Bioéthique: Qu’est-ce que le «dispositif ROPA», soupçonné d’ouvrir la voie à la GPA?
Interview d’Olivia Sarton dans le Figarovox le 2 juillet 2020 ici
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Un amendement au projet de loi de bioéthique permettra aux femmes qui le souhaitent de porter un enfant conçu avec les ovocytes de leur partenaire. Olivia Sarton met en garde contre cette décorrélation entre la gestation et la maternité biologique, porte ouverte à de nombreuses dérives selon elle.
Bioéthique: Qu’est-ce que le «dispositif ROPA», soupçonné d’ouvrir la voie à la GPA?
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Un amendement au projet de loi de bioéthique permettra aux femmes qui le souhaitent de porter un enfant conçu avec les ovocytes de leur partenaire. Olivia Sarton met en garde contre cette décorrélation entre la gestation et la maternité biologique, porte ouverte à de nombreuses dérives selon elle.
Olivia Sarton est ancienne avocat au Barreau de Paris. Elle a publié PMA, ce qu’on ne vous dit pas aux éditions Tequi.
FIGAROVOX.- Qu’est ce que la «méthode ROPA» qu’un amendement au projet de loi bioéthique vise à légaliser?
Olivia SARTON.- ROPA veut dire «Réception de l’ovocyte par le partenaire». Ce n’est pas une méthode mais une disposition qui vient d’être entérinée par la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour permettre le don d’ovocytes au sein d’un couple de femmes.
Jusqu’à maintenant, ce que prévoyait le projet de loi «PMA pour toutes» était que lorsqu’un couple de femmes souhaite avoir recours à la PMA, ce soit l’une des deux femmes qui soit inséminée artificiellement avec le sperme d’un donneur, porte l’enfant et accouche. Elle est ainsi la mère biologique et génétique. Ensuite sa filiation est établie par des moyens encore en discussion devant l’Assemblée nationale. Ce principe a été contesté par des couples de femmes qui voulaient s’assurer chacune de leur maternité vis-à-vis de l’enfant qui va être conçu.
Pour l’examen et le vote de l’amendement « ROPA », aucun membre du gouvernement n’était présent : la discussion était entièrement guidée et trustée par le rapporteur Touraine.
C’est-à-dire que les couples de femmes revendiquent un partage de la maternité. Elles veulent que la maternité puisse être inscrite pour toutes les deux dans leur corps vis-à-vis de l’enfant qui va être conçu. Cette disposition ROPA permet à la femme numéro 1 de faire une ponction ovocytaire: un ou plusieurs de ses ovocytes font l’objet d’une fécondation in vitro et l’embryon ainsi conçu sera transféré dans l’utérus de la femme numéro 2.
L’opposition conteste l’opportunité d’un texte imposé sous l’influence de groupes de pressions…
Ce qu’il faut savoir c’est que cette disposition ROPA a été votée en commission spéciale par l’Assemblée nationale. Et les conditions de ce vote mettent en lumière l’aberration qui a consisté à faire revenir en urgence ce projet de loi à l’Assemblée. Le gouvernement avait bousculé l’agenda pour inscrire de force l’examen du projet de loi bioéthique à l’ordre du jour de l’Assemblée alors que les députés avaient bien d’autres priorités. Le gouvernement n’était même pas présent pour cet examen en commission sauf hier soir, quand ils ont discuté de l’article 4 de la filiation. Aucun membre n’était présent pour examiner et voter l’amendement ROPA: la discussion était entièrement guidée par le rapporteur Jean-Louis Touraine. Les députés de l’opposition se sont étonnés à plusieurs reprises et ont protesté.
Jusqu’à maintenant, aussi bien devant l’Assemblée nationale que devant le Sénat, le gouvernement s’était opposé au vote de cette disposition ROPA. Par exemple, devant le Sénat, le ministre de la Santé qui était à l’époque Agnès Buzyn avait déclaré que la procédure touchait un principe fondamental de la médecine qui était celui de pratiquer seulement les actes médicaux nécessaires et justifiés médicalement. Or là, le don ROPA ne l’est pas. Même si toutefois le texte de l’Assemblée précise que la procédure ROPA est seulement mise en œuvre s’il y une infertilité du côté d’une des deux femmes, ce critère d’infertilité n’est pas vérifié. À moins que l’une d’elles n’ait pas du tout de production ovocytaire, je ne vois pas comment un médecin pourrait évaluer et valider la fertilité d’une union par définition infertile. Ainsi, la disposition est adoptée alors que le gouvernement s’y est opposé.
Il s’agit d’un processus dérogatoire par rapport au droit commun qui continuera toutefois à s’imposer aux couples hétérosexuels et aux femmes seules.
En outre, cela remet en cause la règle de droit selon laquelle, pour le don de gamètes, le couple receveur ne doit pas connaître l’identité du donneur et ne peut faire appel à un don fléché. Aujourd’hui un couple qui a recours à la PMA ne peut pas aller voir un donneur en disant: «Je voudrais que vous me donniez votre ovocyte et nous allons aller ensemble dans un centre de PMA». Malheureusement c’est ce qui va être rendu possible. Il s’agit d’un processus dérogatoire par rapport au droit commun qui continuera toutefois à s’imposer aux couples hétérosexuels et aux femmes seules.
Certains disent que c’est une forme de Gestation pour Autrui (GPA) déguisée?
Le rapporteur du projet de loi dit bien sûr que non puisque quand on a «gestation pour autrui», ce qui compte c’est le terme «autrui». Donc on porte l’enfant pour quelqu’un de totalement étranger. Il n’y a pas de gestation pour autrui mais on pourrait parler «d’exploitation reproductive»: l’exploitation peut très bien avoir lieu au sein d’un couple de femmes puisqu’il y en a une qui porte un enfant avec lequel elle n’a pas de lien génétique. Elle le porte pour sa compagne. À partir du moment où une femme porte un enfant conçu avec l’ovocyte de la femme pour laquelle elle le porte, il est vrai que l’on se rapproche de plus en plus de la limite extrêmement fragile de l’interdiction de la GPA en France. Par ailleurs, en même temps que cette disposition ROPA a été adoptée, la disposition du double don de gamètes interroge puisque dans le dispositif ROPA, la femme qui porte l’enfant à reçu l’ovocyte de sa compagne et le don de spermatozoïdes d’un tiers. Ce qui est vraiment problématique si l’enfant n’a plus aucun lien génétique avec la personne qui le porte.
Il y a un effet cliquet!
De toute façon, à partir du moment où on met le doigt dans l’engrenage il va y avoir des dérives. Aujourd’hui le rapporteur de la loi, le gouvernement et les députés de la majorité affirment qu’il n’y aura jamais de GPA en France mais il y a un effet cliquet: les promoteurs de ces dispositions crantent tout doucement les avancées de manière à pouvoir aller là où ils veulent aller.
L’intérêt de l’enfant est-il préservé?
C’est l’exploitation de la biologie et de la génétique dans le seul intérêt des adultes. Quand le facteur biologique ou génétique est reconnu comme important pour les adultes il est mis en avant: dans le cas de ROPA, les femmes veulent y avoir recours parce qu’elles veulent toutes les deux établir un lien génétique ou biologique avec l’enfant, de manière à ce que leur maternité ne puisse pas être contestée par l’enfant ou par un tiers. En revanche, si c’est l’intérêt de l’enfant qui exige de pouvoir faire établir sa filiation vis-à-vis du donneur de spermatozoïdes, la biologie est écartée. Cela pose un premier problème. Ensuite, la maternité ne sera pas partagée mais éclatée, puisque d’un côté il y a la maternité biologique c’est-à-dire la grossesse et de l’autre côté, le lien génétique. Les enfants qui seront dans l’incapacité de désigner leur mère connaîtront une maternité «éclatée» et on n’a aujourd’hui aucune idée des conséquences éventuelles que ça peut produire sur le psychisme de l’enfant. D’autant qu’on sait que lorsqu’il y a un traumatisme majeur chez une personne, les répercussions s’en ressentent jusqu’à quatre générations. Ce sont des expérimentations faites au détriment des enfants.
Ce sont des expérimentations faites au détriment des enfants.
Par ailleurs, ça ouvre la porte à l’enfant avec plusieurs parents. En principe il aura deux mères. Mais il reste issu d’un gamète tiers qui est le spermatozoïde. Comme il y a une incertitude juridique sur le fait que la Cour Européenne des Droits de l’Homme finisse par autorise l’enfant à connaître sa filiation avec son géniteur biologique, il va potentiellement se retrouver avec plusieurs parents. Lors des débats, Thibault Bazin a soulevé une réserve sur ce qu’il a appelé «la combinaison des dispositifs». Concrètement, cette disposition ROPA permettrait à des hommes transgenres en couple avec une femme d’avoir accès à la PMA. En effet, un homme transgenre, qui est né femme, qui a fait un changement de sexe à l’état civil sans réaliser d’opération – ce qui est légal depuis une loi de 2016 – pourra faire une ponction d’ovocytes dans le cadre de cette ROPA. L’enfant sera porté par une femme et issu des ovocytes d’une personne déclarée comme homme à l’état civil, qui sera désigné comme père sur son acte de naissance. Dans ces conditions on ne peut plus évoquer l’intérêt de l’enfant. On voit bien que seul l’intérêt des adultes, leurs désirs ou leur imagination sont pris en compte.
Cette disposition n’a pas fait l’objet d’un débat suffisamment complet à vos yeux?
On a plus de 1 400 amendements. En théorie, les discussions ont commencées lundi soir et devaient se terminer mercredi soir ou jeudi matin. Mais compte tenu de la taille du dispositif ça a été repoussé. Le délai n’en est pas moins extrêmement restreint. On ne peut pas discuter et aller au fond des choses en 3 jours. À partir du moment où on ne peut pas aller jusqu’au fond des choses, il n’y a pas de débat possible ni de prise en compte par chacun des arguments des uns et des autres leur permettant de réfléchir. C’est en principe tout l’intérêt du débat à l’Assemblée nationale: l’échange des arguments permet de trouver une solution commune satisfaisante pour tous. Or aujourd’hui, ce n’est pas le cas. D’ailleurs, pour l’article 4 sur la filiation, l’amendement a été déposé par le rapporteur en séance. C’est-à-dire que les députés n’ont même pas eu le temps nécessaire de l’examiner pour proposer des amendements. L’examen du projet de loi est prévu pour lundi alors qu’on est en train de nous annoncer qu’il y a un possible remaniement ministériel. On ne sait même pas si Nicole Belloubet sera toujours ministre de la Justice et Olivier Véran toujours ministre de la Santé… Sans compter le fait qu’ils ne sont pas parvenus à s’acheminer sur une version qui puisse avoir un minimum de points commun avec la version sortie du Sénat. Ce qui veut dire que quand le projet de loi repartira en seconde lecture au Sénat, il sera totalement différent et on risque de s’acheminer vers une commission mixte paritaire. On voit bien que les conditions d’examen de cette loi sont précipitées. Le sujet est sensible dans l’opinion des Français d’une part mais il est aussi sensible parce qu’on est en train de balayer des repères anthropologiques fondamentaux.