À l’occasion de la Nuit du handicap, visite à Notre-Dame-Saint-François, à Évreux. L’institution met en œuvre l’« école inclusive », qui facilite la scolarisation d’enfants en situation de handicap.
Famille chrétienne 13/06/2019 | Numéro 2161 | Par Antoine Pasquier
Son stylo tournoie entre ses doigts, passe d’une main à l’autre, tombe sur la table, puis repart de plus belle. Clément ne peut pas s’en empêcher. C’est plus fort que lui. Dès qu’il se concentre, le collégien a la bougeotte. Atteint d’un trouble de l’hyperactivité, ce jeune Rouennais n’est avare ni de ses mots, ni de ses sourires… ni de ses gestes, derrière sa tenue harmonisée bleu-blanc-noir-cravate. Il est le dernier arrivé parmi les douze élèves que compte la 6e A du collège et lycée privé Notre-Dame-Saint-François, à Évreux (Eure). En apparence, rien ne distingue cette classe des autres : mêmes horaires, même programme, mêmes enseignants, mêmes locaux. Sauf qu’ici les élèves souffrent tous d’un handicap invisible. Dyslexie, dysorthographie, dyspraxie, hyperactivité… Les troubles divergent, mais les conséquences convergent : déficit d’attention, d’organisation, fatigabilité…
Pour pallier ces difficultés, les méthodes pédagogiques sont adaptées. « On fait davantage travailler les élèves à partir d’images, de cartes mentales, de jeux… », explique Magali Ameur, professeur principal. Les consignes sont simplifiées, les cours sont écrits pour faciliter le suivi à l’oral, les devoirs à la maison (DM) se préparent en deux séances pour favoriser la compréhension des instructions… « Le fait d’être moins nombreux et mieux encadrés nous aide à être plus concentrés et à avoir des bonnes notes », témoigne Amina, une des élèves.
Ouverte en septembre dernier, la classe de 6e A – dont la lettre signifie ASH pour « adaptation scolaire pour les élèves en situation de handicap » – est l’une des multiples facettes du projet de cité scolaire inclusive initié par l’établissement catholique sous contrat après la fusion, en 2018, des deux écoles privées historiques de la ville normande, Notre-Dame et Saint-François-de-Sales.
Une insertion réussie
Ce projet s’inscrit dans « l’école inclusive » portée par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel. Il vise « à offrir un accompagnement de qualité pour les élèves rencontrant des troubles d’apprentissage ou différentes formes de handicap », explique Alexandre Toussaint, le directeur. « L’objectif est de leur assurer une orientation et une insertion professionnelle réussies. »
Malgré une mise en œuvre encore laborieuse, faute de moyens humains et financiers souvent, « l’école inclusive » se généralise doucement depuis la loi du 11 février 2005 qui crée l’obligation de scolarité pour les enfants en situation de handicap. Le 21 mai encore, le Sénat a renforcé le dispositif contenu dans le projet de loi « Pour une école de confiance » (voir encadré ci-dessous).
Si « la loi incite à être de plus en plus inclusif », l’Institution Notre-Dame-Saint-François ne joue pas la carte de l’inclusivité pour remplir des quotas. « Nous le faisons volontairement, car nous estimons que la mission d’un établissement catholique est d’accueillir ces “invisibles” de la République. Cela fait partie de la charité chrétienne, martèle Alexandre Toussaint. Ce n’est pas la réussite de l’établissement que nous cherchons, mais celle des élèves. Ici, on ne vire pas les mauvais élèves. Au contraire, on essaye de tisser un lien social avec les élèves. »
Si l’expérience de la 6e A est une réussite, le regroupement des élèves en situation de handicap n’est pas la règle dans l’établissement. La très grande majorité est répartie dans les classes, avec les autres élèves, pour suivre une scolarité normale et intégrée. C’est le cas de Mathis, atteint d’un nystagmus, mouvement d’oscillation involontaire et saccadée du globe oculaire. « Quand je me concentre, ma tête oscille en même temps que mes yeux. C’est très fatigant », raconte l’élève de 4e. Pour le soulager et l’inclure dans un cursus classique, Mathis dispose d’un matériel adapté : feuilles et manuels agrandis, instruments de géométrie aux chiffres grossis, temps supplémentaire pour les évaluations…
Salim, en première S, se trouve dans une situation similaire. Atteint du syndrome de Knobloch, il souffre d’une déficience visuelle lourde depuis sa naissance, causée par un décollement de la rétine. En classe, il dispose d’un ordinateur portable, d’une loupe numérique et surtout d’une accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH), à ses côtés depuis ses 6 ans. Mais Salim bénéficie d’une autre aide qui lui est bien particulière : depuis septembre 2018, il est le premier jeune de l’Eure à posséder un chien-guide d’aveugle.
Oser au-delà du raisonnable
L’arrivée de Lohen, un beau labrador au poil doré, a facilité les déplacements du lycéen. « J’ai plus d’aisance, de rapidité, et cela génère moins de fatigue. » En cours, Lohen dort sagement, collé au radiateur. Dans la cour, il attire les regards et « m’aide à m’ouvrir aux autres », se réjouit Salim. Le 17 juin, l’adolescent de 16 ans ira passer son bac de français. Mais il y a quelques semaines encore, Salim ne savait pas comment allaient se dérouler ses épreuves orales et écrites. Il faut dire qu’au rectorat, la présence d’un chien lors d’une épreuve du baccalauréat est une première qu’il a fallu gérer en amont. « Je dispose d’une salle à part pour les examens et d’un tiers temps, soit six heures d’épreuves au total », expose Salim. Pour Lohen et son maître, c’est un peu long… « Il a besoin de sortir et moi, je fatigue et je suis pris de maux de tête au bout d’un certain temps. » Des pauses sont donc nécessaires, chose peu habituelle pour un tel examen.
Pour gérer ce genre de situation exceptionnelle, le lycéen et sa famille ont pu compter sur l’aide de l’équipe ASH de l’établissement, composée de cinq enseignants volontaires. « Nous faisons le lien entre les familles, l’équipe enseignante et le rectorat », explique Mme Voisin, membre de l’équipe. Aide pour les dossiers administratifs, informations aux familles, formation des enseignants… l’équipe ASH est la clé de voûte de l’inclusion scolaire à l’institution.
L’adaptation des élèves en situation de handicap ne se limite pas à la partie scolaire, mais tient aussi compte du cadre de vie. En 6e A, on ne lésine pas sur les astuces et les gadgets pour accompagner les élèves. « Après la récréation, si l’un d’entre eux n’est pas en état de reprendre le cours, on lui laisse cinq minutes pour se détendre avec une balle antistress, des livres ou des bouts à mâchouiller », énumère leur responsable, également professeur de français. L’année prochaine, l’établissement va d’ailleurs investir en matériel : ballons à la place des chaises pour ceux qui ne peuvent rester assis, parois amovibles pour séparer les voisins de bureau, objets déstressants, coin détente dédié après la récré… « Tout est fait ici pour qu’ils se sentent bien et qu’ils retrouvent confiance en eux », insiste Magali Ameur. « Les enfants vivent bien ces adaptations », confirme Stéphanie Le Garrec, psychologue référente de l’établissement. « Ils y trouvent leur compte car, enfin, ils arrivent à faire des choses productives. »
À la rentrée prochaine, l’institution va ouvrir une classe de 5e A et pourra maintenir une 6e A avec un effectif légèrement supérieur de dix-huit élèves. Une bonne nouvelle quand on sait la réduction générale des moyens. En février dernier, la cité scolaire inclusive de Notre-Dame-Saint-François a même été retenue parmi les dix-huit projets-pilotes reconnus par le ministère. « L’enseignement catholique doit être innovant en la matière et oser au-delà du raisonnable », affirme Alexandre Toussaint. Peut-être l’institution ébroïcienne sera-t-elle un jour l’exemple à suivre en matière d’inclusion.