FIGAROVOX/ENTRETIEN – Un amendement voté mardi prévoit de remplacer les mentions du «père» et de la «mère» sur les formulaires scolaires par «parent 1» et «parent 2». Une mesure qu’Aude Mirkovic juge idéologique, mais aussi injuste car elle oblige tous les couples à «entrer dans un concept de parenté hors sol».
Aude Mirkovic est Maître de conférences en droit privé et porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance. Elle est notamment l’auteur de La PMA, un enjeu de société(éd. Artège, 2018) et du roman En Rouge et Noir (éd. Scholae, 2017).
- Un amendement voté mardi à l’Assemblée prévoit de remplacer la mention « père et mère » sur les formulaires scolaires par celle de « parent 1 et parent 2 ». Est-ce réellement une « mesure d’égalité sociale », comme l’affirment les députés qui ont soutenu l’amendement ?
Il y a bien une inégalité entre les enfants, et ce n’est pas un formulaire qui en est la cause ni qui en sera le remède. La cause de cette inégalité est la loi de 2013 sur le mariage des personnes de même sexe qui a introduit en droit français l’adoption par deux parents de même sexe. Je m’explique. Les promoteurs de la parenté de même sexe prétendent que « cela ne change rien », ce qui est faux. La « parenté » de même sexe change tout, et on commence à la percevoir concrètement avec des mesures comme cet amendement qui remplace les mentions père et mère par celles de parents 1 et parent 2. Pour autant, pour être d’accord ou non avec ce changement, encore faut-il le réaliser. Alors qu’est-ce qui change ? La filiation découle de l’acte de naissance et indique à chacun de qui il est né, c’est-à-dire ses père et mère. La filiation ne se réduit certes pas à la réalité biologique et cette naissance à laquelle elle renvoie l’enfant, si elle est le plus souvent biologique, peut être aussi « seulement » symbolique : c’est le cas des enfants adoptés et encore de ceux qui ont été reconnus par un homme qui ne les a pas engendrés. Le droit n’exige donc pas la véritébiologique mais la vraisemblance. Avant leur rôle d’éducation qu’ils peuvent d’ailleurs partager et déléguer, les parents ont un rôle statutaire, celui d’indiquer à l’enfant son origine, au moins symbolique.
Comme un enfant ne peut pas être issu de deux femmes ou de deux hommes, la filiation qui relie un enfant à des parents de même sexe n’indique plus à l’enfant son origine, pas même symbolique, en dépit du même mot de filiation employé comme si de rien n’était. La filiation indique à l’enfant ses responsables légaux. D’ailleurs, lors de la discussion à l’Assemblée hier, madame Anne Brugnera a témoigné qu’à la ville de Lyon, dont elle a été l’adjointe à l’éducation pendant quelques années, les formulaires comportent depuis plusieurs années les mentions « responsable légal 1 » et « responsable légal 2 ».
Mais, justement, les parents ne sont pas seulement des responsables légaux, au même titre qu’un tuteur ou un délégataire d’autorité parentale. Ils ont cette dimension constitutive d’indiquer à l’enfant son origine, et les mesures qui les réduisent à des responsables légaux privent la filiation, les enfants comme les parents, de cette dimension. On a discuté aussi de la mention des père et mère sur les actes de naissance, mais en réalité c’est le terme même d’acte de naissancequi ne convient plus.
Il y a bien une inégalité entre les enfants, entre ceux qui ont une filiation en mesure de leur indiquer leur origine, fut-elle symbolique, et ceux dont la filiation leur indique seulement des responsables légaux. Pour « camoufler » cette inégalité de fond, on tente d’effacer toutes les différences visibles mais secondaires qui découlent de cette inégalité première : on supprime les termes père et mère des formulaires scolaires, en privant au passage tous les autres enfants de cette dimension ontologique de la filiation qui les renvoie à leur origine.
Ce prétendu remède à une prétendue inégalité laisse d’ailleurs perplexe : qui se soucie donc de l’injustice de ces formulaire prévoyant un parent 1 et un parent 2 pour les enfants qui n’ont qu’un seul parent ? Cette double mention n’a-t-elle pas « comme conséquence de ne pas reconnaître la diversité familiale », en renvoyant chaque fois les familles monoparentales à leur différence ? Cette case « parent 2 » ne risque-t-elle pas d’ « être source d’interrogations de la part de l’enfant qui ne comprendrait pas que l’on remette en cause son modèle familial », pour reprendre les inquiétudes de l’exposé des motifs ? En réalité, l’enfant n’ignore pas le manque qui peut exister dans sa situation personnelle, et nier ce manque en faisant disparaître les cases prévues pour ce qui précisément manque ne rend pas service à l’enfant mais entretient plutôt autour de lui un contexte de déni qui n’a rien de constructif. A ce compte-là, pourquoi ne pas aussi supprimer le cross de l’école parce qu’un enfant en fauteuil roulant ne peut y participer ? N’est-il pas plus judicieux de lui trouver une manière de participer à cet événement plutôt que d’en priver tous les autres ?
- Jean-Michel Blanquer n’y était pourtant pas favorable, arguant que ce n’est pas un domaine qui devrait relever du législatif…
En effet, et il n’est pas le seul. Plusieurs parlementaires pourtant favorables à cet amendement ont signalé qu’il relevait de la compétence réglementaire. Une loi qui intervient dans le domaine réservé au gouvernement encourt la censure du Conseil constitutionnel. D’ailleurs, cet amendement ne modifie aucune disposition législative, précisément car la loi ne dit rien des formulaires administratifs. Cet amendement ajoute de toute pièce une précision à l’article L111-4 du code de l’éducation qui concerne les parents d’élève en précisant que « Chaque formulaire administratif qui leur est destiné fait mention d’un parent 1 et d’un parent 2 ». Pour autant, la même mesure prise par le pouvoir réglementaire n’en serait pas moins néfaste.
- Est-ce seulement une modification symbolique ? Quelles en seront les répercussions ?
La modification est symbolique mais le symbole n’a rien de secondaire, il est essentiel. Cet effacement des père et mère s’inscrit dans une volonté de déconnecter définitivement la filiation de la référence à l’engendrement de l’enfant pour la fonder sur la seule volonté, le projet parental, le désir d’enfant. L’adoption par deux hommes ou deux femmes introduite par la loi de 2013 sur le mariage a déjà commencé ce travail, mais c’est une filiation adoptive et la filiation de droit commun demeure fondée sur la référence à l’engendrement de l’enfant : lorsqu’un juge tranche un conflit de paternité, il ne cherche pas lequel des deux hommes est le meilleur candidat au rôle de père, il cherche…. qui est le père dit sobrement la loi, tout simplement. Cette volonté d’effacer les père et mère aux profit de parents indifférenciés prépare le terrain pour la PMA sans père et s’inscrit dans l’objectif annoncé par le rapport Touraine, la procréation sans sexe pour tous, qui passe par la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, la procréation post mortemet le double don de gamètes : autrement dit, la conception légale d’enfants avec filiation paternelle ou pas, filiation maternelle simple ou double, parents biologiques ou donneurs, parents vivants ou morts en fonction des désirs et des projets que ces enfants sont censés réaliser.
- La suppression des termes « père » et « mère » a-t-elle déjà été décidée dans d’autres documents administratifs ? Est-ce que cela tend à se généraliser ?
Les pratiques sont diverses et variées et il y a des mairies, ou des établissements, qui utilisent des formulaires indiquant « parent 1 et parent 2», ou « parent A et parent B » ou « responsable légal 1 et responsable 2 »… La diversité des termes illustre comment les parents sont finalement considérés comme des « responsables légaux » parmi les autres, sans spécificité. Mais ces mesures sont idéologiques et injustes : pour éviter à certains de barrer une mention qui ne correspond pas à leur cas, on oblige tout le monde à entrer dans un concept de parenté hors sol : pour commencer, comment déterminer qui est la parent 1 et qui est la parent 2 ? Celui désigné comme parent 1 doit-il l’être systématiquement dans tous les formulaires, ou peut-on remplir tantôt dans un ordre et tantôt dans un autre ? Madame Agnès Thill relevait hier lors du débat qu’ayant dû faire remplir des formulaires comportant les mentions « parent 1 » et « parent 2 », les couples père-mère lui « demandaient alors que choisir : « Qui est le parent 1 ? Moi, je ne suis pas plus important que l’autre et le parent 1 n’est pas plus important que le parent 2. » Le problème se pose donc dans les deux sens ».
- Les députés qui planchent sur une « école de la confiance » ont également promu des mesures de lutte contre la transphobie. L’école devient-elle le nouveau cheval de bataille des lobbies LGBT ?
Ce n’est pas un nouveau cheval de bataille, c’est un vieux cheval de Troie. La bonne nouvelle est que les parents, aujourd’hui, sont bien plus attentifs à ce qui se passe à l’école. C’est malheureux dans un sens car cela signifie qu’ils ne peuvent plus faire confiance, en bloc, à l’école, mais cela leur permet ainsi de veiller à ce que leurs enfants, sous prétexte de bonnes intentions de lutte contre la ceci ou la celaphobie, ne soient pas en réalité pris à parti et impliqués malgré eux dans problématiques que les parents préfèrent aborder en famille, en respectant le rythme et les attentes de chaque enfant.
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2019/02/13/31003-20190213ARTFIG00263-parent-1-et-parent-2-a-l-ecole-une-mesure-injuste-pour-la-plupart-des-familles.php