Au motif annoncé de mieux protéger les enfants, la loi votée a clairement exprimé la possibilité que des mineurs puissent être consentants à un acte de pénétration sexuelle par un adulte.
Adeline Le Gouvello, avocate | 21 mai 2018
Après des annonces retentissantes sur l’insertion d’une présomption de non-consentement à un acte sexuel pour les mineurs de 13 ans, c’est finalement un texte bien éloigné des déclarations initiales qui a été adopté par l’Assemblée nationale le 16 mai. Son but affiché est de mieux protéger les mineurs mais son efficacité pratique restera à démontrer. En revanche, les graves conséquences sur le plan des principes sont déjà bien identifiées.
Les nouvelles dispositions n’apportent en effet rien de vraiment nouveau pour réprimer de tels faits (léger alourdissement des peines encourues) et donnent une définition assez confuse des éléments caractérisant l’absence de consentement d’un enfant à un acte sexuel. En revanche, en prévoyant que « l’acte de pénétration sexuelle sur ou avec un enfant de moins de 15 ans » puisse être une simple circonstance aggravante du délit d’atteinte sexuelle, la loi reconnaît désormais expressément la possibilité qu’un jeune enfant puisse être consentant à un tel acte.
Les conditions du viol
Pour que le viol (qui est un crime) soit établi, plusieurs conditions doivent être réunies dont la pénétration et l’absence de consentement qui se déduit de la violence, contrainte, menace ou surprise. Les mineurs victimes de viol n’ont pas été dotés d’un texte particulier en ce qui les concerne : la preuve de l’absence de consentement doit aussi être rapportée. La loi prévoit seulement que la contrainte (qui peut être morale) « peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits », ce qui n’en fait qu’une possibilité. Si l’on considère qu’il n’y a pas de contrainte subie par l’enfant, le viol et l’agression sexuelle ne sont pas retenus et c’est l’atteinte sexuelle qui prend le relais, simple délit qui réprime l’acte sexuel d’un majeur avec un enfant de moins de 15 ans, même si ce dernier est consentant, dont les peines sont plus légères et qui dénie donc à la jeune victime la reconnaissance d’avoir été forcée.
En pratique, les juges déduisaient l’existence de la contrainte du seul fait du jeune âge de la victime. Mais des affaires récentes ont montré une inflexion de cette jurisprudence, la qualification de viol n’ayant par exemple pas été retenue pour des fillettes de 11 ans au motif que la relation (avec pénétration) ne leur avait pas été imposée (et qu’elles étaient donc consentantes). Le viol a ainsi été écarté au profit de la qualification de simple atteinte sexuelle.
Errements jurisprudentiels
Il est manifeste qu’avoir laissé l’enfant dans la sphère du consentement risquait de le fragiliser à court ou moyen terme : tout ne pouvait dépendre que des magistrats (qui poursuivent, instruisent, jugent) dont l’appréciation peut évoluer au gré des circonstances, de leur vécu personnel, de leur culture, etc. Après une position fermement protectrice des enfants, par laquelle les juges considéraient qu’un acte sexuel avec pénétration sur un jeune enfant relevait forcément du viol, les décisions commencent à prendre en considération non plus le seul jeune âge mais le comportement de l’enfant au moment des faits pour estimer si la contrainte est établie (s’est-il débattu, a-t-il crié, etc.). Un enfant se laissant emmener et faire, ne manifestant pas de résistance, peut dès lors être considéré comme consentant. Le législateur se devait donc de réagir avec fermeté pour ne pas laisser prise à de tels errements jurisprudentiels et empêcher par des règles légales que les juges puissent adopter ce type d’interprétation. L’attente était forte et les membres du gouvernement s’étant exprimés sur la question semblaient déterminés.
Toutefois, la loi adoptée ne permettra pas, hélas, d’y mettre fin. Au lieu de prévoir qu’en dessous d’un certain âge, l’enfant ne peut être consentant, et qu’il y a menace, contrainte ou surprise du seul fait de son jeune âge, la loi a ajouté de-ci de-là de petites dispositions qui ne garantissent rien, au contraire.
Avertissement et discernement
Ainsi, prévoit-elle désormais que la contrainte morale ou la surprise subie par des enfants « sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Le texte paraît inintelligible : comment qualifier un « abus de vulnérabilité » ? Comment qualifier que l’enfant victime ne dispose pas du discernement nécessaire ? En réalité ce texte complique les choses car les auteurs vont s’empresser de faire plaider qu’à l’heure actuelle, les enfants discernent fort bien de quoi il s’agit tant ils sont avertis. Et il est vrai que techniquement, les enfants d’aujourd’hui sont beaucoup plus avertis que ceux d’hier. L’invasion de la pornographie et sa facilité d’accès par les écrans accentue considérablement le problème.
Cependant, même si l’enfant dispose de connaissances techniques, il demeure un enfant, doté d’une maturité de son âge qui n’est pas celle d’un adulte et qui ne lui permet pas d’avoir la force psychologique pour résister ni le discernement nécessaire. C’est une évidence qui n’a pas été retenue puisque l’appréciation du discernement restera sujet à discussion, au regard des faits de l’espèce. Appréciation subjective donc, alors que la fixation d’un âge aurait été un critère objectif de nature à caractériser en lui-même l’absence de discernement et la contrainte morale.
L’enfant peut consentir
Outre cette disposition critiquable, « l’acte de pénétration sexuelle sur ou avec un enfant de moins de 15 ans » figure désormais dans la liste des circonstances aggravantes de l’atteinte sexuelle (qui consiste comme on l’a dit à un acte sexuel avec un mineur consentant). La loi reconnaît donc expressément que la pénétration d’un jeune enfant n’est pas forcément un viol et que son consentement à cet acte peut exister. Si une telle solution restait ouverte aux juges, comme on l’a vu, la loi ne l’avait jamais expressément formulée et il convenait précisément de mettre fin à ces errements. À l’inverse, au motif annoncé de mieux protéger les enfants, elle a clairement exprimé la possibilité qu’ils soient consentants à un acte de pénétration sexuelle par un adulte.
Maladresse ? Ou occasion saisie de faire avancer une vision libertaire de la sexualité chez les enfants ? Difficile de le savoir mais s’il s’agit d’une simple erreur, elle apparaît grossière et regrettable. Certes, on appréciera l’aggravation des peines encourues pour l’atteinte sexuelle, la prescription pour le viol sur mineur qui passe de vingt à trente ans. Cela n’atténuera pas le fait que, sur le plan des principes, le législateur a commis l’exploit d’aller à l’encontre du but poursuivi et qu’il faudra en assumer les conséquences pratiques…
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