Juristes pour l’enfance dénonce auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel l’utilisation de paroles d’enfants dans le cadre de l’émission « Le monde en face » du 2 juin sur France 5, sous prétexte d’éclairer les débats sur le projet de loi de bioéthique.
Saisine du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
Madame, Monsieur,
Je vous écris au nom de l’association Juristes pour l’Enfance à propos du reportage « PMA-GPA, les enfants ont la parole » diffusé dans le cadre de l’émission « Le monde en face », sur France 5, en date du 2 juin 2020.
Par cette émission, nous dénonçons le fait que la production utilise des enfants conçus par procréation médicalement assistée et par gestation pour autrui pour raconter leur ressenti sur leur parcours de vie et leur histoire familiale.
Les enfants qui témoignent dans cette émission sont pour la plupart des mineurs : cinq d’entre eux ont entre 8 et 13 ans, les deux autres sont majeurs. Ils ne sont même pas encore adolescents. Leurs apparitions sur une chaîne de grande envergure n’est pas anodine : leurs représentants légaux ont sans doute autorisé leur présence mais est ce que cette implication ne leur sera pas préjudiciable par la suite ? Sont-ils vraiment assez matures et conscients dans leur choix de participation ? On peut légitimement en douter…
Nous condamnons ici le fait que la parole des enfants soit mise en scène pour défendre des atteintes directes à leurs droits.
La Convention internationale des droits de l’enfant, qui pose l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale dans toute affaire le concernant, protège notamment le droit pour tout enfant de connaître ses parents et de pouvoir être élevés par eux :« l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (art. 7). Or, à moins de vider les mots de leur sens et le droit de l’enfant de tout contenu, les parents s’entendent du père et de la mère de l’enfant. L’action en recherche de paternité et de maternité sont témoins de l’ancrage de ce droit à connaître ses parents dans notre système juridique français : toute personne peut, si sa filiation maternelle ou paternelle n’est pas établie, actionner ces procédures, pour rechercher sa filiation. La privation légale d’une des branches, maternelle ou paternelle méconnaît donc les droits de l’enfant et c’est cette atteinte qui est défendue implicitement par ce programme qui se veut un élément dans le débat sur la légalisation de la PMA pour les femmes.
Nous rappelons aussi que la gestation pour autrui, largement banalisée dans ce documentaire, est strictement interdite par notre Code civil en vertu de l’article 16-7 : « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Le fait de diffuser l’histoire familiale d’enfants nés par GPA en banalisant cette technique qui réduit l’enfant à un objet de contrat réalise la promotion implicite de ce système prohibé.
L’enfant est un être vulnérable qu’il est indispensable de protéger dans son intégrité : l’émission porte spécifiquement et principalement sur le récit de leur histoire, leur enfance. L’essence même du sujet du reportage touche directement leur sphère personnelle et intime, ce qui demeure particulièrement intrusif pour ces enfants. Le docteur pédopsychiatre Christian Flavigny alerte sur ce point dans un commentaire sur cette émission : « cette exhibition des enfants pour les faire parler de leur propre situation familiale est très impudique. Certaines choses parmi les sujets abordés devraient seulement s’évoquer dans un cadre très confidentiel, sous peine de tourner à une sorte de télé-réalité déplaisante conduisant à une véritable exploitation de la parole des enfants ».
Les enfants sont ici pris dans un piège : comment pourraient-ils témoigner contre leurs propres parents ? Leur parole est exploitée car la volonté de la production est de faire accepter, par la parole de ces enfants innocents, la banalisation de la privation délibérée d’une branche de leur filiation, ce qui constitue une violence dissimulée.
Nous constatons également que cette émission contrevient directement aux obligations que votre entité a elle-même établies par une délibération du 17 avril 2007 concernant la diffusion des mineurs. Les questions doivent être adaptées à leur âge et éviter qu’elles nuisent à leur avenir. Le fait qu’elles portent sur des sujets intimes (la sphère familiale) et touchent à une interdiction légale portant sur des droits essentiels de l’enfant, lèse directement son intérêt, et donc son avenir.
Nous demandons par conséquent à votre autorité d’adresser un avertissement à l’émission Le monde en face, en raison de l’exploitation de l’image et de la parole de mineurs utilisés dans cette émission pour servir des revendications d’adultes.
Nous vous prions de bien vouloir croire à nos meilleurs sentiments
Voir le communiqué de presse JPE relatif à cette émission
« Le monde en face » PMA/GPA Honteuse utilisation des enfants