Communiqué de Juristes pour l’enfance du 10 avril 2019
Le 10 avril à 11 heures, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) répondra à la question suivante posée par la Cour de cassation française le 5 oct. 2018 : un État peut-il refuser la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa “mère légale” la “mère d’intention” ?
La question se pose car, pour échapper à la prohibition française de la gestation pour autrui (GPA), des Français se rendent à l’étranger, dans des Etats où la pratique est légale, pour y obtenir des enfants par ce moyen. La naissance de l’enfant est déclarée dans son pays de naissance et, de retour en France, les commanditaires de l’enfant demandent la transcription sur les registres français d’état civil des actes de naissance étrangers des enfants.
La Cour de cassation n’autorise la transcription des actes de naissance que s’ils sont conformes à la réalité, c’est-à-dire lorsqu’ils indiquent comme parents le père biologique de l’enfant et la femme qui l’a mis au monde, à savoir la mère porteuse.
Lorsque l’acte indique comme parents le père biologique et la conjointe de ce dernier, dite mère d’intention, seule la mention relative à la filiation paternelle, qui est exacte, peut être transcrite. Au contraire, la maternité dite d’intention ne peut être transcrite car, « concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité […] est la réalité de l’accouchement »(Cass. 1reciv., 5 juill. 2017).
La solution, reconduite à deux reprises, semblait clairement établie mais la Cour de cassation, saisie le 5 octobre dernier d’une nouvelle affaire, a sursis à statuer pour poser à la Cour européenne des droits de l’homme la question de la marge d’appréciation des États en pareil cas.
Il est fort probable que la Cour européenne des droits de l’homme laisse cette question dans la marge d’appréciation des États, notamment parce qu’elle s’est fondée sur la réalité biologique de la paternité pour imposer la transcription de la filiation paternelle, et que la transcription de la maternité d’intention ferait fi au contraire de la réalité biologique dans la branche maternelle : il serait en effet incohérent de s’appuyer sur le lien biologique unissant l’enfant au père tout en entérinant l’effacement de la maternité biologique par la transcription de la maternité d’intention.
Il est pourtant problématique que la Cour de cassation aille ainsi au-devant des consignes européennes, comme si les droits de l’homme pouvaient servir de caution pour entériner la violation des droits des femmes et des enfants que réalise la GPA, quelles que soient ses modalités et quels que soient les demandeurs.
Juristes pour l’enfance regrette ce qui s’apparente à une démission de la Cour de cassation de son rôle de gardien du droit et des droits de tous, y compris les enfants.
La situation est d’autant plus problématique que, le 20 mars 2019, la Cour de cassation a sursis à statuer dans deux affaires nouvelles sous prétexte d’attendre l’avis rendu ce jour par la Cour européenne.
Dans la première affaire, deux hommes ont eu recours à la GPA aux Etats-Unis et la demande de transcription concerne des actes de naissance américains désignant les deux hommes comme parents, le premier étant indiqué comme père/parent et le second comme mère/parent.
Dans la seconde affaire, deux femmes en couple ont été inséminées par donneur au Royaume-Uni. Chacune a mis au monde un enfant et les actes de naissance indiquent pour chacun des enfants sa propre mère ainsi que l’autre femme, à savoir la mère de l’autre enfant, comme « parent ».
Dans les deux cas, le droit français exclut sans ambiguïté la transcription de tels actes et, pourtant, la Cour de cassation décide de surseoir à statuer dans l’attente de l’avis demandé à la Cour européenne des droits de l’homme et de l’arrêt de l’assemblée plénière qui s’ensuivra.
La Cour de cassation aurait déjà dû refuser la transcription de la maternité d’intention, comme elle l’a fait jusqu’à présent, dès lors que la loi française interdit et sanctionne même pénalement le fait de désigner dans l’acte de naissance une femme qui n’a pas mis l’enfant au monde, pour préserver les enfants contre les trafics en tous genres. Le seul moyen d’attribuer une maternité à une femme qui n’a pas mis l’enfant au monde est l’adoption, et la procédure d’adoption permet au juge de vérifier que l’enfant n’est pas issu d’un trafic et que la désignation de cette femme comme mère adoptive est dans son intérêt.
Quant à la transcription de la mention d’un second homme ou d’une seconde femme comme « parent », on s’étonne qu’elle puisse être envisagée. La loi française n’organise pas le contrôle de la réalité biologique de la filiation, mais elle exige en revanche sa vraisemblance. Ce principe général découle de l’article 320 du code civil aux termes duquel la filiation existante fait obstacle à l’établissement d’une filiation qui la contredirait, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice : si un homme veut reconnaitre un enfant qui a déjà un père, il doit donc commencer par contester la paternité existante avant de pouvoir établir la sienne (idem pour la maternité).
Le seul moyen d’établir une double filiation paternelle ou maternelle est l’adoption : et, comme dans toute adoption, la transcription du jugement d’adoption tient lieu d’acte de naissance mais ne prétend pas être l’acte de naissance original de l’enfant. Accepter de porter, dans l’acte de naissance initial, des mentions non seulement inexactes mais encore invraisemblables (une seconde mère, un second père), est non seulement contraire à la loi mais prive l’acte de naissance de toute signification. Il ne renvoie plus l’enfant à l’évènement de sa naissance, ne lui indique plus son origine ni ne le situe dans la chaine des générations.
Envisager la transcription d’un acte indiquant ab initioune double filiation paternelle suppose une refonte du droit de la filiation qui dépasse de loin la compétence de la Cour de cassation, y compris sous prétexte d’avis de la Cour européenne. La Cour de cassation s’approprie un pouvoir qu’elle n’a pas en laissant la porte ouverte à une telle méconnaissance de la loi.