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Droits des enfants nés par PMA : vers une timide avancée ?

Table des matières

Genethique, 12 mars 2019

A l’heure de la révision de la loi de bioéthique en France, la remise en cause de l’anonymat des donneurs est une question prégnante. Du Côté du Conseil de l’Europe, elle vient de trouver un nouveau développement qui devrait influencer les débats à venir. Nicolas Bauer, doctorant en droit international des droits de l’homme et chercheur associé à l’European Centre for Law and Justice (ECLJ), fait le point. 

Article original : http://www.genethique.org/fr/droits-des-enfants-nes-par-pma-vers-une-timide-avancee-71464.html#.XIpYXi0lDm0

Le rapport parlementaire « Don anonyme de spermatozoïdes et d’ovocytes : trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants » a été adopté à l’unanimité par la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Il est accompagné d’un projet de recommandation, à destination des États membres, qui sera discuté, amendé et voté par les parlementaires au cours de la session plénière d’avril 2019. Ce texte, dont le rapporteur est Petra de Sutter, demande l’interdiction des dons anonymes de gamètes afin de protéger les droits des enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA)[1].

Le projet de recommandation soutient une réelle avancée vers la reconnaissance du droit des enfants issus de PMA de connaître leurs origines, mais il valide la violation de certains droits consacrés par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Ce projet de recommandation doit donc être envisagé comme une première étape, essentielle mais insuffisante, vers une évaluation de la PMA du point de vue du bien des enfants. Ceux-ci sont en effet les principaux concernés par des techniques qui ont pour objet de les concevoir artificiellement. L’ECLJ a effectué cette évaluation plus complète dans le rapport « La violation des droits des enfants issus d’AMP » de mars 2018[2].

Si le projet de recommandation est adopté, il ne sera pas contraignant pour les États, mais il « [invitera] le Comité des Ministres [du Conseil de l’Europe] à examiner la question de savoir si ces recommandations devraient à terme devenir juridiquement contraignantes »[3]. De plus et surtout, il influencera assurément l’examen par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de deux affaires françaises communiquées en juin 2018[4]. Les juges de Strasbourg devront en effet déterminer si les requérants, issus d’un homme donneur anonyme de gamètes (PMA hétérologue), ont le droit de connaître l’identité de ce père « biologique » et de leurs éventuels frères et sœurs.

Mettre l’accent sur les droits des enfants issus de PMA-anonyme

Plus de 8 millions d’enfants dans le monde sont nés par procréation artificielle, toutes techniques confondues[5]. Chaque année en France, environ 25 000 enfants naissent par PMA, dont 5% par PMA hétérologue (c’est-à-dire avec don de spermatozoïdes ou d’ovocytes)[6]. Depuis la première naissance résultant d’une fécondation in vitro (FIV) en 1978, ce sont bien souvent les intérêts des adultes qui ont primé les droits des enfants. Ainsi, d’après le projet de recommandation, « jusqu’à récemment, [l’]équilibre entre les différents droits, intérêts et obligations a souvent penché en faveur du droit du donneur à la vie privée et donc [à l’]anonymat »[7].

Les parlementaires de la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable ont constaté que cette injustice, privant délibérément des enfants de leurs véritables parents, conduit aujourd’hui à la « multiplication des contestations »[8] ainsi qu’à des « revendications de nombreuses associations »[9]. Cette Commission a tenu une audition sur le sujet en septembre 2018, à laquelle ont notamment participé deux personnes nées d’un don anonyme de gamètes. L’une d’entre elles, Joanna Rose, a rappelé que « l’accès à l’identité du donneur est un aspect essentiel de la construction identitaire de l’enfant, répond à des impératifs de santé et permet d’éviter la consanguinité »[10]. De plus, des personnes conçues par PMA-anonyme ont déjà pu retrouver leur père biologique grâce à des tests génétiques vendus sur internet, comme Arthur Kermalvezen dont le cas a été médiatisé. Celui-ci a présenté en janvier 2018 l’aboutissement de ses recherches comme un soulagement[11]. Le rapport parlementaire remarque d’ailleurs que le principe d’anonymat semble devenir « obsolète en raison du développement des technologies génétiques, qui permettent d’avoir facilement accès à ses données génétiques et donc de retrouver son géniteur »[12].

Pour toutes ces raisons, les parlementaires souhaiteraient « [mettre] l’accent sur les droits de la personne conçue, qui se trouve dans la position la plus vulnérable et pour laquelle les enjeux semblent être plus importants »[13]. Dans son état actuel, le projet de recommandation demande en particulier aux États d’« interdire l’utilisation de spermatozoïdes et d’ovocytes donnés anonymement »[14].

Une pratique reconnue comme contraire au droit international 

La PMA-anonyme viole plusieurs instruments internationaux, dont certains sont cités par le rapport parlementaire. En particulier, la Convention internationale des droits de l’enfant consacre l’« intérêt supérieur de l’enfant » (art. 3 § 1) dont font partie son « droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (art. 7 § 1),  son droit de « préserver son identité (…) et ses relations familiales » (art. 8 § 1) et en cas de séparation son droit « d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents » (art. 9 § 3). La Convention d’Oviedo de 1997 rappelle par ailleurs que les « applications de la biologie et de la médecine » doivent être utilisées « pour le bénéfice des générations présentes et futures ».

En outre, la Convention européenne des droits de l’homme protège un « droit au respect de la vie privée et familiale » (art. 8) qui implique pour la CEDH un « droit à l’identité » exigeant « que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain »[15]. Ce droit inclut en particulier un accès aux informations permettant d’établir « quelques racines de son histoire »[16] et les « circonstances de [sa naissance] »[17], ainsi que la possibilité « de connaître et de faire reconnaître son ascendance»[18]. Force est de constater que les personnes conçues par PMA-anonyme sont sciemment exclues de ce droit avant même leur conception.

Le rapport parlementaire cite aussi la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Celle-ci demande aux autorités compétentes des États de « conserver les informations qu’elles détiennent sur les origines de l’enfant, notamment celles relatives à l’identité de sa mère et de son père » et d’« [assurer]  l’accès de l’enfant ou de son représentant à ces informations » (art. 30). Or, d’après les parlementaires, « la situation des personnes conçues par don est plus proche de celle des enfants qui ont été adoptés à l’international que des bénéficiaires de dons d’organes »[19]. Les psychologues considèrent en effet que les difficultés identitaires des personnes conçues par PMA-anonyme sont comparables à celles des personnes adoptées[20]. C’est pourquoi, il serait cohérent que les États respectent les mêmes obligations vis-à-vis des enfants concernés par ces deux situations.

L’identification de dangers de la PMA-anonyme pour l’enfant

Le premier danger reconnu par le rapport parlementaire est d’ordre sanitaire. En effet, l’anonymat du don de gamètes induit d’évidentes conséquences physiques et médicales dues à l’absence d’accès à l’histoire médicale familiale (antécédents médicaux, héritage génétique). Pour les enfants concernés, la PMA-anonyme peut donc rendre difficile l’obtention de soins médicaux appropriés et réduit les possibilités de prévention[21]. De même, en cas de maladie transmise par le donneur, les parents de l’enfant peuvent ne pas se douter que le don est en cause et ne pas avertir la banque de gamètes, au risque que d’autres enfants soient conçus avec les dons du même donneur[22]. C’est pourquoi, le rapport parlementaire rappelle que « des personnes conçues à partir d’un don de gamètes risquent de perdre leur vie si leur donneur ne peut pas ou ne souhaite pas être identifié (alors qu’elles ont besoin d’une transplantation, par exemple) »[23].

Par ailleurs, le risque d’inceste involontaire et de mariage entre demi-frère et demi-sœur se trouve également augmenté en cas de PMA-anonyme[24], avec les risques médicaux que cela comporte[25]. Le rapport parlementaire évoque en effet le « phénomène des « serials donneurs » (…) accentué par l’absence récurrente de système d’échange d’informations entre les différentes cliniques pratiquant l’insémination artificielle avec donneur à l’intérieur d’un État (…), mais également par le phénomène des dons transfrontaliers »[26]. La rencontre entre des enfants nés d’un même donneur ne relève pas du cas d’école, vu l’écho que s’en fait la presse[27]. Face à cette situation, le projet de recommandation propose « d’imposer une limite supérieure au nombre de dons possibles par le même donneur, en veillant à ce que les parents proches ne puissent pas se marier, et en gardant la trace des donneurs en cas de besoin médical »[28].

En outre, d’après le rapport parlementaire, « l’accès à l’identité du donneur constitue un paramètre fondamental pour la construction de l’identité de l’enfant »[29]. Plusieurs études récentes sont citées[30], ce qui permet aux parlementaires de conclure qu’« au moins une personne sur deux conçue par don cherche à connaître ses origines »[31]. D’après eux, l’ignorance des origines est bien souvent la cause d’une « quête identitaire »[32] et de « souffrances considérables »[33]. Ces constats confirment ceux du rapport de l’ECLJ sur la PMA, qui avait déjà mis en lumière les conséquences psychologiques sur l’enfant du don anonyme de gamètes[34]. Ce mode de conception est à l’origine de crises d’identité[35] et autres problèmes psychiques[36], et a en cela été dénoncé par des psychiatres, psychanalystes et sociologues[37].

Les deux requêtes à la CEDH de personnes conçues par PMA-anonyme

Le projet de recommandation rappelle que « plusieurs pays européens ont décidé de renoncer à cet anonymat »[38]. Les cas les plus emblématiques sont ceux de la Suède en 1984, l’Autriche en 1992, la Norvège en 2003, les Pays-Bas en 2004, le Royaume-Uni en 2005, la Finlande en 2006 ou encore l’Allemagne qui a voté une loi en 2017. D’autres États laissent le choix aux donneurs et aux « parents » d’intention entre un don anonyme et un don nominatif (Islande, Belgique), ou encore permettent aux enfants nés par PMA d’accéder à des données non identifiantes sur leurs donneurs (Espagne, Danemark). Les pays conservant un anonymat absolu, comme la France, se trouvent donc de plus en plus isolés en Europe[39].

Si un rapport et une recommandation de l’APCE sont adoptés en avril 2019, cela renforcera ce mouvement européen en faveur d’une levée de l’anonymat du don de gamètes. Or, la marge d’appréciation laissée aux États par la CEDH sur les questions de société dépend notamment de l’existence d’un « consensus européen » dans la matière en cause et de la force de celui-ci. Considérant ce mouvement européen et la jurisprudence (voir supra), les requêtes d’Audrey Gauvin-Fournis et Clément Silliau pourraient amener les juges de Strasbourg à condamner la France pour violation du « droit à l’identité » des personnes conçues par PMA-anonyme. Le législateur français se verrait alors obligé de supprimer le caractère absolu de l’anonymat des dons de gamètes. Un tel arrêt de la CEDH influencerait ainsi la révision en cours des lois françaises de bioéthique[40], ce que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a déjà anticipé[41].

Pour soutenir la quête identitaire des deux requérants et demander l’interdiction de la PMA-anonyme, l’ECLJ a obtenu l’autorisation d’intervenir auprès de la Cour en soumettant des observations écrites. Notre démonstration s’est appuyée sur les droits de l’homme (voir supra), ainsi que sur les témoignages personnels de deux jeunes femmes conçues par PMA-anonyme, Joanna Rose et Stéphanie Raeymaekers, que nous avions invitées en conférence au siège des Nations unies le 6 mars 2018. L’ECLJ a rappelé dans ses observations que le droit international et ces témoignages sont en cohérence avec ce que nous révèle le droit naturel. En effet, si le désir d’avoir un enfant est profondément humain, la nature humaine qui fait naître le désir de devenir parent a aussi placé en l’enfant le besoin d’être élevé et aimé par ses véritables parents.

Un rapport et un projet de recommandation conformistes et insuffisants

Bien qu’ils approuvent une levée de l’anonymat, les parlementaires refusent pour le moment de reconnaître le droit des enfants conçus par PMA d’avoir accès à leurs origines dès leur naissance. En effet, le projet de recommandation précise que « l’identité du donneur ne serait pas révélée au moment du don à la famille, mais au 16ème ou 18ème anniversaire de l’enfant », avec le consentement de ce jeune adulte et du donneur[42]. Or, la Convention internationale des droits de l’enfant s’applique à « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (art. 1), et déclare explicitement que le droit de connaître ses parents est valable dès la naissance (art. 7-1). La Convention européenne des droits de l’homme doit être lue à la lumière la Convention internationale des droits de l’enfant, qui est le texte international ayant réuni le plus grand nombre de signatures et de ratifications.

Le rapport et le projet de recommandation ajoutent encore que l’enfant conçu par PMA hétérologue n’a pas le droit de faire reconnaître juridiquement sa filiation réelle. Ils nient le lien de filiation unissant ces personnes à leurs parents biologiques. En effet, « la levée de l’anonymat ne devrait entraîner aucun changement au niveau de la filiation juridique même lorsque le donneur a accepté la démarche »[43] ; ou encore, « la renonciation à l’anonymat ne devrait avoir aucune conséquence juridique sur la filiation »[44]. Cette dissociation délibérée et préméditée entre les composantes biologique et juridique de la filiation est contraire au droit reconnu par la CEDH « de faire reconnaître son ascendance »[45], ainsi qu’au droit de l’enfant consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant, « dans la mesure du possible, (…) d’être élevé par [ses parents biologiques] » (art. 7-1).

Si le projet de recommandation est adopté tel quel, cela signifie que l’APCE valide la discrimination dont sont actuellement victimes les enfants nés de PMA. En effet, en règle générale, lorsqu’un enfant conçu naturellement a été valablement reconnu, il peut tout de même démontrer que la filiation établie n’est pas fondée sur la réalité biologique et intenter une action en recherche de paternité ou maternité. Les exceptions à ce principe visent à protéger la morale, par exemple en cas d’inceste absolu[46], ou alors la sécurité juridique de l’enfant, par la stabilité de son lien de filiation[47]. En raison de ces objectifs légitimes, au regard notamment de l’intérêt de l’enfant, ces exceptions sont conformes au droit européen[48]. Dans le cas des enfants nés de PMA, en revanche, la loi impose l’établissement de la filiation à l’égard du couple receveur et prohibe l’existence de tout lien entre l’enfant et ses parents biologiques[49]. Le cas peut se produire où l’enfant conçu par don et son géniteur veulent l’établissement du lien de filiation entre eux, mais s’en trouveraient empêchés alors même que les relations entre l’enfant et son père légal auraient été rompues. Le fait que, par principe, ces enfants soient ainsi considérés comme une minorité exclue du droit de faire reconnaître sa filiation réelle constitue une discrimination fondée sur la naissance. Or, une telle discrimination viole le droit international, notamment l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme[50].

Le rapport parlementaire justifie cette situation en prétendant qu’« il est constant que les personnes conçues cherchant à connaître leurs origines génétiques ont déjà des parents et ne sont pas dans une quête affective ou à la recherche d’une famille, mais à la recherche d’une partie de leur histoire et de leur identité »[51]. L’ECLJ a montré dans son rapport que cette hypothèse est parfois fausse, ce que confirme Joanna Rose, l’une des deux personnes nées de PMA que les parlementaires ont auditionnées. D’une part, cette femme demande, comme beaucoup d’autres, la possibilité de connaître ses origines, mais aussi de faire reconnaître sa filiation réelle et d’obtenir la réparation du préjudice qu’elle a subi[52]. D’autre part et surtout, à partir de l’étude de nombreux témoignages, Joanna Rose explique que les enfants conçus par PMA ressentent une « dette existentielle » envers leurs parents adoptifs[53]. Cette pression psychologique inconsciente les empêche en général de critiquer la méthode avec laquelle ils ont été conçus et donc la fragmentation de la filiation. Pour cette raison, s’il est très important d’être à l’écoute des revendications de ces personnes pour elles-mêmes, le fait d’être conçu par PMA hétérologue ne rend pas forcément plus légitime pour porter un jugement sur cette pratique en soi.

L’ambivalence des intentions du rapporteur Petra de Sutter

Cela dit, il est inutile de compter sur le rapporteur Petra de Sutter pour évaluer avec objectivité les techniques de PMA au regard du bien des enfants qui en sont issus. Le rapporteur est avant tout une militante transgenre et pro-GPA, connue pour ses engagements en faveur des « droits » procréatifs des personnes LGBT. Dans ce domaine, elle avait par exemple déclaré que la France a encore un « long chemin (…) à parcourir », passant par une légalisation de la PMA pour les couples de lesbiennes et les femmes seules[54]. Or, si les enfants souffrent de ne pas connaître l’identité de leur vrai père en raison d’une PMA-anonyme, comment pourraient-ils se construire s’ils étaient sciemment privés de tout lien de filiation paternelle et de tout référent masculin[55], par une PMA « pour toutes » ? Une légalisation de cette pratique légitimerait les projets parentaux n’incluant aucun homme et institutionnaliserait l’absence de père.

Comment Petra de Sutter peut-elle donc à la fois promouvoir la « PMA sans père » et prétendre protéger le droit des enfants de connaître leur père biologique ? Il serait intéressant que le rapporteur éclaircisse ce point. Si elle persiste dans ses positions, nous pouvons craindre qu’elle utilise en réalité la levée d’anonymat des donneurs de gamètes comme un moyen non de protéger les droits des enfants, mais au contraire de préserver la PMA hétérologue d’une éventuelle remise en cause. Pire encore, elle pourrait considérer la levée d’anonymat comme une étape vers une plus grande normalisation des dons de gamètes et une banalisation des pratiques de PMA. De fait, d’après la sociologue Irène Théry, la levée d’anonymat pourrait permettre de modifier positivement la manière dont la société conçoit la PMA hétérologue, en valorisant la « générosité » du « tiers donneur »[56].

La nécessité d’une critique plus complète des techniques de PMA

Dans tous les cas, avant d’envisager un éventuel « long chemin (…) à parcourir », il serait temps de faire un bilan des pratiques de PMA déjà légales, sans tabou. Dans son rapport de mars 2018, l’ECLJ a évalué la conformité de ces techniques aux droits et intérêts des enfants qui en sont issus. Nous en avons conclu que la médecine, la psychologie, le droit naturel, le droit positif mais aussi le simple bon sens nous invitent à la prudence. Chacun de ces enfants, fruits de l’intervention d’équipes médicales, subit en effet une injustice, plus ou moins grave en fonction de la technique de PMA utilisée. À cela s’ajoutent aussi des questions éthiques liées aux atteintes à l’embryon et aux dérives eugéniques de la PMA[57] : elles sont tout aussi sérieuses, car elles impliquent des êtres humains innocents et ont des conséquences irréversibles sur les générations futures.


[1] La « procréation médicalement assistée » (PMA), appelée aussi « assistance médicale à la procréation » (AMP), regroupe l’ensemble des techniques manipulant des gamètes humains afin de procéder à la procréation artificielle d’enfants, pour des couples stériles ou pour satisfaire une demande d’enfants exprimée par des personnes seules ou des couples de même sexe.

[2] Priscille Kulczyk et Nicolas Bauer, sous la direction de Grégor Puppinck, « La violation des droits des enfants issus d’AMP », mars 2018.

[3] Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapport, « Don anonyme de spermatozoïdes et d’ovocytes : trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants », 23 janvier 2019, projet de recommandation, § 6.

[4] Audrey Gauvin-Fournis c. France, n°21424/16, requête introduite le 15 avril 2016, communiquée le 5 juin 2018 ; Clément Silliau c. France, n°45728/17, requête introduite le 23 juin 2017, communiquée le 5 juin 2018.

[5] European Society of Human Reproduction and Embryology, “More than 8 million babies born from IVF since the world’s first in 1978” ScienceDaily, 3 juillet 2018.

[6] Chiffres de 2015. Cf. Agence de la biomédecine, « Le rapport médical et scientifique de l’assistance médicale à la procréation et de la génétique humaines en France », 2016.

[7] APCE, rapport, op. cit., projet de recommandation, § 4.

[8] Ibid., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 2.

[9] Ibid., § 14.

[10] APCE, Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, Procès-verbal de l’audition sur le « Don anonyme de sperme et d’ovocytes : trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants » tenue à Lisbonne, Portugal, le lundi 17 septembre 2018, de 15h à 17h30, dans le cadre du rapport en cours d’élaboration sur le même thème, AS/Soc (2018) PV 05 add, 11 octobre 2018.

[11] Interview d’Arthur Kermalvezen par Yann Barthès, émission « Quotidien », TMC, 17 janvier 2018 ; Loup  Besmond de Senneville, « L’anonymat du don de sperme fragilisé », La Croix, 15 janvier 2018.

[12] APCE, rapport, op. cit., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 17.

[13] Ibid., projet de recommandation, § 5.

[14] Ibid., § 7.1.

[15] CEDH, Phinikaridou c. Chypre, n° 23890/02, 20 décembre 2007, § 45.

[16] CEDH, Godelli c. Italie, n° 33783/09, 25 septembre 2012, § 68.

[17] CEDH, Odièvre c. France, [GC], n° 42326/98, 13 février 2003, § 29.

[18] CEDH, Pascaud c. France, n°19535/08, 16 juin 2011, § 59.

[19] APCE, rapport, op. cit., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 8.

[20] Sonia Allan, “Guest editorial on Donor conception, secrecy and the search for information” Journal of law and medicine, June 2012, p. 643 : « Les psychologues ont établi de nombreux parallèles entre l’expérience des personnes conçues par don et celle des personnes adoptées, en particulier en ce qui concerne les difficultés (…) que certaines personnes éprouvent face à la confusion généalogique qui résulte d’un refus d’accès à l’information, et le secret qui, dans le passé, entourait ces deux pratiques » [Traduction non officielle].

[21] Voir Kavot Zillén, Jameson Garland, Santa Slokenberga, The Rights of Children in Biomedicine : Challenges posed by scientific advances and uncertainties, submitted 11 January 2017 (Commissioned by the Committee on Bioethics for the Council of Europe), p. 24-25; Vardit Ravitsky, “Knowing Where You Come From”: The Rights of Donor-Conceived Individuals and the Meaning of Genetic Relatedness, Minnesota Journal of Law, Science and Technology, p. 671-674.

[22] Voir : Claire Legras, « L’anonymat des donneurs de gamètes », Laennec 2010/1 (Tome 58), p. 44. Pour un exemple concernant un donneur de sperme ayant transmis une maladie génétique à plusieurs enfants conçus à l’aide de son sperme : Denise Grady, « Sperm Donor Seen as Source of Disease in 5 Children », The New York Times, 19 mai 2006.

[23] APCE, rapport, op. cit., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 28.

[24] Sur l’ensemble de la question, voir Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret des origines/inceste/Procréation médicalement assistée avec des gamètes anonymes : « Ne pas l’épouser » », Anthropologie et sociétés, 33 (1), p. 157-169.

[25] Martine Pérez, « Les mariages consanguins sont risqués pour les descendants », Le Figaro, 6 septembre 2013. Voir aussi Eamonn Sheridan, John Wright et al., “Risk factors for congenital anomaly in a multiethnic birth cohort : an analysis of the Born in Bradford study”, The Lancet, 2013, Vol 382, No 9901, p. 1350-1359 ; Anand Saggar et Alan Bittles, « Consanguinity and child health », Pediatrics and Child Health 18.5, 2008, p. 244-249.

[26] APCE, rapport, op. cit., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 13.

[27] Charles Wight, “Girl conceived via IVF finds out best friend is actually her brother”, Metro, 30 Avril 2017 ; Nicole Hasham, “Joanna Gash concerned about accidental incest”, Illawarra Mercury, 27 octobre 2010 ; Kanika Mehta, “Incidence of accidental incest on a rise” ; Alicia Paulet, « “Inceste involontaire”: la justice privilégie l’intérêt de la petite Océane », Le Figaro, 20 septembre 2017 ; Aline Gérard, « Ils sont frère et sœur… et légalement parents d’une petite fille »,  Le Parisien, 20 septembre 2017 ; « L’incroyable lien de parenté qu’un couple découvre au bout de 10 ans de mariage », LINFO.re, 12 février 2017. 

[28] APCE, rapport, op. cit., projet de recommandation, § 7.3.

[29] Ibid., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 15.

[30] Scheib, J. (2017, 02). “Who requests their sperm donor’s identity? The first ten years of information releases to adults with open-identity donors.” Fertil Steril; Karen Clark, Norval Glenn et Elizabeth Marquardt, (2010, 01). My Daddy’s Name is Donor: A Pathbreaking New Study of Young Adults Conceived Through Sperm Donation.

[31] APCE, rapport, op. cit., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 16.

[32] Ibid., § 15.

[33] Ibid., § 16.

[34] Elizabeth Marquardt, An International Appeal from the Commission on Parenthood’s Future, The Revolution in Parenthood: The Emerging Global Clash Between Adult Rights and Children’s Needs(Institute for American Values, 2010) ; Michael Cook, Reproductive Technologies: The pain of anonymous parentage (26 janvier 2011); Geraldine Hewitt, Missing links: Exploration into the identity issues of people conceived via donor insemination, Donor Conception Support Group of Australia, Sydney, 2001.

[35] Voir : Samantha Besson, Enforcing the Child’s Right to Know Her Origins: Contrasting Approaches Under The Convention on the Rights of the Child and the European Convention on Human Rights, International Journal of Law, Policy and the Family (2007), p. 138 et 141 ; Geraldine Hewitt, op. cit.

[36] Audition de M. Claude Huriet à l’Assemblée nationale du 20 janvier 2009 relatant le cas de boulimie et anorexie d’une jeune fille ayant appris sa conception avec don de sperme ; Manque de confiance dans la famille et sentiment de discrimination : Geneviève Delaisi de Parseval, op. cit., p. 158 ; « L’enfant sera dans le doute permanent, pensant reconnaître son père à tous les coins de rue », Stéphane Clerget (pédopsychiatre), Valeurs actuelles, 18 septembre 2008.

[37] Dans le cas de la France où l’anonymat est absolu (lois de bioéthique de 1994), voir D. Widlöcher, S. Tomkiewicz (1985), Actes du Colloque « Génétique, procréation et droit », Actes Sud, p. 44 et p. 546 ; M. Vacquin (1991), « Filiation et artifice. Nouvelles techniques et vieux fantasmes », Le Supplément, n° 177 : p. 130–49 ; G. Delaisi de Parseval, P. Verdier (1994), Enfant de personne, Odile Jacob, Paris, spéc. chap. 5 ; A. Cadoret, G. Delaisi de Parseval et al., « Les lois du silence », Libération, 11 décembre 2003.

[38] APCE, rapport, op. cit., projet de recommandation, § 4.

[39] Voir : Claire Legras, op. cit.

[40] Grégor Puppinck, « PMA, GPA : quel rôle va jouer la CEDH ? », Figaro Vox, 18 septembre 2018.

[41] Françoise Marmouyet, « Lever l’anonymat des donneurs de sperme, bientôt une révolution en France ? », France 24, 27 septembre 2018.

[42] APCE, rapport, op. cit., projet de recommandation, § 7.1 : « l’identité du donneur ne serait pas révélée au moment du don à la famille, mais au 16ème ou 18ème anniversaire de l’enfant ainsi conçu qui serait informé (de préférence par l’État) de l’existence d’informations complémentaires concernant les circonstances de sa naissance. La personne conçue pourrait alors décider si elle veut accéder à ces informations comportant l’identité du donneur, et quand, et si elle souhaite établir le contact (de préférence après avoir eu accès à des services d’orientation, de conseil et de soutien appropriés avant de prendre sa décision) » ; § 7.4 : « Les donneurs devraient être conseillés avant de décider s’ils acceptent ou non de lever l’anonymat ».

[43] Ibid., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 32.

[44] Ibid., projet de recommandation, § 7.2.

[45] CEDH, Pascaud c. France, n°19535/08, 2011, § 59.

[46] Code civil, art. 310-2.

[47] Si avant 1972 les actions relatives à la filiation étaient imprescriptibles, elles ont ensuite été limitées à un délai de deux ans à partir de la majorité de l’enfant, puis de dix ans par l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation. La loi peut prévoir un délai d’action plus court, par exemple si la possession d’état est conforme au titre (cinq ans). L’allongement du délai en 2005 laisse un temps suffisamment long à l’enfant pour atteindre une certaine maturité et éventuellement recueillir des éléments de preuve afin de décider de rechercher sa filiation en justice. Maintenir un délai maximum vise en revanche à mettre l’enfant à l’abri de revendications tardives affectant la stabilité de son état. Une filiation stable fondée sur une vérité sociologique peut ainsi prévaloir sur une vérité biologique connue.

[48] Sur la protection de la morale en cas d’inceste, voir : Patrick Courbe, Adeline Gouttenoire, Droit de la famille, Sirey, 7ème édition, 2017. Sur l’existence d’un délai au-delà duquel un lien de filiation ne peut plus être contesté, ou plus difficilement : CEDH, Ostace c. Roumanie, n°12547/06, 25 février 2014. La CEDH a déclaré irrecevable une demande de réouverture de la procédure en recherche de paternité d’un enfant né hors mariage, alors même que tous les intéressés semblaient favorables à l’établissement de la vérité biologique. Le juge a insisté sur la longue période pendant laquelle l’enfant a bénéficié de son état civil de manière stable.

[49] En France, le Code civil précise qu’« aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation » (art. 311-19).

[50] Convention européenne des droits de l’homme, Protocole n°12, 4 novembre 2000, article 1 : « 1. La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. 2. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique quelle qu’elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe 1 ».

[51] APCE, rapport, op. cit., exposé des motifs de la rapporteure, Mme Petra De Sutter, § 20.

[52] Olivia Gordon, “Is it time to question the ethics of donor conception?” The Telegraph, 18 mai 2015.

[53] Joanna Rose, « A critical analysis of sperm donation practices: the personal and social effects of disrupting the unity of biological and social relatedness for the offspring », Thèse, Queensland University of Technology, 2009, p. 101.

[54] Lakhdar Belaïd, « Les homosexuelles d’ici font des bébés là-bas », La Voix du Nord, 31 mars 2013 : « Son pays offre l’asile aux homosexuelles françaises et la chef du service de médecine reproductive [Petra de Sutter] en est ouvertement fière. « Nous ne comprenons pas les oppositions en France », reprend ce professeur de médecine. « Pour nous, c’est une question d’égalité et de lutte contre la discrimination » (…) « Finalement, vous êtes un pays conservateur, lâche Petra de Sutter. Chez nous, l’euthanasie est entrée dans les mœurs. Tout comme la GPA, réservée, elle, aux seuls Belges. Nous n’espérons qu’une chose, que la loi française change. Cela ne sera que justice. Et nous aurons peut-être moins de demandes venant de chez vous » ».

[55] Voir : Aude Mirkovic, « L’élargissement de l’assistance médicale à la procréation (AMP) », Médecine et Droit 2018, p. 1 ; Avis du CCNE du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), p. 19 : « l’élargissement de l’accès à l’IAD pourrait, à son tour, être à l’origine d’“inégalité” pour les enfants qui naîtraient de telles AMP parce qu’ils se verraient privés de père dans le cas des couples de femmes, de père et d’un double lignage parental dans le cas des femmes seules ».

[56]  Irène Théry, Anne-Marie Leroyer, Filiation, origines, parentalité – Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Paris, Odile Jacob, 2014.

[57] La PMA soulève des questions éthiques liées à la conception d’embryons dits « surnuméraires » qui peuvent être détruits, congelés ou utilisés par la recherche scientifique (lire par exemple : « Le mauvais sort des embryons surnuméraires », Gènéthique, 22 décembre 2016), à la réduction embryonnaire (lire par exemple : « La réduction embryonnaire en questions », Doctissimo, 29 décembre 2014), et à la sélection eugénique des embryons avant leur implantation (lire par exemple : « Débat sur Europe 1 : le DPI, une technique « irrémédiablement eugéniste » », Gènéthique, 27 juillet 2015).

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