Par Aude Mirkovic, Maître de conférences
Le tribunal de grande instance d’Evry rejette deux demandes d’adoption d’un enfant né d’une gestation pour autrui, présentées par le conjoint du père de l’enfant.
TGI Evry, 4 sept. 2017, n° 16/06684
TGI Evry, 2 oct. 2017, n° 17/01775
Les deux affaires concernent des demandes d’adoption d’enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) réalisée aux États-Unis. Les actes de naissance des enfants indiquent le père biologique comme père, aucune filiation maternelle n’étant établie. Les demandes sont présentées par le conjoint du père biologique, avec l’accord de ce dernier, les enfants ayant respectivement 18 mois et 3 ans.
Une décision à contre-courant de la jurisprudence de la Cour de cassation…
Alors que la Cour de cassation, dans une décision du 5 juillet 2017, vient d’opérer un revirement de jurisprudence pour admettre une telle adoption, le tribunal de grande instance (TGI) d’Evry rejette les demandes par deux décisions rendues respectivement le 4 septembre et le 2 octobre 2017.
Il commence par rappeler que l’« état du droit positif français contient toujours l’interdiction de la gestation pour autrui en France » et que, selon les termes de la Cour de cassation elle-même dans ses décisions du 6 avril 2011, « il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour autrui ».
En conséquence, la demande d’adoption ne peut qu’être rejetée. Précisons en effet que, si l’enfant est sur le papier adoptable puisqu’il n’a pas de filiation maternelle établie, c’est parce que la mère a été délibérément écartée et la filiation maternelle rendue vacante par le contrat de GPA. Autrement dit, l’enfant a été privé de mère par contrat pour être rendu adoptable, et c’est pourquoi la Cour de cassation a toujours jusqu’ici refusé une telle adoption comme constituant un « détournement de l’institution de l’adoption » (Cass. ass. plén., 31 mai 1991, no 90-20.105). Et, alors que le tribunal cite l’article 3 de la Convention de New York sur les droits de l’enfant qui exige que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans la prise de décision le concernant, comment ne pas rappeler que l’effacement de la mère organisé par la GPA est incompatible avec le droit de l’enfant, dans la mesure du possible, de connaitre ses parents et d’être élevé par eux, garanti par l’article 7 du même texte ?
Le tribunal prend soin de vérifier « au cas par cas si le refus de faire droit à une demande au motif d’une telle violation représente ou non une atteinte disproportionnée à l’intérêt de l’enfant, notamment à son droit au respect de sa vie familiale et de sa vie privée ». Il relève que, en l’espèce, « l’enfant a une filiation paternelle établie à l’égard de son père biologique […] qui l’élève depuis sa naissance » et que le conjoint du père « s’occupe également de [lui] depuis sa naissance et est reconnu comme un second père par l’entourage ». Pour autant, dès lors qu’ « il existe de nombreux moyens juridiques pour donner un statut [au conjoint du père] vis-à-vis de l’enfant (délégation d’autorité parentale, tuteur testamentaire, enfant légataire successoral, droit de visite d’un tiers en cas de séparation du couple) », l’absence de lien juridique de filiation entre le demandeur et l’enfant « n’est aucunement préjudiciable à l’enfant ».
… mais qui s’inscrit dans le sillage juridique de la CEDH.
La Cour de cassation, dans sa décision du 5 juillet, a décidé d’ignorer la GPA à l’origine de la naissance de l’enfant et de l’effacement de sa filiation maternelle, pour s’en tenir à la situation actuelle de l’enfant. Le tribunal d’Evry tient compte au contraire de la manière dont l’enfant a été obtenu et des raisons pour lesquelles sa filiation maternelle est vacante. Il s’inscrit en cela dans les pas de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme qui s’est prononcée pour la première fois en matière de GPA le 24 janvier 2017 (Paradiso et Campanelli c. Italie). Au contraire du précédent arrêt de chambre qu’elle désavoue, la Grande chambre intègre en effet l’origine illicite de la situation dans l’appréciation des circonstances actuelles, pour estimer qu’un État n’est pas tenu de reconnaître des personnes ayant obtenu un enfant par GPA comme parents et que, en l’espèce, la mesure par laquelle le gouvernement italien a ordonné l’éloignement d’un enfant obtenu par GPA des commanditaires et son placement en vue de l’adoption ne constitue pas une violation de la convention.
En outre, le refus du tribunal de valider le processus qui consiste à écarter la mère pour rendre l’enfant adoptable protège non seulement l’enfant concerné d’un déni de la méconnaissance de ses droits mais, aussi, tous les autres enfants. La protection de l’enfant, comme l’a précisé encore la Grande chambre de la Cour européenne, ne s’entend « pas seulement de celui dont il est question en l’espèce mais des enfants en général » (§197).
Encore faut-il préciser, comme le fait expressément le tribunal, que l’adoption autorisée par la Cour de cassation le 5 juillet était une adoption simple, alors que les demandes rejetées ici sont des demandes d’adoption plénière. Sans doute l’adoption simple admise par la Cour de cassation n’a pas la même portée que l’adoption plénière. Pour autant, les raisons qui s’opposent au prononcé de l’adoption plénière, à savoir le fait que l’enfant a été conçu en exécution d’un contrat de GPA qui écarte la mère pour laisser la place disponible au projet d’autrui, ne sont-elles pas de nature à faire obstacle aussi à l’adoption simple ? Notons que la Cour de cassation rejetait jusqu’ici également les demandes d’adoption simple, pour la même raison du détournement d’institution (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, no 92-13.563).
La décision de la Grande chambre de la Cour européenne du 24 janvier 2017 suggérait une nouvelle approche des situations issues de la GPA dont la Cour de cassation n’a pas jugé bon de tenir compte dans ses décisions du 5 juillet. Au contraire, ces jugements du TGI d’Evry pourraient initier une réelle prise au sérieux des droits de l’enfant, y compris lorsqu’ils posent des limites aux désirs des adultes. On a souvent besoin d’un plus petit que soi… . La Cour de cassation empruntera-t-elle la piste que lui suggère le tribunal d’Evry ?
Article publié le 23 novembre au Dictionnaire permanent Santé, bioéthique, biotechnologie, Edition législative.
Aude Mirkovic, Maître de conférences en droit privé