’expérience sociétale.
L’abaissement de la durée de vie commune n’est pas plus heureux.
L’exigence d’une durée de mariage de deux années supposait que le couple était formé depuis plus longtemps (la décision de mariage et l’organisation de celui-ci impliquant un temps plus ou moins long).
Aujourd’hui la vie commune débute usuellement à la rencontre des partenaires qui vivent aussitôt ensemble. Ainsi la durée de vie commune dans le concubinage est identique à la durée d’existence du couple.
Or, selon les statistiques, ce sont les 4 premières années des unions cohabitantes qui sont les plus cruciales, ce sont celles qui voient le plus les couples se séparer[11].
Dès lors, il parait contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant de permettre la demande d’adoption au moment où le couple se situe encore dans cette période de fragilité.
Pour toutes ces raisons, et afin d’apporter à l’enfant adopté le maximum de garanties, il est proposé de supprimer l’article 2 de la proposition de loi.
4. Garantir à tous les enfants l’adoption par un couple(ajout)
La proposition de loi pourrait être l’occasion de renforcer la prise en compte de l’intérêt de l’enfant en garantissant à tous les enfants en attente d’adoption d’être adoptés par deux parents (mariés de préférence).
L’adoption d’un enfant par une personne seule a pu se justifier dans un contexte où les candidats à l’adoption étaient rares et les enfants en attente de famille nombreux.
Mais ce contexte est aujourd’hui complètement dépassé : la société a la possibilité d’offrir des parents adoptifs et non pas un seul parent adoptif à tous les enfants qui lui sont confiés pour l’adoption.
Dès lors qu’il est possible d’offrir deux parents à tous les enfants en attente d’adoption, il serait gravement injuste que certains d’entre eux continuent d’être adoptés par un seul parent. En outre, comme le rappelle le Document faisant état des travaux de la rapporteure » daté du 19 novembre 2020 (page 5), l’adoption par une personne seule peut être prononcée alors que cette personne est mariée, pacsée ou en concubinage. On peut s’interroger sur l’intérêt de l’enfant à être adopté par un membre d’un couple dont l’autre ne souhaite pas participer à ce projet pour l’enfant. Il convient alors de maintenir l’adoption par une personne seule au contexte de l’adoption intra familiale, à savoir l’adoption de l’enfant du conjoint ou l’adoption d’un orphelin par un oncle, une tante ou une autre personne de sa famille. Dans ce dernier cas, il pourrait être préjudiciable à l’enfant de ne pouvoir demeurer dans le cadre familial sous prétexte que la personne qui peut l’adopter est célibataire.
Il convient donc de supprimer du code civil la possibilité qu’un enfant soit adopté par une personne seule, en réservant le cas de l’adoption intrafamiliale qui présente des spécificités.
Nous proposons d’ajouter à la proposition de loi un article 2 bis ainsi rédigé.
Article 2 bis
Alinéa 1er : L’article 343 du Code civil est complété par un alinéa 2 ainsi rédigé :
« Par exception, l’adoption peut être demandée par une personne seule lorsqu’elle est un parent ou un allié de l’adopté ».
Alinéa 2 :
L’article 343-1 du Code civil est supprimé
5. L’adoption imposée à la mère de naissance de l’enfant né dans le cadre d’une PMA réalisée à l’étranger par deux femmes
Un article 9 bis nouveau de la proposition de loi vise à régler les conflits autour de l’enfant né de PMA réalisée à l’étranger par deux femmes non mariées.
L’hypothèse retenue est celle de la séparation des deux femmes et du refus de la mère biologique de l’enfant, celle qui a accouché de celui-ci, de voir établi un lien de filiation entre l’enfant et la seconde femme.
La proposition entend donner la possibilité à celle-ci, dans un délai de 3 ans à compter de la promulgation de la loi, de demander l’adoption de l’enfant qui pourrait alors être prononcée nonobstant l’opposition de la mère biologique titulaire de l’autorité parentale, de l’absence de lien conjugal et de l’absence de la condition d’accueil d’au moins 6 mois (c’est-à-dire de l’absence de vie quotidienne avec l’enfant).
Or, imposer à un parent la filiation adoptive de son enfant par un tiers est contraire aux droits attachés à l’autorité parentale. Aucune filiation d’intention ne peut être imposée à un parent titulaire de l’autorité parentale, si ce dernier la refuse.
En outre, imposer une telle filiation adoptive constituerait un précédent désastreux pour l’ensemble des familles puisqu’il permettrait d’établir une filiation d’intention contre la volonté du parent biologique titulaire de l’autorité parentale.
Ainsi, un concubin (e) partageant une durée de vie plus ou moins longue avec le parent d’un enfant, pourrait solliciter, contre l’avis de ce parent, l’adoption de l’enfant au motif qu’il a l’intention d’être le parent de cet enfant puisqu’il a participé à son éducation et qu’ils vivent (ou qu’ils ont vécu) sous le même toit.
On ne voit pas ce qui permettrait de limiter la proposition de loi au seul cas où la seconde femme était présente lors de la conception de l’enfant, voir a contribué financièrement à cette conception.
Tout adulte prenant en charge pour partie au moins financièrement un enfant pourrait avoir les mêmes prétentions de filiation.
6. Les dispenses d’agrément(art. 10)
Dispense d’agrément pour les personnes auxquelles l’enfant a été confié
L’article 10 al. 7 dispense d’agrément les personnes à qui le service de l’aide sociale à l’enfance a confié un pupille de l’État pour en assurer la garde lorsque les liens affectifs qui se sont établis entre cet enfant et eux justifient cette mesure et qu’elles souhaitent l’adopter.
Cette dispense amoindrit la protection de l’enfant : ce n’est pas parce que les personnes se sont vu confier l’enfant qu’elles présentent les garanties que la procédure d’agrément vise à vérifier. Cette procédure inclut notamment des investigations sociales et psychologiques qui n’existent pas dans la procédure pour devenir assistant familial (famille d’accueil).
En outre, comment apprécier l’existence ou non de ces liens affectifs, et qui sera chargé d’un tel constat ?
Bien plus, l’existence de liens affectifs peut conduire les personnes à vouloir adopter l’enfant sans mesurer la portée de leur acte, alors que la procédure d’agrément a notamment pour objet une prise de conscience sur la réalité et les difficultés de l’adoption, la particularité de la filiation adoptive, pour s’engager dans ce processus en connaissance de cause.
Proposition : supprimer l’alinéa 7 de l’article 10
Dispense d’agrément dans le cadre d’une adoption intrafamiliale d’un enfant étranger
De même, l’alinéa 13 de l’article 10 dispense d’agrément les personnes qui souhaitent recueillir un enfant dans le cadre d’une adoption intrafamiliale d’un enfant étranger.
Cette dispense amoindrit elle aussi la protection de l’enfant.
Il convient d’abord de rappeler que lors d’une demande d’agrément pour adoption, un extrait B3 du casier judiciaire du candidat à l’adoption ainsi que celui des personnes majeures vivant à ses côtés, doit être fourni. En outre, le président du Conseil Général peut faire une demande de délivrance d’extrait B2.
A l’heure où les alertes relatives aux violences notamment sexuelles commises sur les enfants sont extrêmement élevées, il paraît imprudent, au prétexte d’adoption intrafamiliale, de ne pas pouvoir opérer cette vérification prévue dans la demande d’adoption.
Ensuite, la notion d’adoption intrafamiliale est floue (enfant du conjoint, neveu, petit cousin ?). Lors des débats en commission, interrogée sur ce point, la rapporteure a répondu qu’il s’agissait de l’enfant du conjoint. Mais ce n’est pas ce que dit le texte qui ne limite pas l’adoption intrafamiliale à ce cas et qui ne donne aucune précision.
Ensuite, l’adoption internationale est le contexte propice aux trafics et il ne convient pas d’atténuer la protection de l’enfant en dispensant les candidats à l’adoption de l’agrément.
Notre association a déjà été informée du cas d’enfants accueillis dans des conditions fort opaques par un oncle ou un cousin à l’égard duquel les parents avaient des dettes. Pour camoufler la situation de l’enfant, il n’est pas à exclure que ce dernier fasse l’objet d’une adoption.
Proposition : supprimer l’alinéa 9 de l’article 10
Amendement de repli : réserver la dispense d’agrément au seul cas de l’adoption de l’enfant étranger du conjoint.
7. La mention des avis divergents sur les PV de délibération des conseils de famille(art. 14)
L’alinéa 23 de l’article 14 prévoit que « La délibération du conseil de famille est motivée. Toutes les fois qu’elle n’est pas prise à l’unanimité, les avis divergents sont mentionnés dans le procès-verbal ».
Afin de garantir la liberté de discussion et de vote au sein du conseil de famille, il ne convient pas de publier les avis divergents.
La tradition juridique française privilégie la collégialité des décisions et garantit l’anonymat des votes et opinions au sein des instances chargées de prendre les décisions.
Ainsi, en matière juridictionnelle, les tribunaux sont composés de plusieurs magistrats et le tribunal rend sa décision sans citer ni la proportion des voix ni le contenu des opinions divergentes.
L’habitude de publier les avis divergents et une habitude anglo-saxonne, pratiquée par la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il ne convient pas d’importer.
En outre, la situation des magistrats notamment européen n’est en rien comparable à ceux des personnes composant les conseils de famille.
Au contraire, les membres des conseils de famille ne bénéficient pas d’un statut protecteur dans le cadre de la mission qu’ils remplissent. Ils pourraient craindre une mise en cause par l’émission d’un avis divergent, ce qui pourrait les amener à ne pas s’exprimer, alors même qu’ils estiment que l’adoption envisagée ne respecte pas l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les délibérations des conseils de famille n’ont rien à gagner à la mention des avis divergents dans les PV, et rien ne doit être susceptible de gêner les membres du conseil à s’exprimer librement dans le seul intérêt de l’enfant.
Proposition : l’alinéa 23 de l’article 14 est supprimé.
8. La recherche de solutions pour les enfants adoptables sans famille d’adoption (ajout art. 14)
Le Document faisant état des travaux de la rapporteure » daté du 19 novembre 2020 mentionne la difficulté de parvenir à réaliser une adoption pour des enfants aux besoins spécifiques (âgé, handicap, fratrie) (p.43).
Dans son discours de Présentation de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfancedu 14 octobre 2019[12], le secrétaire d’ État Adrien Taquet avait rappelé que 49% des enfants pupilles pour lesquels le projet de vie est un projet d’adoption n’ont pas été adoptés, le conseil de famille n’ayant pas réussi à leur trouver une famille. Ces enfants sont plus de 1 000 en France[13]. Or, le Secrétaire d’État avait également rappelé que 14 000 familles disposaient en même temps d’un agrément en vue d’une adoption. Le caractère départemental du processus d’adoption peut en partie expliquer l’échec de l’adoption pour ces enfants présentant une particularité.
Aussi le secrétaire d’État Taquet avait-il préconisé la mise en place d’un outil, d’un pilotage national, de manière à ce que les départements puissent se coordonner.
Cette mesure manque dans la proposition de loi, en particulier pour ces enfants qui n’ont pas pu être adoptés.
Aussi, il est proposé la création d’une commission nationale qui regrouperait les dossiers des enfants qui n’ont pas trouvé de famille afin de pouvoir ensuite effectuer une recherche sur tout le territoire national.
Proposition : insérer un nouvel alinéa après l’alinéa 35.
« Art. L. 224-8-7 – Un comité de pilotage national des pupilles de l’État est créé aux fins d’étendre au territoire national les dossiers des enfants adoptables mais pour lesquels une famille n’aura pu être trouvée dans leur département d’origine.
Un outil national permet à ce Comité de partager à chaque Conseil de famille les dossiers d’enfants adoptables, afin de trouver pour ceux-ci une famille en dehors du département d’origine.
Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article ».
[1]https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/271821-droits-de-lenfant-les-30-ans-de-la-convention-internationale-cide
[2]https://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/CRC.C.GC.14_fr.pdf
[3]Cons. Const. 21 mars 2019, n°2018-768 QPC, D. 2019.584 et 742
[4]Cf par exemple Les Nids de Paris, créés en 1900, intégrés aujourd’hui à La Famille adoptive française
[5]: Familles adoptives françaises, les différentes COFA, Vivre en famille, La Cause et Lumière des enfants
[6]ttps://www.insee.fr/fr/statistiques/2668280
[7]https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281068
[8]ttps://www.insee.fr/fr/statistiques/2668280
[9]https://www.cairn.info/revue-population-et-avenir-2018-3-page-3.htm
[10]https://www.magicmaman.com/,paternite-tardive-peut-on-devenir-papa-a-tout-age,3356574.asp
[11]http://www.observationsociete.fr/structures-familiales/couples/les-francais-divorcent-moins-mais-se-separent-davantage.html
[12]https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/191014_-_discours_-_presentation_de_la_strategie_nationale_de_prevention_et_de_protection_de_l_enfance.pdf
[13]https://1fe5mu2jn2rfg0lxu2vk3gyc-wpengine.netdna-ssl.com/wp-content/uploads/2020/04/synthese_2017_rapport_onpe_2019.pdf
Lien vers la version PDF de cet article
Tribune d’Aude Mirkovic et Olivia Sarton sur les OAA dans Marianne 25 nov. 2020