Tribune
Par Aude Mirkovic et Olivia Sarton
www.marianne.net le 25/11/2020
Aude Mirkovic et Olivia Sarton, juristes et membres de l’association « Juristes pour l’enfance », critiquent une proposition de loi visant à réformer l’adoption, qui a été adoptée ce lundi 23 novembre.
Une proposition de loi visant à réformer l’adoption, programmée en procédure accélérée par le gouvernement, a été adoptée lundi 23 novembre en 4 heures à peine par la commission des lois de l’Assemblée nationale, en vue de son examen en hémicycle dès mercredi prochain 2 décembre. Au programme de ce texte précipité, l’objectif affiché fort louable de favoriser l’adoption d’enfants aujourd’hui maintenus en foyers et familles d’accueil, en permettant par exemple l’adoption plénière après ses 15 ans d’un enfant qui n’était pas adoptable auparavant.
UN TEXTE DÉCEVANT
Malheureusement, le texte contrecarre cette intention lorsque, sans tambour ni trompette, la proposition de loi ambitionne de confisquer, au profit de l’État, l’activité d’intermédiaire en vue de l’adoption. Cette mesure a suscité colère et dégoût chez les Organismes Autorisés pour l’Adoption (OAA) qui pourraient du jour au lendemain se voir interdits d’activité en France.
Aujourd’hui, en France, des parents contraints de confier leur enfant à l’adoption ont le choix de le remettre à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou à l’un de ces fameux OAA, dont l’activité remonte pour les plus anciens au début du XIXe siècle (cf. par exemple Les Nids de Paris, créés en 1900, intégrés aujourd’hui à La Famille adoptive française).
Ces OAA sont des structures privées, le plus souvent des associations, réglementées par le Code de l’aide sociale et des familles et qui servent d’intermédiaires pour l’adoption ou le placement en vue d’adoption de mineurs de moins quinze ans. Leur activité est bien encadrée : titulaires d’une autorisation délivrée par le président du conseil départemental concerné, ils doivent en outre recevoir une habilitation particulière du ministre chargé des affaires étrangères s’ils exercent une activité à l’international, en tant qu’intermédiaires pour assister des familles françaises dans leurs démarches en vue d’adopter des enfants étrangers. Enfin, les OAA qui envisagent de recueillir des enfants nés sur le territoire français en vue de les confier en adoption doivent demander une autorisation supplémentaire.
C’est cette faculté de recueillir des enfants et d’exercer une activité d’intermédiaire pour l’adoption en France, que supprime la proposition de loi : elle fait ainsi disparaître l’œuvre des OAA en France, les cantonnant, pour ceux qui l’exercent, à leur rôle d’intermédiaires en vue de l’adoption à l’international.
L’activité de recueil des enfants par les OAA en France est certes devenue réduite, même si elle concerne semble-t-il une centaine de femmes par an, ce qui n’est pas rien. Sous ce prétexte officiel de faiblesse numérique, la voici balayée. Selon la rapporteure de la proposition de loi Madame Monique Limon, le but est de garantir aux enfants « une meilleure protection de leurs droits, avec notamment la définition d’un projet de vie, la recherche d’une famille d’adoption si l’intérêt de l’enfant le justifie et l’assurance d’une protection juridique durable en cas de non-adoption ».
POURQUOI L’OAA PLUTÔT QUE L’ASE ?
Cette motivation laisse pantois car tous les enfants confiés à des OAA ont de facto un projet de vie dès lors que les parents les confient en vue de leur adoption. TOUS trouvent une famille, y compris les enfants handicapés, et la question d’une protection juridique durable en cas de non-adoption ne se pose donc jamais puisque 100% sont adoptés.
Pourquoi donc supprimer le recueil des enfants par les OAA ? Déjà, n’est-il pas essentiel, dans un pays démocratique, de conserver le libre choix des parents de s’adresser à l’État (ASE) ou à une structure privée autorisée (OAA) ? Le consentement à l’adoption est un acte grave de l’autorité parentale que la loi ne saurait brider en contraignant les parents à ne pas choisir, puisqu’ils n’auraient plus que le choix entre l’ASE et rien.
Certains parents, le plus souvent des femmes enceintes, ne souhaitent pas confier leur enfant à l’ASE car elles ont été elles-mêmes pupilles de l’État et ne veulent pas que leur enfant suive le même parcours qu’elles. Elles ont confiance dans l’OAA pour trouver une famille qui convienne à leur enfant, et ne veulent pas s’adresser à l’ASE pour des raisons qui les regardent et n’ont pas à être jugées. Toute femme a le droit de choisir de consulter un gynécologue en privé ou à l’hôpital, d’accoucher dans ce dernier ou en clinique privée, d’inscrire son bébé dans une crèche publique ou de choisir une structure privée, de le faire garder chez une nounou agréée ou par une personne de son choix chez elle, de scolariser son enfant dans le public ou dans une école privée etc…
La femme qui confie son enfant à l’adoption serait-elle seule interdite de ce choix entre l’État (ASE) ou une structure privée ? Sur quel fondement ? Au nom de quoi interdire à une femme, en raison de son état de faiblesse, de sa précarité ou de son incapacité de garder son enfant, de choisir l’avenir qu’elle souhaite pour lui ?
Le nombre modeste des enfants recueillis par les OAA ne saurait être un critère, alors qu’il s’explique aussi par le cheminement des femmes enceintes qui s’adressent aux OAA dans le but de confier leur enfant à l’adoption : une fois prises en charge, aidées et accompagnées, la plupart d’entre elles décident finalement de garder leur enfant avec elles. Or, si la proposition de loi supprime l’activité des OAA en France, ces femmes ne pourront plus s’adresser à eux et se verront peut-être contraintes d’abandonner leur enfant alors qu’elles pourraient le garder si elles étaient un peu soutenues.
« TENTATIVE D’INTERDICTION AUX OAA DE RECUEILLIR EN VUE DE L’ADOPTION DES ENFANTS NÉS EN FRANCE »
La Fédération française des OAA ainsi que tous les OAA ont fait part de leur émotion devant ce qu’ils ont appelé « cette tentative d’interdiction aux OAA de recueillir en vue de l’adoption des enfants nés en France (…), sans que cette modification ait été précédée d’une étude et soit expliquée, voir motivée » (Livre Blanc relatif à la proposition de loi visant à réformer l’adoption, adressé par Mmes et Mrs Gazel, Godde, Grange, Housset, Lasserre, Le Boursicot, Lemaignan, Riot, Royal, O’Neill, Peyre, Salvare-Grest, Theurkauff). La réalité va plus loin puisque, sans plus d’explication, leur activité est même déclarée illicite par un amendement présenté le jour de l’examen en commission par la rapporteure du texte : « est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros le fait de recueillir sur le territoire français des mineurs en vue de les proposer à l’adoption« .
Comment une activité qui a permis à des milliers d’enfants de connaître le bonheur d’une vie familiale, peut-elle du jour au lendemain être déclarée illégale en France et sanctionnée par l’amende et même l’emprisonnement ? Comment jeter ainsi à bas des décennies de travail remarquable fourni par les OAA, leurs salariés et leurs bénévoles ?
Pour l’enfant, être confié à un OAA est une chance puisque 100 % des enfants concernés sont aussitôt adoptés, y compris les enfants malades ou handicapés alors que l’État (l’ASE) ne parvient pas à trouver une famille pour plus de 50% des enfants adoptables qui lui sont confiés.
Si les OAA trouvent ainsi des familles adoptives, c’est en raison du travail associatif qu’ils réalisent dans ce domaine. Avec cette proposition de loi, un OAA comme Emmanuel-France disparaîtra, alors que chaque année l’ASE elle-même s’adresse à cette association pour trouver des familles pour des pupilles de l’État lourdement handicapés. L’OAA présente à l’ASE des foyers candidats non seulement agréés, mais également préparés spécialement par lui pour accueillir de tels enfants. Depuis 1975, date de sa création, cet OAA a donné une famille à plus de 2 000 enfants dont plus de la moitié étaient atteints d’une maladie grave ou d’un handicap lourd.
Parce que le bonheur de chaque enfant compte, l’activité des OAA sur le territoire national est indispensable.