Juristes pour l’Enfance (JPE)
ASSOCIATION POUR LA DEFENSE DE L’ENFANT
Consultant auprès du Conseil économique et social de l’ONU
Contribution aux états généraux de la bioéthique
L’association Juristes pour l’enfance regroupe des juristes de toutes professions en vue de défendre et promouvoir les droits de l’enfant, tels qu’ils résultent notamment de la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU de 1990, signée et ratifiée par la France.
Dans le cadre des états généraux de la bioéthique, et en prévision de la révision de la loi de bioéthique, l’Association souhaite alerter le législateur et les citoyens sur la nécessité de replacer l’intérêt de l’enfant au cœur de notre législation, tant du point de vue de sa conception (PMA et GPA) que de sa fin de vie. L’Association s’inquiète du glissement vers une reconnaissance d’un véritable « droit à l’enfant » qui satisferait des désirs d’adultes en méconnaissance de l’intérêt et des droits de l’enfant.
Pour ce qui est des projets, JPE estime que constitueraient de graves atteintes aux droits de l’enfant :
– le projet de PMA pour les femmes célibataires et les couples de femmes.
– la légalisation d’une GPA dite « éthique ».
1- Le projet de PMA pour les femmes célibataires méconnait les droits de l’enfant
Le comité d’éthique a rendu sur ce sujet de la PMA pour les femmes un avis fort pertinent, qui dresse la liste des inconvénients liés à cette pratique, tant pour les enfants (privation de père) que pour la société (bouleversement des principes bioéthiques). L’association juristes pour l’enfance s’étonne par conséquent que le comité d’éthique ne tire pas de ses propres constats la conclusion qui s’impose, à savoir renoncer à ce projet.
La PMA pour les femmes aboutirait à priver les enfants, légalement et délibérément, de père. Or, l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU pose le droit pour tout enfant, dans la mesure du possible, « de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».
Si ce droit n’est garanti que « dans la mesure du possible », c’est parce qu’il y a des parents inconnus ou décédés mais, au minimum, l’Etat ne doit rien faire qui empêche les enfants de connaître leurs parents et d’être élevés par eux : une législation qui organiserait la PMA d’une manière qui écarte délibérément le père ne pourrait donc pas être considérée comme respectueuse de ce droit.
Certains veulent relativiser cet effacement du père en constatant que les dispositions légales relatives à l’accouchement dans le secret ou l’adoption plénière aboutissent au même résultat. C’est méconnaître le but recherché par ces dispositifs qui est de protéger justement l’intérêt de l’enfant lui-même : l’accouchement sous X protège l’enfant contre le risque d’infanticide ou d’abandon sauvage qui pèse sur lui. Quant à l’adoption plénière qui fait définitivement obstacle à la filiation d’origine, elle a pour raison d’être de donner à un enfant, privé de sa famille d’origine par les malheurs de la vie, une famille d’adoption qui devient sa famille.
Le processus de PMA pour les femmes évince le père et prive l’enfant du droit de le connaître comme d’être élevé par lui, non pas cette fois dans son intérêt mais dans l’unique but de satisfaire le désir des femmes.
On découvre aujourd’hui combien le fait d’être issu d’un donneur est source de difficultés et de souffrances pour les enfants : le don de gamètes actuel, pratiqué au sein d’un couple infertile, qui écarte le père biologique de l’enfant, est déjà peu compatible avec le droit de l’enfant. Mais le constat d’une injustice ne saurait servir de prétexte à sa généralisation par un recours systématique à des donneurs dans la PMA pour les femmes et à son aggravation car l’enfant serait alors privé non seulement de son père biologique mais de toute lignée paternelle.
L’Etat se doit de garantir le respect des droits de tous, et ceux des enfants en particulier. Il a pris des engagements contraignants en la matière : ces PMA sans père seraient de véritables bombes à retardement juridiques car les enfants demanderont un jour des comptes sur cette branche paternelle non seulement vacante mais effacée.
Le critère thérapeutique de la loi actuelle, qui réserve la PMA aux cas d’infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée, n’est à l’origine d’aucune inégalité. Il n’existe pas dans notre législation de « droit à la PMA » : tout d’abord, les couples homme/femme n’y ont accès que s’ils souffrent d’infertilité pathologique.
Les couples homme/femme fertiles n’ont pas accès à la PMA, pas plus que les couples âgés, et ils ne subissent pas de discrimination de ce fait car l’égalité ne signifie pas traiter tout le monde de la même manière mais seulement ceux qui sont dans la même situation ou des situations équivalentes. Or, au regard de la procréation, un couple homme/femme n’est pas dans une situation équivalente à celle d’une femme seule ou d’un couple de femmes, comme l’a clairement dit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 15 mars 2012, n° 25951/07, Gas et Dubois c/ France, § 63).
Il n’y a donc aucune inégalité à refuser l’accès à la PMA aux femmes seules ou en couple ; en revanche, légaliser la procréation d’enfants privés de père créerait une illégalité bien réelle entre les enfants selon qu’ils auraient ou non une filiation paternelle.
2- La légalisation de la GPA même dite éthique constituerait une atteinte fondamentale aux droits de l’enfant.
Sur la GPA, le comité d’éthique a rendu un avis négatif au motif que, « dans le contrat de GPA, le corps et la personne de l’enfant sont dans une position d’objet du contrat, incompatible avec les principes généraux du droit » (avis p. 34)
Pour l’enfant, le commerce de la gestation pour autrui implique d’être commandé, fabriqué, facturé, payé, livré à ses commanditaires. Qu’il soit donné sans contrepartie financière dans le cas d’une prétendue GPA dite « éthique » ne change rien au fait que l’enfant est l’objet du contrat, au risque d’être rendu lorsqu’il n’est pas conforme à la commande (cas du petit thaïlandais Gammy refusé par ses commanditaires en 2014 car atteint de trisomie 21).
La GPA organise une grossesse en vue de l’abandon de l’enfant, sans considération des dégâts psychologiques pour l’enfant au nom de la satisfaction d’un désir d’adulte.
La GPA programme la conception d’un enfant privé délibérément de sa mère (dans le cas des couples d’hommes ou d’hommes seuls) ou, au minimum, entache sa filiation maternelle d’incertitude en violation de l’art 7 de la CIDE.
Conclusion. Les Français qui se pensent favorables à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux célibataires, ou même à la légalisation d’une GPA dite « éthique » seraient-ils toujours de cet avis si la question leur était posée du côté de l’enfant : la loi doit-elle organiser la conception d’enfants privés de père, de mère ? Doit-on encadrer l’achat, la fourniture d’enfant ?
Dans un état de droit, les désirs des uns trouvent leurs limites dans le respect des droits des autres : on ne peut à la fois constater que la PMA pour les femmes et la GPA méconnaissent les droits de l’enfant et persévérer dans ces projets.
Propositions en vue d’assurer un meilleur respect des droits de l’enfant par la loi française.
L’Association Juristes pour l’enfance demande au législateur, à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique, de modifier certaines dispositions de la loi actuelle afin d’assurer un meilleur respect des droits de l’enfant que la France s’est engagée à respecter.
1. Renoncer au don de gamètes qui prive l’enfant de ses origines
Le don de gamète prive l’enfant du fondement biologique de sa filiation dans la branche concernée par le don. Or, si le lien biologique n’est certes pas le tout de la filiation, il n’est cependant pas sans intérêt en la matière.
Ainsi, lorsqu’un couple en processus de PMA subit une erreur de l’hôpital dans l’utilisation des gamètes ou l’attribution des embryons, il subit un préjudice juridiquement réparable du fait que l’enfant attendu n’est pas issu de leurs gamètes.
La loi actuelle exprime déjà un certain malaise, puisqu’elle n’autorise ce recours à des gamètes extérieurs que dans une des branches : tant le don de spermatozoïdes que celui d’ovocytes est autorisé, mais non les deux à la fois, afin d’assurer un lien biologique entre l’enfant et au moins un de ses parents. Si le lien biologique n’est pas important, pourquoi l’exiger dans une des branches ?
Ce don qui écarte légalement et délibérément le père ou la mère biologique de l’enfant n’est pas compatible avec le droit de l’enfant, dans la mesure du possible, de connaitre ses parents et d’être élevé par eux (art. 7 CIDE) : le désir des couples infertiles d’avoir un enfant est sans doute à prendre en considération, mais il ne peut être satisfait d’une manière qui malmène les droits de l’enfant : il convient donc d’y mettre fin.
2. Remplacer la congélation des embryons par celle des gamètes
La congélation des embryons a été permise par le législateur en 1994 compte tenu des connaissances de l’époque et du fait que les ovocytes supportaient mal la congélation.
La congélation d’embryons humains, même en vue de leur future implantation, suscite de graves réserves, notamment eu égard à la difficulté qui peut en résulter pour l’enfant, dont le développement peut être ainsi suspendu pendant plusieurs années, de se situer dans le temps et même au sein de sa propre famille. Par exemple, comment le fait pour un enfant de naître 25 ans après sa conception pourrait-il être anodin pour sa construction psychique ?
En outre, la congélation des embryons suscite des situations sans issue, lorsque le couple ne sait quelle décision prendre au sujet des embryons concernés, lorsque l’homme décède avant le transfert, ou en cas de désaccord du couple sur le devenir des embryons. En France, 34 % des 220 000 embryons congelés seraient ainsi « sans projet parental ».
Aujourd’hui, la vitrification des ovocytes permet leur congélation : la conception d’embryons en surnombre et leur congélation sont donc devenues inutiles car il est désormais possible de féconder des ovocytes au fur et à mesure du transfert des embryons obtenus. Congeler des ovocytes en surnombre, plutôt que de congeler des embryons, permettrait d’éviter la situation inextricable des embryons surnuméraires.
La loi de 2011 a posé l’objectif de privilégier les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés. Il convient maintenant d’aller plus loin, la vitrification des ovocytes ayant fait ses preuves, et de remplacer complètement la congélation des embryons par celle des gamètes.
3. Mettre en œuvre les alternatives à la recherche sur l’embryon
Si la loi a permis la recherche sur l’embryon humain de façon toujours plus large jusqu’à la loi de 2014, alors même que cette recherche signifie la destruction de l’embryon, c’est à la condition que les recherches ne puissent pas être réalisées autrement. Aujourd’hui, il existe des alternatives à tous les types de recherches utilisant des embryons : fondamentale, pharmaceutique et clinique ou pré clinique.
– La recherche fondamentale, qui vise l’étude du processus de développement embryonnaire et l’amélioration des techniques d’assistance médicale à la procréation, peut être menée sur les embryons animaux. Si les chercheurs utilisent des embryons humains, c’est parce qu’ils coûtent moins cher que les embryons animaux.
– La recherche pharmaceutique, en matière de cellules souches, utilise principalement les techniques du criblage des molécules et de modélisation des pathologies. Or, les deux peuvent désormais être réalisés avec des cellules souches adultes induites (IPS), cellules souches adultes reprogrammées en cellules pluripotentes. Ces cellules iPS sont douées des mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires (CSEh) et leur obtention n’emporte aucune transgression et ne suscite donc pas de réserve éthique, alors que la recherche sur les embryons suppose leur destruction.
– La recherche pré-clinique ou clinique, réalisée dans la perspective d’applications thérapeutiques, est quasi inexistante en matière de cellules embryonnaires, alors que les recherches sur les cellules souches adultes ou de sang de cordon sont efficaces pour la thérapie.
Dès lors que les attentes placées dans la recherche sur l’embryon humain n’ont pas abouti et que, par ailleurs, des alternatives existent, il convient que le législateur y mette fin.
4. Mettre fin aux trafics de GPA
Protéger l’enfant contre la GPA suppose d’appliquer les sanctions pénales existantes contre les intermédiaires de GPA et d’instaurer des sanctions pénales efficaces contre les clients :
– engager des poursuites contre les sociétés étrangères qui démarchent leurs clients sur le sol français et se rendent coupables du délit d’entremise en vue de la GPA (C. pén. Art. 227-12), pour l’instant en toute impunité et en dépit des plaintes déposées par l’association Juristes pour l’enfance contre certaines de ces sociétés.
– introduire dans la loi une infraction spéciale de recours à la GPA permettant de sanctionner les clients, y compris lorsque les faits se déroulent à l’étranger, afin de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les Français qui recourent à la GPA à l’étranger.
5. Exclure les mineurs de la procédure collégiale d’arrêt des traitements en fin de vie
En vertu de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, lorsqu’un patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté une procédure collégiale. L’article R. 4127-37-2 précise que le mineur est concerné par cette procédure.
Pourtant, cette circonstance relative à un patient « hors d’état de manifester sa volonté » ne peut concerner un mineur qui, par définition, ne donne pas son consentement à l’acte médical puisque ce consentement est donné par les titulaires de l’autorité parentale. L’article R. 4127-37-2 exclut les règles relatives à l’autorité parentale au profit de la procédure collégiale, ce qui n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant, les parents étant investis par la loi de la responsabilité de prendre les décisions le concernant. Il convient donc d’abroger l’article R. 4127-37-2 afin que les parents puissent exercer leur autorité parentale, dans l’intérêt de l’enfant, y compris en ce qui concerne les décisions d’arrêt des traitements.